Suisse, Irlande, Suède… La neutralité des pays européens à l’épreuve de la guerre en Ukraine

La guerre en Ukraine a rebattu les cartes de la diplomatie en Europe et poussé certains États historiquement neutres à revoir leur positionnement. France 24 fait le point sur leur évolution.

Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, le 24 février 2022, des pays européens historiquement neutres ont entamé un changement inédit : si la Suisse a emboîté le pas à l’Union européenne et imposé des sanctions à la Russie, la Suède et la Finlande sont allées encore plus loin en demandant à rejoindre l’Otan.

Pour Max Bergmann, directeur du programme Europe du Centre d’études internationales et stratégiques (CSIS) basé à Washington, la guerre en Ukraine a ainsi « remis en cause le concept même de neutralité, et la manière dont des pays peuvent être neutres dans les circonstances actuelles ».

France 24 fait le point sur l’histoire et l’évolution des politiques de neutralité propres à certains pays d’Europe, mises à l’épreuve par la guerre en Ukraine.

La Finlande et la Suède
Partageant près de 1 340 km de frontière avec la Russie, la Finlande a longtemps choisi de rester neutre pour ne pas « contrarier ou provoquer » son puissant voisin, selon Andrew Cottey, de l’University College Cork. Le pays a ainsi signé en 1948 un accord de paix avec l’Union soviétique, dans lequel il affirme en préambule son « désir de rester en dehors des intérêts conflictuels des grandes puissances ». Ce traité, dont la Finlande est sortie après la chute de l’URSS, lui interdisait de rejoindre une alliance militaire contre Moscou et de permettre une attaque contre l’URSS depuis son sol.

Durant la Guerre froide, la Finlande a donc « toujours dû prendre en considération l’impact que chacun de ses actes politiques pourrait avoir sur ses relations avec l’Union soviétique », remarque Jacob Westberg, professeur associé en études sur la guerre à l’Université suédoise de défense.

De son côté, la Suède doit sa neutralité à une longue tradition, initiée dès 1815 et poursuivie durant la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide. Mais celle-ci est remise en question en 2007 avec la signature du traité de Lisbonne par la Suède : l’article 42.7 du texte stipule en effet que les pays membres de l’Union européenne se doivent assistance en cas d’attaque.

Stockholm signe également en 2009 une déclaration de solidarité avec l’Otan, qui pose depuis les bases de sa politique de sécurité. Cette déclaration indique que la Suède « ne restera pas passive si un autre État membre de l’Union européenne ou un pays nordique est attaqué ou touché par une catastrophe. Nous attendons de ces pays qu’ils prennent des mesures similaires si la Suède est touchée ». Enfin, la Suède adopte en 2011 une déclaration de solidarité avec ses voisins nordique – la Norvège, la Finlande, le Danemark et l’Islande –, affirmant que « si un pays nordique est touché, les autres l’aideront, s’il le demande, avec des moyens appropriés ».

Ce début de rapprochement entre la Finlande, la Suède et l’Otan connaît une nette accélération en 2014, lorsque la Russie annexe la Crimée. Les deux pays signent alors un accord de soutien avec l’Alliance atlantique, marquant, selon Jacob Westberg, « la première étape du rapprochement de la Finlande et de la Suède avec l’Otan » en matière de défense. Les deux pays augmentent également leurs dépenses de défense et s’arment pour lutter contre la désinformation russe.

L’invasion de l’Ukraine en février 2022 va jouer un rôle de catalyseur. Les opinions publiques refusent alors de conserver « une position ambiguë » face à la « menace potentielle d’une invasion russe », selon Max Bergmann. Les deux pays demandent à rejoindre l’Otan en mai 2022 afin de bénéficier de la protection mutuelle promise par l’article 5.

Depuis l’invasion russe, la Suède a fourni plus de 475 millions de dollars d’aide militaire à l’Ukraine, approuvant le 8 février son dixième envoi, d’une valeur de 406 millions de dollars. La Finlande n’est pas en reste et a apporté près de 590 millions d’euros d’aide militaire à Kiev.

La Suisse
La Suisse se targue d’avoir la plus ancienne politique de neutralité au monde, rappelle Jacob Westberg, et elle l’a même inscrite dans sa Constitution.

Le retour de la guerre en Europe l’a poussée à augmenter son budget militaire, fixé à au moins 1 % du PIB pour 2030, contre 0,67 % en 2019, et a également fait bouger l’opinion publique. Selon un récent sondage, 55 % des Suisses sont prêts à autoriser la réexportation d’armes suisses vers l’Ukraine, ce qui est pour le moment interdit. Le leader du Parti libéral-radical (FDP, centre-droit) a lui soumis une motion au gouvernement le 6 février pour faire évoluer la politique de neutralité du pays, tandis que le Parlement s’intéresse lui aussi à la question.

L’Autriche
L’Autriche est tenue à la neutralité par le traité d’État autrichien de 1955 et par sa Constitution, qui l’empêche de former des alliances militaires ou d’accueillir des bases militaires étrangères sur son sol. Mais Vienne a néanmoins promis plus de 580 millions d’euros à l’Ukraine, essentiellement sous forme d’aide humanitaire, et accueilli plus de 50 000 réfugiés.

« Si nous sommes militairement neutres selon notre Constitution et nos règlements juridiques, a ainsi souligné la ministre autrichienne de la Défense Klaudia Tanner, nous ne sommes certainement pas politiquement neutres à propos de l’Ukraine. C’est pourquoi nous avons soutenu toutes les sanctions prises par l’Union européenne depuis le début. »

Malgré ce soutien politique affiché à l’Ukraine, l’Autriche cherche cependant à conserver de bonnes relations avec la Russie. Le 28 février 2022, moins d’une semaine après le début de l’invasion, le chancelier autrichien, Karl Nehammer, a ainsi proposé d’accueillir à Vienne des pourparlers de paix entre l’Ukraine et la Russie. Et depuis que le gouvernement a annoncé qu’il autoriserait des parlementaires russes sous le coup de sanctions européennes à assister à une réunion de l’OSCE à Vienne les 23 et 24 février prochains, le pays est sous le feu des critiques de ses alliés européens.

L’Irlande
Dublin adopte sa politique de neutralité au début de la Seconde Guerre mondiale. L’Irlande ne participe d’ailleurs pas à l’effort de guerre malgré les appels des Britanniques et des Américains. En 1949, elle refuse également de rejoindre l’Otan, expliquant ne pas vouloir intégrer une alliance dont était membre le Royaume-Uni.

La neutralité irlandaise « tire essentiellement son origine de la lutte pour l’indépendance vis-à-vis du Royaume-Uni, et contient d’importants éléments d’anti-impérialisme et d’antimilitarisme », analyse Andrew Cottey, de l’University College Cork.

Juste après l’invasion russe de l’Ukraine, l’Irlande a cependant apporté clairement son soutien à Kiev, le Premier ministre irlandais de l’époque, Micheal Martin, résumant ainsi la position de son pays : « La politique officielle de l’Irlande est d’être militairement non alignée. Mais nous ne sommes pas non alignés politiquement ».

Si la majorité des Irlandais souhaitent rester neutres sur le plan militaire, le pays a versé quelque 55 millions d’euros à Kiev sous forme d’ »assistance militaire non létale », comme des gilets pare-balles ou des fournitures médicales pour les soldats ukrainiens. L’Irlande a également accueilli plus de 62 000 réfugiés, un nombre important au regard de ses 5 millions d’habitants.

Conscient que le pays ne devait plus « dépendre entièrement de la protection des États-Unis et du Royaume-Uni », selon Max Bergmann, le gouvernement a, en outre, annoncé la plus importante hausse de budget militaire de l’histoire irlandaise.

La guerre en Ukraine a ainsi remis la sécurité au premier plan des préoccupations européennes. Face à la peur d’une extension du conflit au-delà des frontières ukrainiennes, les pays traditionnellement neutres se voient contraints de repenser leur positionnement.

france24

You may like