Abiy Ahmed à Paris : la discrète mais pragmatique diplomatie française en Éthiopie

Fort de l’accord de paix signé le 2 novembre entre l’Éthiopie et le Tigré, le Premier ministre Abiy Ahmed a entamé lundi une tournée européenne destinée à relancer ses relations avec l’Union européenne. Avec un discret passage à Paris, qui semble avoir ravivé la bonne entente économique d’avant la guerre entre la France et l’Éthiopie.

« Dîner de travail avec M. Abiy Ahmed, Premier ministre d’Éthiopie », peut-on lire sur l’agenda présidentiel d’Emmanuel Macron à la page du 7 février 2023. Contactés par France 24, les services de presse élyséens n’en diront pas d’avantage. Pas de communiqué ni de tweet pour commenter l’échange côté français.

Une communication pour le moins discrète qui n’a rien de surprenant. « Depuis le début de la guerre au Tigré, la France a opté pour une diplomatie prudente mais constante avec Addis Abeba, explique Patrick Ferras, directeur de l’Observatoire de la Corne de l’Afrique. Une communication qui se distingue du discours très tranché du chef de la diplomatie européenne Joseph Borell, qui n’a eu de cesse de condamner avec force et véhémence la guerre au Tigré », qui a déplacé plus de deux millions d’Éthiopiens et plongé des centaines de milliers de personnes dans des conditions proches de la famine.

Pour en apprendre davantage sur la rencontre entre Abiy Ahmed et Emmanuel Macron, c’est sur le compte Twitter du chef de l’exécutif éthiopien qu’il faut se rendre. Photos et commentaires enthousiastes s’y trouvent pêle-mêle : chaleureuses accolades sur le perron de l’Élysée, poignée de main complices, discussion informelle sur un canapé. Rien ne manque.

« Toujours bon de rencontrer mon ami Emmanuel Macron. Merci pour l’accueil chaleureux à Paris, commente en anglais Abiy Ahmed. Au fur et à mesure que les relations entre nos deux pays progressent, je suis convaincu que cela se traduira par des résultats économiques renforcés. Nous accueillons très favorablement les investissements des entreprises françaises en Éthiopie ».

Un partenaire économique courtisé

La phrase est lâchée. Il s’agit bien d’intérêts économiques qui ont motivé la rencontre. Si la France a gelé ses relations avec Addis Abeba depuis deux ans pour montrer qu’elle condamnait la guerre fratricide au Tigré, elle a progressivement repris ses liens là où les avait laissés. Quelques jours seulement après l’accord de paix signé le 2 novembre à Pretoria, en Afrique du Sud, le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a dit s’être entretenu par téléphone avec Emmanuel Macron. Là encore, l’appel téléphonique n’a fait l’objet d’aucune communication officielle de l’Élysée.

Puis mi-janvier, Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, accompagnée de son homologue allemande Annalena Baerbock, a rencontré Abyi Ahmed pour « consolider les efforts de paix ». Une communication toujours prudemment entretenue par Paris, qui rechigne à mettre en avant ses relations avec un prix Nobel de la paix devenu au fil des mois un chef de guerre peu fréquentable. Et « en même temps », l’ambition présidentielle de poursuivre les relations économiques entamée en 2019 avec un partenaire convoité.

« Emmanuel Macron, qui a toujours eu un très bon contact avec Abyi Ahmed, voit en lui un grand dirigeant. Il n’est pas dupe de ce qui s’est passé dans la région du Tigré, mais le président français a toujours souhaité développer ses liens avec le futur lion d’Afrique que représente l’Éthiopie, analyse Patrick Ferras. Depuis qu’il est arrivé à l’Élysée, il n’a cessé de montrer sa volonté de changer le logiciel français vis-à-vis de l’Afrique pour développer des liens privilégiés avec ce pays économiquement très prometteur ».

La reconquête des aides

Avec 110 millions d’habitants, potentiellement de 213 millions en 2050 selon le dernier rapport de l’ONU, l’Éthiopie, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique derrière le Nigeria, est un marché très prisé des investisseurs. Même si la pandémie, la guerre en Ukraine et le conflit au Tigré ont mis un sérieux coup de frein à son développement économique, avec une croissance moindre qu’espérée à 3,8 % en 2022 et une inflation exponentielle de 35 %. « Abiy Ahmed, qui a ramené la paix dans son pays, est à la tête d’un pays détruit. Les régions du Tigré, du nord de l’Amhara et l’ouest de l’Afar qui ont subi de plein fouet la guerre, sont entièrement à reconstruire. Il y a donc un marché à prendre, poursuit le spécialiste Patrick Ferras. Malheureusement, la France, qui arrive après la Chine, la Turquie et l’Inde, ne pourra prendre que ce que les autres puissances lui auront laissé. »

De son côté, Abyi Ahmed espère bien obtenir de la France des gages financiers. Le dirigeant Oromo compte en effet sur le soutien de Paris pour peser de tout son poids auprès du Fonds monétaire international. Le FMI a en effet gelé le programme de restructuration de la dette éthiopienne depuis le début de guerre civile survenue en novembre 2020.

Le chef du gouvernement est également venu chercher en Emmanuel Macron un allié pour renouer les relations devenues très tendues entre Addis Abeba et l’Union européenne. En 2021, l’UE a également suspendu l’aide budgétaire destinée à l’Éthiopie à la suite du blocus imposé par le gouvernement fédéral éthiopien sur la région du Tigré. Depuis, Bruxelles conditionne le retour de cette aide à des engagements concrets en matière de justice, de politique et d’accès humanitaire.

Le retour du dialogue avec Bruxelles

En entamant une tournée européenne post-guerre, Abiy Ahmed, qui s’est aussi rendu le 6 février en Italie, espère ainsi restaurer la confiance des principaux membres de l’UE et mettre ainsi Josep Borrell en minorité. Les relations entre Bruxelles et Addis Abeba étaient à ce point rompues que lorsque les pourparlers ont été entamés, fin octobre à Pretoria entre le TPLF et le gouvernement fédéral, le gouvernement éthiopien s’est opposé à la présence de l’UE parmi les observateurs. Enfin, « il ne perd pas de vue que la France est un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et qu’il est toujours mieux de nouer de bonnes relations avec les cinq poids lourds qui sont à la table des négociations », opine le chercheur.

Hasard ou coïncidence du calendrier, la veille de son passage à Paris, la presse française a révélé le projet pharaonique d’Abiy Ahmed qui s’est offert la construction d’un palais d’une surface d’une surface de 503 hectares estimé entre 400 milliards et 500 milliards de birrs, soit plus de 6 à 8 milliards d’euros. Un dernier élément qui n’a pas non plus fait l’objet de communication élyséenne.

france24

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