Quelles sont les causes de ce syndrome théorisé après un braquage en Suède en 1973 ? Peut-on se libérer de ce mécanisme de défense psychologique ? Explications.
Qui ne connaît pas l’histoire de la Belle et la bête ? Une jeune femme prisonnière d’une bête féroce finit par tomber amoureuse de son ravisseur monstrueux. En langage moderne, on dirait que Belle est victime du «syndrome de Stockholm».
Qu’est-ce que le syndrome de Stockholm ?
Le syndrome de Stockholm désigne la propension d’une victime à développer une forme d’attachement, parfois même d’amour envers son ravisseur, kidnappeur, ou agresseur après avoir passé un long moment avec lui.
Des scénarios similaires, il en existe des dizaines dans les productions littéraires et cinématographiques : dans la série à succès La Casa De Papel, c’est le cas du personnage de Monica (alias Stockholm justement) qui tombe amoureuse de son preneur d’otage. Ou encore d’Elektra King dans le film de James Bond, Le monde ne suffit pas .
Dans le monde réel, les exemples sont bien moins nombreux, souvent très médiatisés et se soldent par d’importantes séquelles psychologiques. Mais comment et pourquoi une victime peut-elle développer cet attachement pour son agresseur ? Et comment s’en libérer ? Réponses avec Johanna Rozenblum, auteur et psychologue clinicienne.
« Ce qui attire le regard, c’est toute l’histoire qui conduit à l’installation du syndrome. C’est de voir comment une personne finit par aimer précisément l’être qui est à l’origine de sa souffrance et qui lui a volé son existence.»
Johanna Rozenblum, auteur et psychologue clinicienne
Pourquoi le syndrome de Stockholm fascine-t-il autant ?
Ce phénomène d’attachement d’une victime pour la personne qui lui fait du mal est paradoxal car il défie toute logique. Il est difficile de concevoir qu’une personne puisse « comprendre » son bourreau au point de se ranger de son côté, voire d’adhérer à ses causes . Si dans le cas le plus emblématique, le syndrome touche des otages, il peut aussi concerner des victimes de violences conjugales, de viol ou plus généralement de tout acte de maltraitance.
Pourquoi «de Stockholm» ?
Ce syndrome est théorisé dans les années 70 après une prise d’otage dans une banque suédoise à Stockholm. Au terme d’une longue négociation, les victimes furent libérées mais, à la grande surprise des juges, certaines refusèrent de témoigner contre les assaillants. « Avec le temps, certaines victimes seraient mêmes allées rendre visite à leurs bourreaux en prison tandis qu’une ex-otage aurait entretenu une relation amoureuse avec l’un des braqueurs », ajoute Johanna Rozenblum. En 1978, cinq ans après les faits, le psychiatre Frank Ochberg décrit pour la première fois le « syndrome de Stockholm » comme une manifestation empathique des victimes envers leur malfaiteur.
L’une des affaires criminelles les plus récentes, celle de Natascha Kampusch, a fortement marqué les esprits. Jeune Autrichienne retenue en captivité pendant plus de 8 ans, celle-ci profite d’un moment d’inattention pour s’échapper en 2006. Elle n’a alors que 18 ans. Bien que la jeune femme reconnaisse la nature criminelle de l’acte et que son histoire demeure très complexe, elle aurait gardé une photo de son ravisseur après s’être échappée.
Quelles sont les causes du syndrome de Stockholm ?
«Si l’on y réfléchit, cela correspond à un aménagement psychologique de la victime en danger », explique Johanna Rozenblum. «S’identifier à son ravisseur offre la possibilité de le comprendre davantage et donc de se sentir un peu moins victime, c’est un mécanisme de défense. » Autrement dit, c’est une façon pour l’agressé d’apaiser sa crainte de mourir. La victime ne cherche pas à protéger le malfaiteur mais sa propre santé mentale.
« Dans ce syndrome, le mécanisme de défense naît d’une nécessité impérieuse de se protéger face à une situation que la victime identifie comme hautement dangereuse pour sa santé physique et mentale », souligne Johanna Rozenblum.
Plusieurs paramètres vont être déterminants : la durée de la captivité, la réalité du danger, la façon dont l’agresseur argumente son point de vue, mais aussi des paramètres plus personnels comme l’évaluation subjective de la personne maltraitée, sa détresse, le trauma, la douleur physique subie, le contexte. Il s’active donc inconsciemment de manière à pouvoir supporter l’insupportable.
Que traverse exactement une personne souffrant de ce syndrome ?
La victime éprouve une empathie grandissante pour son agresseur selon un cheminement qui peut être décomposé en quatre étapes :
La victime développe un sentiment de confiance vis-à-vis de son ravisseur. « En général, le malfaiteur s’arrange pour répondre aux questions de la victime ainsi qu’à ses besoins car il a bien compris qu’en « humanisant » son acte il va pouvoir créer un lien fort avec son otage pour faire comprendre sa cause », analyse Johanna Rozenblum. Cela crée une dépendance agresseur-agressé(e) avec pour résultat la perte d’autonomie de la victime.
Cela génère un sentiment « positif » à l’égard du bourreau que l’on assimile presque à de l’empathie. Selon la psychologue, « ce lien est complètement inconscient du côté de la victime alors qu’il peut être très conscient du côté de l’agresseur ». Cela se traduit par une phase d’acceptation de la victime qui ne se plaint d’aucune agression, violence ou maltraitance.
Parfois, avec le temps, la victime identifie son agresseur comme une réelle victime. Au lieu de s’opposer à lui, elle nourrit une hostilité à l’égard de la société, des forces de l’ordre ou de la justice : « elle tend à nier les faits criminels pour ne pas porter atteinte à l’agresseur, comme si elle voulait le protéger, l’humaniser ».
La double facette empathie-hostilité peut conduire à l’isolement complet de la victime qui supprime d’elle-même ses contacts pour garder son agresseur (qui par conséquent n’en est plus un) comme seul référentiel.
Peut-on traiter le syndrome de Stockholm ?
« Le travail psychologique est très long et très éprouvant car les victimes intègrent entièrement le syndrome même après leur libération», indique Johanna Rozenblum. «Le syndrome est même parfois plus traumatisant que l’événement d’enfermement.»
Le suivi se fonde sur un travail de déconditionnement et de déconstruction du mécanisme de défense psychique très puissant qui s’est ancré dans la victime. La reconstruction psychologique passe par trois grandes étapes :
La phase de rupture du lien victime-agresseur consiste à se libérer de l’emprise pour retrouver un libre arbitre, une faculté à penser par soi-même.
La phase de prise de conscience a pour objectif d’aider le patient à reconnaître le caractère toxique et pathologique de la relation. Cela peut prendre plusieurs années.
«Dans certains cas, il faut remontrer des lieux, des photos, participer à la reconstruction mentale de l’événement pour que le patient se détache de ce scénario empathiquequ’il a créé autour de son ravisseur », explique la psychologue. Johanna Rozenblum
La phase thérapeutique devient possible à partir du moment où le patient commence à réaliser les faits et qu’il est en capacité de développer son esprit critique. « On fait de la psychoéducation autour de la fascination qui s’est établie en expliquant pourquoi ça s’est mis en place et en quoi cela lui a servi à tenir. » Les équipes médico-sociales proposent également aux personnes des thérapies cognitives et comportementales encadrées a minima par un médecin et un psychologue. Dans certains cas, la « rupture » du sentiment d’attachement fait émerger des troubles anxieux importants comme des symptômes dépressifs ce qui justifie l’ajout d’un traitement médicamenteux en plus de l’accompagnement psychologique.
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