Barrages peu remplis, nappes phréatiques surexploitées, pluviométrie au plus bas… Il est grand temps que les pays d’Afrique du Nord prennent la mesure des pénuries d’eau qui les guettent. Et agissent en conséquence.
Entre l’interminable bras de fer que se livrent Algériens et Marocains et l’impasse politique dans laquelle la Tunisie semble s’enfoncer chaque jour davantage, les sujets d’inquiétude concernant les trois pays du Maghreb ne manquent pas. On peut y ajouter une grogne sociale quasi permanente et ne suscitant que peu de réponses de la part des autorités, des pénuries récurrentes, une inflation qui fait fondre le pouvoir d’achat et une guerre en Ukraine qui continue à bouleverser les équilibres mondiaux.
« Perdre du temps, c’est mourir »
La vraie menace, pourtant, celle qui fait courir un risque existentiel et immédiat aux trois pays et à leur population, est climatique et concerne la raréfaction annoncée – et déjà perceptible – de la denrée la plus indispensable : l’eau.
Le constat n’a rien d’un scoop et ne se limite en aucun cas à l’Afrique du Nord. Au Forum mondial de l’eau organisé à Dakar en mars 2022, le président sénégalais Macky Sall insistait sur la « place vitale » de la gestion de l’eau sur le continent tout entier, rappelant que les besoins en matière de financement seraient multipliés par six à l’horizon 2030. Plus synthétique, et évoquant de son côté l’ensemble des mesures nécessaires pour combattre le réchauffement climatique, le secrétaire général des Nations unies, António Gutteres, lançait quant à lui au moment de la sortie du rapport du Giec : « Perdre du temps, c’est mourir. »
Rien de tout cela n’est nouveau, mais lorsqu’on observe les mesures prises pour assurer l’accès à l’eau des populations, on se demande tout de même si la gravité de la situation est vraiment présente dans les têtes. Pour en revenir au Maghreb en commençant par le Maroc, les spécialistes évoquent un taux de remplissage des barrages d’à peine 30 %, des nappes phréatiques surexploitées et une politique de dessalement et de retraitement des eaux usées ou pluviales encore balbutiante.
Le bilan n’est pas plus glorieux en Algérie, qui entame une quatrième année de sécheresse record et vient de subir deux saisons estivales marquées par des incendies meurtriers. Le barrage de Koudiat Asserdoun, l’un des plus grands du pays, affichait début 2023 un taux de remplissage de 3 %, tandis que les besoins en eau de la capitale, officiellement estimés à 700 000 m3 par jour, atteindraient plutôt 1,2 à 1,3 million de m3, selon les experts.
En Tunisie enfin, où la pluviométrie est au plus bas, on parle de barrages remplis à 31 % et on s’inquiète de la très faible proportion de terres cultivables équipées de systèmes d’irrigation. Avec, comme chez les voisins, des conséquences connues et déjà observables : problèmes d’approvisionnement en produits agricoles nécessitant de recourir aux importations, incendies, exode rural…
Les mesures à prendre pour inverser la tendance ? Elles sont connues, à défaut d’être facilement finançables. Les hydrologues en dressent inlassablement la liste : dessalement de l’eau de mer, récupération de l’eau de pluie, traitement des eaux usées, utilisation plus raisonnable de la ressource, recours à des techniques d’irrigation plus efficaces et fin des cultures trop gourmandes en arrosage…
Avec quel argent ?
Rapports et promesses s’accumulent, et impossible de reprocher aux gouvernements de ne pas communiquer sur le sujet. Le Maroc, champion des barrages depuis les années 1950, a son Plan national de l’eau et a annoncé l’an dernier la naissance d’une Agence nationale de gestion de l’eau. La Tunisie a présenté sa stratégie, sobrement intitulée « Eau 2050 », tandis qu’en Algérie, les autorités planifient la construction d’un solide réseau de stations de dessalement.
Mais à quel horizon ? Avec quel argent ? Faute de pouvoir répondre à ces questions, on peut au moins prédire sans grand risque de se tromper que la mi-2023 sera – encore – catastrophique sur les rives de la Méditerranée.
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