C’est un déchet insoupçonné. Non identifiés et souvent invisibles, des filets fantômes, souvent perdus par les pêcheurs, errent dans les océans. On les pense en corde, ils sont en réalité en plastique et empoisonnent la vie sous-marine. Chaque année, près de 80 000 kilomètres carrés de filets, l’équivalent de la superficie de l’Écosse, disparaissent dans les fonds marins ou flottent à la surface.
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Mission : récupérer un filet perdu
L’association Les Ressources Marines a fabriqué de toutes pièces un ROV, un petit robot qui permet d’aller chercher les filets perdus au fond de la mer. Ce jour-là, au large de l’île de Porquerolles, dans le sud de la France, l’équipe part à la recherche d’un équipement de pêche perdu qui leur a été signalé. Le robot, piloté à distance, est équipé d’une caméra et peut atteindre 300 mètres de profondeur. Une fois le filet grappiné, il peut être remonté à bord, soit par le robot seul, soit avec l’aide de plongeurs. « Les filets fantômes, en tant que plongeurs, amoureux du milieu, forcément ça ne nous plaît pas. On aimerait ne plus en voir », regrette Olivier Trubert, le vice-président de l’association. « Ça nous fait mal au cœur, mais ça fait mal au cœur aussi au pêcheur, qui perd son filet, un outil de travail. Ça a une valeur monétaire. »
La pêche fantôme : le cercle vicieux
Effectivement, un filet coûte aux alentours de 10 000 euros. C’est donc dans l’écrasante majorité des cas un acte involontaire de la part du pêcheur qui n’a rien à gagner à la « pêche fantôme ». Ils perdent leurs filets à cause du mauvais temps, quand ils s’emmêlent avec ceux d’autres pêcheurs ou encore lorsqu’ils sont accidentellement coupés par d’autres navires. Les courants les font voyager sur des milliers de kilomètres, il est difficile de suivre leur trace et de les récupérer. Au total, les engins de pêche fantôme représentent 10 % à 20 % du total des plastiques déversés dans les océans.
Aujourd’hui, la communauté scientifique se mobilise pour étudier le phénomène. Sandrine Ruitton, à l’Institut méditerranéen d’océanologie, explique la dualité du problème. D’abord, les filets continuent à pêcher, sans jamais être relevés. Des poissons sont pris dans les mailles, en attirent d’autres, souvent plus gros, à leurs tours coincés et qui meurent d’asphyxie au bout de 24 à 48 heures.
Et puis, les filets finissent par tomber au fond et recouvrir la vie sous-marine. « On constate que les roches qui sont recouvertes par ces filets sont complètement recouvertes de vase », explique la scientifique. « Ce sédiment reste sur la roche, il va complètement étouffer les habitats marins, si bien que ça va empêcher les algues de pousser, les éponges de se développer, etc. » La chercheuse mène un projet sur la résilience de ces milieux, une fois que les filets ont été retirés. Elle a constaté qu’un an après le retrait, la vie revient, les organismes, les couleurs et les poissons. « On était assez surpris de la vitesse de cette recolonisation. Cela montre l’efficacité du retrait des filets pour améliorer l’état de l’environnement », conclut Sandrine Ruitton.
Recyclage : monter une filière de zéro
De nos jours, les filets de pêche sont plus fragiles qu’autrefois. En nylon, ils s’usent plus vite. Ce sont donc autant de déchets à gérer. Malheureusement, aucune filière n’existe pour recycler les filets hors d’usage. Pour ne pas les laisser en mer ou dans des décharges, Sabine Meneut a créé une startup, Glokis. Seule, avec son énergie et sa petite camionnette blanche, elle ramasse les vieux filets que les pêcheurs lui ont laissé à quai, dans des bacs de collecte, à Port-de-Bouc près de Martigues, 80 à 100 kg de filets tous les trois mois. « Les filets de pêche qui sont perdus en mer ne se recyclent pas », explique Sabine. Chargés en matière organique, lourds, dégageant une mauvaise odeur, ce ne sont pas de bons clients pour le recyclage.
Les filets usagers sont bien plus propres, mais « il va y avoir une grosse phase de tri », rectifie Sabine, « il faut retirer les plastiques, les déchets organiques comme les algues, les éponges ou les petits morceaux de rocher qu’on va trouver dedans. » Une fois le filet débarrassé, puis roulé, il est ensuite envoyé à Brest, où une autre start-up, Fil & fab, les valorise, les transforme en pellets de plastique, la matière première pour le recyclage. Un vieux filet deviendra une monture de lunettes ou un aileron de surf, un retour à la mer.
Des filets biodégradables à l’étude
Il est 3 heures du matin. Kévin Truchon, le patron, ainsi que deux marins pêcheurs partent en mer, au large de Fécamp en Normandie, sur leur petit bateau, le « Gauthier-Lucile ». Quatorze heures de travail les attendent. En plus de pêcher la sole, l’équipage a une mission : tester des nouveaux filets biodégradables. Composés de plastique, mais aussi de bio-polyester, à base de maïs ou de canne à sucre, ils peuvent en théorie se désintégrer plus facilement dans l’eau s’ils sont perdus, sans diffusion de micro-plastiques.
Volontaire pour le programme pilote, Kévin Truchon les utilise en alternance avec des filets classiques depuis cinq mois. « Je trouve que c’est bien pour éviter de polluer et surtout pour arrêter de pêcher au fond pour rien », explique-t-il. Mais il n’est qu’à moitié convaincu : « La maille [des filets biodégradables] est un peu plus épaisse. Donc pour l’instant, c’est un peu trop rigide. Si elle était plus souple, le filet pêcherait mieux. » Reste une inconnue de taille qui sera clef dans la décision pour Kévin d’adopter définitivement ces filets : leur coût. Avec l’augmentation des prix du carburant, son autre dépense principale, impossible pour lui de payer des filets plus chers. Et le marin pêcheur de conclure : « Si on a des filets biodégradables, je pense qu’on aura la conscience plus tranquille. Moins on polluera, mieux ça sera pour nous et pour notre avenir. »
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