Un aérogel truffé de matériaux radioactif pourrait un jour servir de carburant pour une nouvelle génération de moteurs-fusées nucléaires.
La propulsion est l’un des axes de recherches les plus importants et dynamiques de toute l’aérospatiale. On voit régulièrement fleurir de nouveaux concepts aussi novateurs qu’exotiques qui pourraient faire avancer les véhicules du futur. Parmi eux, il y a une niche qui a particulièrement le vent en poupe : la propulsion nucléaire.
Cela fait de longues années que des chercheurs de tous horizons explorent les applications de ce concept à la propulsion spatiale, sans succès pour le moment. Pour l’instant, aucun véhicule mature n’utilise cette technologie. Mais les avantages potentiels sont si nombreux que les spécialistes continuent de creuser. Et récemment, une nouvelle idée particulièrement intéressante a été proposée par la firme américaine Positron Dynamics.
Elle mise sur un concept baptisé propulsion par fragments de fission (ou FFRE, pour fission fragment rocket engine). Très vulgairement, il consiste à déclencher une réaction nucléaire, puis à catapulter les produits de la fission dans une direction précise pour faire avancer l’engin.
Des FFRE à aérogel nucléaire
Sur le papier, ce concept a tout pour plaire. Il permettrait notamment d’atteindre une impulsion spécifique (Isp) absolument invraisemblable. Pour rappel, c’est une grandeur qui permet de mesurer l’efficacité de ces moteurs. Très sommairement, plus l’Isp est élevée, plus un véhicule peut voyager loin avec une même quantité de carburant. Et à ce petit jeu là, les FFRE sont tout simplement imbattables.
Un moteur-fusée traditionnel affiche une Isp moyenne de l’ordre de 200 à 300 secondes. Les concepts centrés autour de la fusion nucléaire espèrent généralement proposer une Isp bien plus élevée, de l’ordre de plusieurs milliers de seconde. Une FFRE, en revanche, pourrait atteindre des Isp supérieures à 100 000 secondes !
En revanche, un tel moteur serait excessivement lourd. Pour contourner le problème, les ingénieurs de Positron ont imaginé un nouveau concept de carburant. Au lieu d’embarquer une grosse brique de matériel radioactif, ils envisagent d’utiliser un aérogel — le matériau le moins dense jamais créé — truffé de particules fissiles.
En théorie, un tel carburant serait extrêmement léger, mais sa combustion dégagerait tout de même une énergie importante — la combinaison idéale pour un véhicule spatial.
Une idée empruntée aux expériences de fusion nucléaire
Le principal problème des FFRE, c’est qu’il est très difficile de canaliser les produits de la fission pour qu’ils partent dans la bonne direction — et ce n’est pas un vulgaire aérogel qui réussira à contenir ces particules lancées à grande vitesse.
Pour y parvenir, les ingénieurs de Positron envisagent d’utiliser des aimants supraconducteurs. C’est une classe d’électroaimants extrêmement puissants qui sont par exemple utilisés dans les tokamaks comme ITER pour contenir le plasma où se déroule la réaction (voir notre article).
Ici, il ne s’agit pas de fusion nucléaire, mais l’idée sous-jacente est la même. Il s’agit de contenir la réaction pour canaliser les particules dans une direction précise. Le flux de particules ainsi généré pourrait ainsi servir à créer une poussée. De quoi mettre un engin en mouvement, tout en protégeant le reste de la structure.
Un potentiel gigantesque pour l’exploration spatiale
Généralement, les moteurs qui proposent une Isp élevée développent une poussée très faible dans l’absolu; ils misent plutôt sur le fait de pouvoir accélérer pendant très longtemps. Mais en théorie, un FFRE à aérogel nucléaire développerait tout de même une poussée très importante.
Sur le papier, ces systèmes pourraient même rivaliser avec les moteurs-fusées traditionnels, où la poussée est générée par la combustion d’ergols liquides. Et en même temps, ils seraient tellement efficace qu’il permettraient à un petit véhicule placé en orbite d’atteindre des zones très éloignées en un temps record.
Les chercheurs de Positron estiment qu’un tel engin pourrait atteindre la lentille gravitationnelle solaire en une quinzaine d’années. Dans cette zone située à environ 550 fois la distance Terre-Soleil, il serait théoriquement possible d’utiliser la déformation de l’espace-temps générée par la masse de notre étoile pour observer des régions très éloignées du cosmos. Il s’agirait donc d’un emplacement très intéressant pour un futur télescope de pointe.
Mais pour l’instant, il ne s’agit encore que d’un concept qui présente encore des tas d’obstacles importants. Le défi technique en lui-même est déjà considérable. En effet, les rares prototypes sont pour l’instant beaucoup trop massifs pour êtes exploitables en conditions réelles. De plus, ils génèrent une quantité de chaleur phénoménale que les ingénieurs ne savent pas comment évacuer.
Il y a aussi quelques problèmes sur le plan réglementaire. En effet, en 1992, les Nations Unies se sont mises d’accord pour signer un moratoire qui interdit d’utiliser la fission nucléaire pour propulser des fusées. L’objectif est d’éviter de disséminer des matériaux radioactifs dans l’espace. Une précaution importante, car nous ne comprenons pas encore bien les enjeux d’une telle pollution. Pour y déroger, il faut prouver qu’il est impossible de parvenir au même résultat en utilisant d’autres sources d’énergie.
Malgré tout, l’idée a tapé dans l’œil de l’Institute of Advanced Concepts, une branche de la NASA qui finance des projets de recherche prometteurs. Elle a récemment attribué des fonds de recherche à Positron. Il sera donc intéressant d’observer l’évolution des FFRE et autres concepts de ce genre. D’ici quelques années, ils seront peut-être au cœur d’une nouvelle révolution qui repoussera les limites physiques de l’exploration spatiale.
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NASA