Malgré neuf trains de sanctions de l’Union européenne, l’économie russe n’a connu qu’un repli limité de son PIB en 2022. Une « résilience » de l’économie russe saluée mardi par le président Vladimir Poutine lors de son discours sur l’état de la nation. Cependant, certains observateurs et responsables politiques occidentaux pointent du doigt des angles morts dans les statistiques officielles fournies par Moscou.
L’économie russe fait de la résistance. Loin de l’ »effondrement » prédit par le ministre français de l’Économie Bruno Le Maire après les premières vagues de sanctions occidentales ayant suivi le déclenchement de l’invasion russe de l’Ukraine, le PIB de Moscou n’a reculé que de 2,1 % en 2022, selon le service russe de statistiques Rosstat. L’économie russe devrait même reprendre quelques couleurs cette année avec une croissance de l’ordre de 0,3 %, selon le Fonds monétaire international (FMI).
« Nous avons assuré la stabilité de la situation économique, protégé les citoyens », a claironné mardi 21 février le président russe Vladimir Poutine dans son discours sur l’état de la nation, estimant que l’Occident avait échoué à « déstabiliser notre société ».
L’explication de cette apparente résilience de l’économie russe tient d’abord à la hausse des prix des hydrocarbures en 2022 qui a compensé la baisse du volume des exportations – une baisse de l’ordre de 25 % pour le gaz.
Autrefois premier client de la Russie, l’UE a réussi à réduire ses importations de gaz russe de 55 % dans l’espoir d’amoindrir les capacités de Moscou à financer son offensive en Ukraine. Or, en parallèle, la Russie s’est tournée vers d’autres partenaires commerciaux, dont la Turquie, l’Inde et surtout la Chine, dont les importations via le gazoduc « Force de Sibérie » ont bondi de 48 %, selon le vice-Premier ministre russe en charge de l’Énergie, Alexandre Novak.
Alors que la guerre d’invasion russe de l’Ukraine va entrer dans sa deuxième année, l’industrie de l’armement a également soutenu l’activité. « Il y a eu une forte hausse de la production de l’industrie métallurgique. C’est le signe assez évident que certaines branches du complexe militaro-industriel ont réussi à s’adapter. On voit aujourd’hui que des usines de l’Oural, par exemple, fonctionnent 24 heures sur 24 », explique David Teurtrie, maître de conférences en science politique à l’Institut catholique d’études supérieures.
Autre point fort de l’économie russe, selon le président Poutine : le secteur agricole. « D’ici la fin de l’année agricole, c’est-à-dire d’ici le 30 juin 2023, nous serons en mesure de porter le volume total des exportations de céréales à 55-60 millions de tonnes », a affirmé le président russe.
« Nous avons l’habitude des problèmes »
Gaz, pétrole, finance, commerce, technologies… tous les secteurs de l’économie russe ont été touchés par les vagues successives de sanctions occidentales. Cependant, les entreprises russes s’adaptent. Exclues du système SWIFT, l’indispensable système de messagerie sécurisée, les banques passent par des intermédiaires pour contourner les sanctions.
Des biens occidentaux sont facilement importés via des pays tiers comme le Kirghizstan, l’Arménie ou encore la Géorgie, des pays frontaliers au cœur de circuits commerciaux parallèles destinés à alimenter l’industrie russe.
L’agroalimentaire a su également rebondir avec l’émergence d’acteurs locaux venus substituer leurs produits à ceux vendus par des marques occidentales, comme les célèbres sodas Pepsi ou Coca-Cola.
« Depuis le début du capitalisme en Russie, nous avons connu au moins quatre grandes crises. Nous avons l’habitude des problèmes et, à vrai dire, ce ne sont pas les plus importants auxquels nous avons été confrontés », assure Iouri Sapryguine, un entrepreneur de la ville de Kalouga, en Russie centrale, joint par France 24.
Face aux sanctions occidentales, ce dernier a été contraint de remplacer des composants venus d’Europe et de Taïwan par du matériel russe et chinois. « Cela n’a pas été facile mais nous n’avons pas arrêté l’activité », explique le dirigeant de PME qui vend du matériel médical à des laboratoires d’analyses.
Cependant, tous les secteurs ne souffrent pas de la même manière. Très dépendant des importations en matière d’électronique, le secteur technologique subit de plein fouet les sanctions occidentales sur les semi-conducteurs, essentiels dans les industries militaire et aéronautique, ou encore dans le secteur de l’automobile.
Une situation économique tronquée ?
Ce dernier secteur est d’ailleurs l’un de ceux qui souffrent le plus actuellement en Russie. Selon l’Association of European Businesses (AEB), près d’un million de voitures en moins ont été vendues l’année dernière par rapport à 2021, soit un repli de 59 %. Un chiffre qui en dit long sur l’impact des sanctions mais aussi sur la perte du pouvoir d’achat des consommateurs russes, qui ont pâti comme tous les Européens d’une forte inflation, près de 12 % sur l’année écoulée. Elle devrait toutefois être contenue entre 5 et 7 % en 2023, selon la Banque centrale de Russie.
La situation est donc loin d’être idyllique. D’autant que certains observateurs et responsables politiques doutent des statistiques officielles fournies par la Russie. Réagissant aux chiffres du PIB russe, le président français Emmanuel Macron a estimé mardi que « l’économie russe souffre beaucoup », affirmant « ne pas croire » à la « propagande » de Moscou.
Certains indicateurs importants, comme les données du commerce extérieur, ne sont plus publiées. « Probablement pour empêcher l’Occident de revendiquer l’efficacité des sanctions », estime la directrice des prévisions mondiales de l’Economist Intelligence Unit (EIU) Agathe Demarais dans la revue Foreign Policy.
Par ailleurs, plus de 300 000 hommes ont été appelés à combattre en Ukraine et des centaines de milliers de Russes auraient fui le pays au cours des douze derniers mois. Une situation qui, à terme, pourrait peser sur la production du pays. « Au-delà des sanctions, c’est probablement cet aspect qui a le plus pénalisé l’économie russe dans la deuxième partie de l’année car cette émigration a été surtout le fait de Russes aisés et diplômés », analyse David Teurtrie.
Le pire est-il à venir ?
Si l’économie russe tient encore debout, elle semble durablement fragilisée et la situation pourrait aller en empirant. Certaines sanctions n’ont en effet pas encore eu le temps de produire leurs effets. C’est le cas des sanctions touchant le pétrole, première source de revenus du budget fédéral.
Depuis le mois de décembre, un embargo européen est entré en vigueur sur les exportations de brut russe. Il s’accompagne d’un plafonnement du prix du baril transporté par voie maritime. Depuis le 5 février, les mêmes mécanismes s’appliquent aux produits raffinés.
Ces embargos pourraient considérablement pénaliser le budget de l’État. Selon les données du Center for Research on Energy and Clean Air (Crea), l’UE a payé 84 milliards d’euros à la Russie pour son pétrole depuis l’invasion de l’Ukraine.
‘ »Ce n’est que le début. Il faut voir les sanctions comme un marathon, pas un sprint », assure Agathe Demarais, qui prédit dans les prochains mois « une équation impossible entre le financement de la guerre en Ukraine et le maintien des aides sociales à un niveau suffisamment élevé pour éviter des troubles » au sein de la population.
« Les prix du pétrole sont moins élevés et l’impact se ressent pour le budget russe mais les marchés vont sans doute se stabiliser », assure de son côté David Teurtrie. Selon le chercheur, la Russie reste loin de l’asphyxie et a encore de sérieux arguments à faire valoir face à la pression des sanctions : d’énormes réserves financières et « un faible endettement lui offrant une importante capacité d’emprunt ».
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