Le parti Les Républicains joue depuis plusieurs semaines un rôle déterminant sur la réforme des retraites en France, contraignant le gouvernement à adoucir son projet de loi avec, en toile de fond, son propre avenir.
La demande n’a beau être portée que par quelques députés LR, dont Pierre-Henri Dumot mais aussi et surtout son collègue du Lot Aurélien Pradié, par ailleurs vice-président du parti Les Républicains, la séquence est symbolique.
Depuis que le gouvernement d’Élisabeth Borne a ouvert les discussions à l’automne avec les partenaires sociaux et les partis d’opposition sur la réforme des retraites, seuls Les Républicains sont parvenus à faire bouger les lignes de l’exécutif.
La raison est simple. La majorité présidentielle est relative à l’Assemblée nationale et Les Républicains contrôlent le Sénat. Par conséquent, la Première ministre et son ministre du Travail, Olivier Dussopt, n’ont eu d’autre choix que d’accorder des concessions aux parlementaires LR afin d’obtenir leur soutien sur ce texte majeur.
« Cette réforme [des retraites] va dans le bon sens, mais le moment choisi pour la faire – après le Covid-19, la guerre en Ukraine, l’inflation qui frappe les Français – est très mauvais, juge Agnès Evren, députée européenne et vice-présidente de LR. La réforme présentée initialement nous paraissait injuste et brutale, donc nous avons essayé de corriger ses effets collatéraux. Il y avait pour nous un enjeu d’acceptabilité sociale. »
Le patron du parti, Éric Ciotti, et le président du groupe LR à l’Assemblée, Olivier Marleix, ont ainsi obtenu plusieurs avancées : le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans plutôt qu’à 65 ans, la revalorisation des petites pensions pour les retraités actuels et non uniquement pour les futurs retraités, ainsi qu’une meilleure prise en compte des carrières longues.
« La retraite ne doit pas rimer avec précarité et pauvreté. Il y a chez nous un consensus pour dire que la réforme est indispensable, mais aussi pour dire qu’il faut faire attention. Éric Ciotti et Olivier Marleix ont réussi à trouver un point d’équilibre », estime Agnès Evren.
Une scénographie bien orchestrée
Ces allers-retours entre l’exécutif et LR sont parfaitement orchestrés. La scénographie donne à voir, d’un côté, un pouvoir prêt à faire des concessions sur son projet de réforme des retraites, et de l’autre, des parlementaires Les Républicains parvenant à arracher des avancées. Chacun se rend en réalité service pour apparaître, vis-à-vis de ses propres électeurs, ouverts à la discussion pour les uns et utiles pour les autres.
Car toutes les demandes des élus LR avaient déjà été faites bien plus tôt par des députés « critiques » au sein de Renaissance. Mais le rapport de force ne leur était pas favorable.
En revanche, Les Républicains ont compris qu’ils avaient une carte à jouer dans cette séquence et ont fait le choix de marchander leur soutien au prix fort, quitte à dévier de leurs fondamentaux.
Pour rappel, la candidate LR à l’élection présidentielle de 2022, Valérie Pécresse, proposait elle aussi de reculer l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans. Elle avait même accusé Emmanuel Macron de « plagiat » lorsque le président-candidat avait présenté son programme avec une réforme des retraites similaire à la sienne.
« La majorité de nos députés sont confrontés à la grande colère des Français lorsqu’ils retournent en circonscription et veulent y répondre », justifie Agnès Evren pour expliquer ce changement de ton.
Le regard déjà tourné vers 2027 – sur la présidentielle mais surtout les législatives –, ces élus prêtent également attention à l’opinion. Or, 47 % des sympathisants de droite se disent opposés à la réforme des retraites, selon un sondage Ifop paru le 5 février dans Le Journal du Dimanche.
« Certains dans nos rangs défendent les idées du Parti socialiste ! »
Mais à force de vouloir marquer des points face au gouvernement, « certains dans nos rangs défendent aujourd’hui les idées du Parti socialiste ! », tance l’ancien ministre LR du Budget, Jean-François Copé, dans une interview au Parisien, en visant le député Aurélien Pradié.
« La réforme des retraites incarne vraiment l’ADN de la droite de gouvernement, qui a vocation à être responsable, affirme le maire de Meaux. Cela a toujours été un marqueur de la droite de gouvernement, de la même manière que la maîtrise de nos dépenses, des impôts, des déficits. C’est un des éléments de notre crédibilité. »
« Je dis à Aurélien Pradié qu’il appartient à une famille politique qui a défini un certain nombre de valeurs, parmi elles le travail, la solidarité inter-générationnelle [et] la maîtrise des comptes publics », a également déclaré le président LR du Sénat, Gérard Larcher, mercredi 8 février sur France Inter.
Aurélien Pradié est soutenu par une partie des députés LR qui menacent de voter contre le projet de loi, mais il est difficile d’estimer leur nombre de façon précise. Derrière l’enjeu de la réforme des retraites se joue donc, aussi, l’avenir du parti Les Républicains.
Quelle orientation idéologique ce parti de droite, coincé entre la droite façon Emmanuel Macron et l’extrême droite de Marine Le Pen, souhaite-t-il prendre ? « Je pense que l’on peut mourir de nos contradictions », a prévenu le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau, mercredi sur RTL.
« Le paradoxe de la droite LR, c’est d’avoir résisté dans les territoires mais d’être aujourd’hui absente des zones urbaines », analyse Agnès Evren.
Les Républicains sont donc confrontés à un choix : se reconstruire en opposition au gouvernement en focalisant leur attention sur la France rurale et une partie des classes populaires ; ou tenter de récupérer, à terme, leurs anciens électeurs urbains et plus aisés partis chez Renaissance. Le débat interne a commencé.
france24