Naufrage organisé d’un porte-avions toxique dans l’océan

Après 37 ans de service dans la marine française et une vingtaine d’année sous pavillon brésilien, le pays sud-américain a décidé de couler son porte-avion São Paulo au large de sa côte nord-est atlantique, et ce malgré la présence d’importants taux d’amiante et de déchets toxiques à son bord. Face aux risques certains de pollution des écosystèmes de la région et de la chaîne alimentaire marine, plusieurs ONG dénoncent un crime environnemental.

la marine brésilienne a organisé le naufrage contrôlé du porte-avions São Paulo à 350 km des côtes du pays, dans une zone de l’océan Atlantique d’une profondeur approximative de 16 000 pieds (5 000 mètres). Cette décision est intervenue après que les autorités aient échoué à trouver un port prêt à l’accueillir.

Autrefois connu sous l’appellation de Foch, ce porte-avions de 266 mètres de long construit à la fin des années 50 a servi la marine française pendant près de quatre décennies. Capable de transporter pas moins de 40 avions de combat, il a notamment participé aux premiers essais nucléaires français dans le Pacifique, et a été déployé en Afrique, au Moyen Orient et en ex-Yougoslavie, jusqu’à ce qu’il soit remplacé par le Charles-de-Gaulle, un porte-avion à propulsion nucléaire.

Le porte-avions Foch en service sous le contrôle de la marine française – Flickr

Une erreur d’investissement

En 2000, cet ancien fleuron de la marine française, au lieu d’être convenablement réhabilité par la France, est vendu au Brésil pour la modique somme de 12 millions de dollars. Pour le rendre pleinement opérationnel, il aurait fallu réaliser des travaux à hauteur de 80 millions de dollars. Ni la marine française, ni la marine brésilienne ne voudront investir dans la remise en état.

Mis hors service au printemps 2021, la société turque de recyclage maritime Sök Denizcilik s’est portée acquéreuse de la coque pour 10,5 millions de dollars. Après avoir cherché pendant plus d’un an un port prêt à l’accueillir, la Turquie autorise finalement en juin 2022 son transport vers un chantier naval turc pour réaliser son démantèlement.

À l’aide du remorqueur néerlandais ALP Guard, le São Paulo entreprend alors la traversée de l’Atlantique pour rejoindre les eaux turques. Toutefois, coup de théâtre, arrivé au détroit de Gibraltar, les autorités environnementales turques font marche arrière craignant qu’il ne contienne davantage d’amiante que prévu.

De retour au Brésil, il ne pourra malheureusement pas accoster, le voyage ayant gravement endommagé l’état de sa coque.

1985, le porte-avions Foch en service sous le contrôle de la marine française – Flickr

Catastrophe environnementale

Selon une étude menée par la société norvégienne Grieg Green, le porte-avions contenait 9,6 tonnes d’amiante, 644,7 tonnes de métaux lourds, présents notamment dans sa peinture, et pas moins de 10 000 lampes fluorescentes au mercure. Alors que nos océans et la biodiversité marine sont déjà sous pression et que le président brésilien fraîchement élu, Lula da Silva, s’est engagé à mettre fin aux multiples écocides qui ont touché le Brésil sous l’ère Bolsonaro, ce naufrage contrôlé apparaît comme un nouveau crime environnemental.

Pourtant les procureurs fédéraux brésiliens et Greenpeace avaient imploré le gouvernement à renoncer à cette hérésie écologique, en vain. En effet, le parquet fédéral brésilien avait introduit une requête en justice en vue d’interdire à la marine de couler le navire. Bien que cette situation soit « tragique et regrettable », le juge a rejeté la demande considérant qu’un sabordage non planifié pourrait aboutir à une catastrophe environnementale plus conséquente que son naufrage contrôlé.

Deux Grumman F-14A Tomcat de l’US Navydu Fighter Squadron 14 (VF-14) “Tophatters” survolent le porte-avions français Foch (R99) lors d’un exercice conjoint en mer des Caraïbes au cours duquel le Foch et le porte-avions de l’US Navy L’USS John F. Kennedy (CV-67) y participait. 1 mai 1990. 

Enfin, en procédant à ce naufrage, les autorités brésiliennes semblent avoir violé plusieurs traités internationaux dont elles sont signataires :

– la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination ;

– la Convention de Londres visant à lutter contre la pollution marine et interdisant l’immersion des déchets industriels en mers ;

– la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants.

Hélas, tel que l’a tristement rappelé Leandro Ramos, directeur des programmes de Greenpeace Brésil :

« D’AUTRES MESURES ÉCOLOGIQUEMENT RESPONSABLES AURAIENT PU ÊTRE ADOPTÉES. MAIS UNE FOIS DE PLUS, L’IMPORTANCE DE LA PROTECTION DES OCÉANS, VITAUX POUR LA VIE DE LA PLANÈTE, A ÉTÉ TRAITÉE AVEC NÉGLIGENCE ».

Bien que la marine brésilienne ait garanti avoir choisi un lieu pour le naufrage qui limite les impacts sur la santé publique, les activités de pêche et les écosystèmes, le triste sort du São Paulo posera certainement d’importantes menaces pour la biodiversité marine et les communautés côtières de la région. Une fois de plus, les intérêts militaires et le soin aux écosystèmes naturels ne font pas bon ménage.

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