Pays du Golfe : quand l’art devient un instrument de « soft power »

Honnis ou encensés les riches États du Golfe nourrissent fantasmes et polémiques.Ilot de richesse et de stabilité dans un Moyen-Orient rongé par la misère et les guerres, ils fascinent plus qu’ils ne séduisent. Aussi s’efforcent-ils de projeter, chacun, une image de pays sûr et stable, développé, prospère, cultivé, tolérant, en un mot ouvert au monde. Sport, art culinaire, musées, festivals, colloques et symposiums à jets continus, Tout y est, ou presque. Il ne manque plus au tableau que l’octroi de droits politiques.

C’était une tradition : chaque hiver, des affiches affriolantes invitaient à l’évasion vers le soleil, en Egypte, en Jordanie, au Maroc ou encore en Tunisie, à grands renforts de pyramides, de palmiers-dattiers, de chameaux et de plages de sable fin.

C’était… Et ça le reste encore un peu, mais, désormais, ce sont les Êmirats unis, l’Arabie saoudite et le Qatar qui investissent, à grands frais de com’, stations de métro, magazines et chaînes de télévision, invitant à s’y envoler, soleil, sécurité et confort garantis.

Rien n’est laissé au hasard, à cet effet. Emirates, Etihad Airways, Saudia et Qatar Airways qui sillonnent en tous sens les cieux des cinq continents en facilitent l’accès. Quant au visa, longtemps laborieux à obtenir pour l’Arabie saoudite, il est de nos jours facile à obtenir, via le web, et ce pour un an et entrées multiples. Le Qatar, déjà ouvert aux Européens, dispense de ce sésame une centaine de pays, soit un État de l’ONU sur deux, tous non-arabes et musulmans, hormis le Liban, l’Iran, le Pakistan, le Kazakhstan, les Maldives et l’Indonésie.

Art power, soft power

Rien de surprenant à cet égard, le coût du séjour dans ces parages cossus n’est pas à la portée de tout un chacun, algérien, irakien ou somalien, d’où le ciblage prioritaire du public européen et nord-américain. Avec un parc d’avions dernier cri et des hôtels haut de gamme, le prix d’une semaine vol-hôtel Riyadh ou à Dubaï se révèle quatre fois plus cher que pour une formule vol-pension complète à Marrakech, à Djerba, à Bodroun ou à Charm El-Cheikh.

Après le visiteur religieux -hadj de La Mecque en Arabie-, le fan de football -Mondial du Qatar-, les Etat du Golfe tendent maintenant la main et ouvrent les bras au touriste ordinaire. Hormis l’Arabie saoudite, pays le plus vaste et le plus peuplé du Golfe, -à l’exclusion du Yéme-, qui dispose de vestiges nabatéens, -les villes saintes étant interdites d’accès aux non-musulmans-, les Émirats arabes unis et le Qatar y pallient, eux, par une offre de tourisme culturel et artistique, histoire de ne pas y « bronzer idiot », selon l’adage bien connu.

Qatar, après la Coupe, le coup d’après

Ragaillardi par le succès de la Coupe du monde, au défi d’un appel au boycott mondial, le Qatar se sent pousser des ailes. Un succès en appelant un autre, Doha postule déjà pour accueillir les Jeux olympiques de 2036.
En attendant, l’heure est à l’appel aux visiteurs, de l’amateur exigeant d’art –islamique, contemporain, abstrait- autant que le fan de ski nautique ou de virée en 4X4 sur les dunes de sable. Il y en aura pour tous les goûts.

La Fondation du Qatar à Doha abrite de nombreuses installations d'art contemporain comme celle du grand artiste indien Maqbool Fida Husain (1915-2011).

La Fondation du Qatar à Doha abrite de nombreuses installations d’art contemporain comme celle du grand artiste indien Maqbool Fida Husain (1915-2011).
Ici point de vestiges antiques, mais de belles pièces archéologiques dans les musées, babyloniens, assyriens, pharaoniques, grecs, romains et, bien sûr, islamiques.

À défaut de monuments historiques, hormis le site du fort d’Al Zubarah, vestige classé d’un ancien comptoir et port de pêche, le pays propose des constructions rétro-futuristes, mélange sui generis de style islamique et de structure post-moderne. Témoin, le musée d’Art islamique, le plus grand du pays. Œuvre de l’architecte américain Leoh Ming Pei, lconcepteur, entre autres ouvrages, de la pyramide du Louvre, ouvert fin 2008, le monument, qui repose sur un îlot artificiel, abrite une ample collection d’œuvres d’art islamiques, tapis, tissus, objets de céramique et de verre, fresques, gravures, calligraphies, tableaux et manuscrits, allant du VIIe au XIXe siècle.

Non loin, s’ouvre le musée National, création de l’architecte français Jean Nouvel. Imitant l’aspect d’une rose des sables, il donne à voir l’art de vivre -et de survivre- des bédouins du cru, déployant habitats, outils de travail, ustensiles de cuisine, objet de tous les jours, habits et bijoux ; films, vidéos et maquettes à l’appui.

La Bibliothèque nationale du Qatar, monument à la fois massif et léger, conçu par l’architecte néerlandais Rem Koolhaas abrite un million d’ouvrages, en anglais et en arabe pour l’essentiel, des milliers de manuscrits originaux, dont des fragments du Coran, des miniatures persanes ou mogholes, des cartes ottomanes, y compris un planisphère du XVIIIe siècle, et, trésor inattendu : les croquis originaux du littoral algérois, dessinés par l’espion français Vincent-Yves Boutin, chargé par Napoléon d’y repérer l’endroit le plus opportun pour une invasion du pays, plan qui aidera à la prise d’Alger, 22 ans plus tard.
Images du Musée d'art islamique le 12 décembre 2022.

Musée d’art islamique 

Un Musée arabe d’art moderne -Mathaf- présente, au sein de la Fondation du Qatar, un pôle urbain académique, culturel et artistique qui se rêve en Silicon Valley, le plus ample panorama de sculptures et de peintures d’artistes des « pays frères », du Maroc à l’Irak. Le visiteur découvre, en parcourant les galeries d’exposition, une autre image du Proche et Moyen-Orient. Une succession de tableaux y étalent la violence et la détresse qui minent ce monde dit arabe, avec son lot de guerres, de destructions, d’exils, de villes dévastées et de camps réfugiés.

Un univers si proche et pourtant si loin du Qatar.

Arabie saoudite, l’art populaire pour l’air

Longtemps réputé, et non sans raison, comme un pays quasi fermé, difficile d’accès, hormis pour les pèlerins du hadj, et rétif à tout spectacle public profane, le royaume saoudien rivalise désormais avec ses voisins en multipliant festivals internationaux, de cinéma, d’art plastique, de musique, y compris des concerts de hard rock, métal, death, black, grind, stoner, sludge…

Mieux, ce pays est devenu le paradis de l’art graphique, nonobstant l’interdit coranique sur la représentation humaine, interdit il est vrai ignoré durant l’âge d’or de l’islam. Pour en saisir tout l’enjeu, il suffit de rappeler l’effort de persuasion que le roi Abdelaziz, fondateur du royaume au début du siècle dernier, a dû déployer pour imposer la photographie ainsi que le téléphone et la radio à des oulémas frondeurs.

Mieux, ce pays est devenu le paradis de l’art graphique, nonobstant l’interdit coranique sur la représentation humaine, interdit il est vrai ignoré durant l’âge d’or de l’islam. Pour en saisir tout l’enjeu, il suffit de rappeler l’effort de persuasion que le roi Abdelaziz, fondateur du royaume au début du siècle dernier, a dû déployer pour imposer la photographie ainsi que le téléphone et la radio à des oulémas frondeurs.

4th Tuwaiq Sculpture, oeuvre de l'artiste turque Nilhan Sesalan.

4th Tuwaiq Sculpture, oeuvre de l’artiste turque Nilhan Sesalan.

Idem pour l’admission des filles à l’école, au tournant de 1960, un « affront » qui donne lieu à de violents remous sociaux. Et plus encore lors de la mise en route de la télévision, au mitan de 1965, une « hérésie » qui conduit des milliers de puritains à en assaillir le siège, à Riyadh. L’un d’entre eux, un prince, meurt suite à sa mise sous écrou. Son frère, pour le venger, abat au révolver, à bout portant, début mars 1975, le roi Fayçal, son propre oncle.

Aujourd’hui, il ne se passe pas un jour sans que Riyadh, la capitale, mais également Djeddah sur la mer Rouge et Dammam, sur le Golfe, n’organise une biennale internationale, une exposition de peintres, un festival de cinéma, d’arts graphiques et de photos. Signe des temps, les femmes y tiennent le haut du pavé !

Dernier en date, le festival d’arts graphiques, organisé à Riyadh par le Misk Art Institute, un organisme officiel. Une exposition intitulée Contes de nostalgie -«Tales of Nostalgia »– présente des œuvres de douze artistes saoudiens et internationaux, dont le Français Laurent Grasso, sur le thème du temps qui passe et de la technique qui l’abolit. Conduit par un duo de choc, Reem Al Sultan et Mashael Al Yahia, deux jeunes femmes passionnées d’art, l’Institut promeut, outre une exposition à ciel ouvert, la Misk Art Week, de peintres et de graphistes, tout un cycle d’ateliers de dessin, de design et même de musique. Des stands d’expositions étalent les travaux de dizaines d’illustrateurs et, surtout, spectacle tout nouveau, d’illustratrices et de peintres, où se lit ici et là l’influence de Van Gogh, de Chagall ou de Picasso.

Oeuvre de la Saoudienne Taghreed Albagshi exposée à Riyadh.

Oeuvre de la Saoudienne Taghreed Albagshi exposée à Riyadh.

Riyadh la rigoriste se met désormais à l’heure du Street Art. Du 8 janvier au 10 février 2023, la capitale se transforme en immense atelier de sculpture à ciel ouvert. Des artistes venus de vingt pays, dont la Chine, l’Autriche, l’Allemagne la France et, cela va de soi, l’Arabie, gravent et sculptent, sous les yeux d’un public avide de voir et savoir, leurs œuvres sur du granit et du grès « extraits du sol saoudien ».

De visu, le public, en majorité jeune et féminin, qui lambine au milieu des tableaux apprécie, savoure même, c’est patent. Les optimistes y entrevoient même les signes de l’octroi, à plus ou moins long terme, de droits politiques. L’art est long, la vie est courte, dit Hippocrate.

tv5monde

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