Aux César, le triomphe de La Nuit du 12, l’arrivée surprise de Brad Pitt et des écolos… Récit de la soirée

À Plein Temps, Pacifiction et L’Innocent repartent avec deux trophées chacun dans une soirée marquée par un hommage à David Fincher et une interruption de transmission.

Il y a les surprises : l’arrivée de Brad Pitt pour un hommage à David Fincher ou celle d’une militante écologiste qui interrompt la cérémonie. Et il y a le palmarès. Avec La Nuit du 12, qui se penche sur le drame des féminicides, Dominik Moll succède aux Illusions perdues et remporte le César phare du meilleur film. Le polar concrétise six de ses dix nominations. Le Belge laisse deux statuettes à L’Innocent qui avait pourtant décroché le nombre record de 11 nominations, mais aussi deux à Pacifiction et à À Plein Temps. Le grand perdant de la soirée reste En Corps de Cédric Klapisch qui rentre les mains vides malgré neuf citations.

Le temps de parole -60 secondes par lauréat- fut plutôt scrupuleusement respecté. Mais le temps gagné s’est fait au détriment des discours, souvent décousus ou couverts par la musique. La nervosité des orateurs était palpable. La présentation tournante a tenu sa promesse de changements réguliers d’atmosphère. Malheureusement, l’humour et la subtilité ont été de moins en moins au rendez-vous au fur et à mesure des récompenses. Et ont fait place à des moments de gêne marqués.

Une militante écologiste de Dernière rénovation a fait irruption sur scène provoquant une coupure d’antenne. Ahmed Scylla et Léa Drucker ont tenté de reprendre la main. 

«Il y a quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes. Un décès de femme survient tous les deux ou trois jours. Seules les femmes savent dans leur chair ce qu’on leur inflige, a témoigné la productrice de La Nuit du 12 Caroline Benjo dans une prise de parole enfin frontale sur le cœur du drame. Après avoir libéré la parole, il faut libérer l’écoute, celle des femmes qui tendent un miroir sans concession. C’est pour cela que ce film nous bouleverse. Vive les femmes et les hommes qui rejoignent ce combat». «J’ai une pensée pour la vraie Clara, la vraie victime de l’affaire qui a donné lieu au film. Elle s’appelait Maud», a ajouté Dominik Moll.

Benoît Magimel, lui, enregistre un doublé historique avec un second César d’affilée du meilleur acteur. L’année dernière pour De son vivant de la réalisatrice Emmanuelle Bercot. Cette année pour son rôle de haut-commissaire véreux dans Pacifiction d’Albert Serra. Au final, c’est sa troisième statuette avec celle dans un second rôle pour La Tête haute«C’est irréel. J’ai eu beaucoup de liberté sur ce film. Je suis très ému. Ce trophée, c’est pour mon père. Un César pour la troisième fois, c’est encore mieux», a-t-il lancé.

Consécration – enfin – pour Virginie Efira ! Nommée à six reprises, la taulière du cinéma français remporte le César de la meilleure actrice pour son personnage de rescapée d’attentat dans Revoir Paris . «J’ai tourné 63 films cette année, donc j’avais un avantage numérique», a-t-elle plaisanté avec l’esprit qu’on lui connaît. Dirigée par Alice Winocour et Rebecca Zlotowski ces derniers mois, Efira a elle aussi regretté l’absence des réalisatrices dans la sélection. Et a cité toutes les cinéastes avec qui elle a tourné.

                                                                                    Noémie Merlant 

Révélée par Portrait de la jeune fille en feuNoémie Merlant décroche le César du meilleur second rôle pour sa performance dans L’Innocent de Louis Garrel, où elle joue sa comparse et l’objet de son affection silencieuse. «Je suis très émue. Je remercie mon père qui m’a guidée jusqu’ici avec beaucoup d’amour. Louis merci pour ce grand film qui m’a emmenée là où je ne l’ai pas l’habitude d’aller. Je me suis beaucoup amusée. J’ai une pensée pour toutes les réalisatrices qui ne sont pas là ce soir alors qu’elles devraient être honorées». Nouvelle allusion à l’invisibilisation des réalisatrices dans cette édition.

                                                                                             Bouli Lanners 

Bouli Lanners pour son rôle d’enquêteur La Nuit du 12 est sacré meilleur second rôle. «Je ne sais pas quoi dire. Ce moment est tellement improbable pour moi qui viens de Liège. Je vous aime», témoigne-t-il en évoquant «son syndrome de l’imposteur». Pour compléter leur tableau de chasse, Gilles Marchand et Dominik Moll s’emparent aussi du César de l’adaptation pour La Nuit du 12 .

                                                                                    Louis Garrel 

Louis Garrel, lui, ne montera qu’une fois sur scène. Il récupère le prix du meilleur scénario pour sa comédie de braquage L’Innocent et dédie son prix à l’Ukraine et au scénariste Jean-Claude Carrière qui lui a appris «deux ou trois choses». Mal à l’aise, le lauréat a lu son discours sur son smartphone, les yeux collés à l’écran.

                                                                                     Dominik Moll 

Au final, Dominik Moll va devoir faire beaucoup de la place sur son étagère car il a également reçu, pour la seconde fois de sa carrière, le César du meilleur réalisateur. Un peu stressé, le cinéaste, qui parle de couper son César en plusieurs morceaux pour récompenser ses chefs de poste, se perd dans ses propos avant de remercier «la curiosité du public qui a porté son drame avec un fabuleux bouche-à-oreille. Il faut entretenir cet état d’esprit».

                                                            La venue de Brad Pitt avait été tenue secrète. 

Moment clef de la soirée, Virginie Efira avait le plaisir – visible – de faire l’éloge de David Fincher. Le réalisateur de The Social Network est le récipiendaire d’un César d’honneur. «David, vous nous embarquez auprès des marginaux. C’est drôle, pas forcément aimable mais c’est un miroir lucide. Tout se retourne, la vérité et les mensonges, l’amour et la répulsion», a lancé la comédienne belge. De l’amour, il y en avait sur scène avec un invité surprise : Brad Pitt. Le fréquent collaborateur de David Fincher a été salué par une standing-ovation. «J’ai joué dans trois films de David, je suis un rescapé», plaisante la superstar hollywoodienne de Seven citant les meilleurs conseils de son cinéaste : «Amusez-vous mais pendant vos week-ends!», «il n’a pas fait 90 prises mais 92 pour la même scène!». «J’adore cet homme et cette embuscade me ravit. Avec lui, il n’y a pas de d’à peu près. Travailler avec lui, c’est tutoyer l’excellence. Pour lui, on se traînera sur du verre pilé pour refaire une scène avec lui».

                                            Brad Pitt et Virginie Efira couvent David Fincher de leur regard. 

Sur scène, David Fincher s’est dit «étonné» de cette récompense décernée par le monde du cinéma français. «Ce type de nouvelle évoque une image d’hospice mais quand des gens comme vous, qui aiment autant l’architecture, la littérature, la critique que le cinéma appellent, on accourt».

Récompensé à la Mostra de Venise et candidat de la France aux Oscars, Saint-Omer d’Alice Diop a logiquement décroché le trophée du meilleur premier film. La lauréate a livré un des discours les plus significatifs de la nuit. «Je vais prendre un TGV. Vous n’allez pas oser couper une femme noire en plein discours, a-t-elle brocardé en référence aux consignes de faire court. Je n’aurais jamais imaginé il y a un an d’arriver jusqu’ici. Je suis fière d’appartenir à cette nouvelle génération de réalisatrices françaises. Je vais vous citer les noms des films que j’ai aimés signés Rebecca Zlotowski, Alice Winocour, Mia Hansen-Løve». Autant de consœurs, snobées de manière incompréhensibles lors du processus des nominations.

                                                                                       Alice Diop Le César du meilleur film étranger couronne le thriller rural As Bestas de Rodrigo Sorogoyen, grand gagnant des Goya, les César ibériques. «Merci de nous laisser être un petit morceau du cinéma français. Merci à notre courageux producteur Jean Labadie et à mes incroyables comédiens, dont le grand Denis Ménochet».

Sacrée meilleur espoir fémininNadia Tereszkiewicz a remercié sa réalisatrice Valeria Bruni-Tedeschi pour l’aventure des Amandiers «qui a su libérer son jeu». La comédienne, coupée par la musique, a dédié son trophée à la troupe du film, éclaboussé par la mise en examen pour viol de son acteur principal Sofiane Bennacer.

                                                                            Nadia Tereszkiewicz 

Le trophée du meilleur espoir masculin revient, lui, à Bastien Bouillon pour La Nuit du 12«Un César pour avoir gardé espoir, même si le plus dur reste à venir». Perdue dans une énumération de remerciements, la musique ne le laisse pas aller plus loin.

                                             Bastien Bouillon essaie d’aller plus vite que les 60 secondes allouées. 

La statuette du meilleur court métrage a couronné Partir un jour réalisé par Amélie Bonnin«À 40 ans et deux enfants et des cheveux blancs, c’est formidable d’être entouré de voir que la vie commence».

Le César des meilleurs costumes est remis à Gigi Lepage avec Simone, le voyage du siècle. Celui des décors est également allé à ce biopic de celle qui a porté la légalisation de l’IVG pour le travail de Christian Marti, qui a notamment reconstitué les mois de déportation de la ministre. Celui du meilleur son à La nuit du 12 . Le prix de la meilleure bande originale est pour Irène Drésel avec À plein temps, première lauréate de sa catégorie. Ce qu’elle n’a pas manqué de rappeler en haussant le ton pour couvrir la musique. Le César des meilleurs effets visuels tombe dans l’escarcelle de Laurens Ehrmann pour Notre-Dame brûle.

Le César de la meilleure photo distingue l’étrange voyage à Tahiti d‘Albert Serra Pacifiction pendant que le prix du montage honore la course-poursuite d‘À plein temps .

La Vie sexuelle de mamie d’Urska Djukić est reparti avec le trophée du meilleur court-métrage d’animationMa Famille Afghane de Michaela Pavlatova repart avec le prix du long-métrage d’animation«L’aide du cinéma français pour les cinémas étrangers est extraordinaire».

Maria Schneider, 1983 d’Élisabeth Subrin rafle le César du meilleur court-métrage documentaireRetour à Reims (Fragments) de Jean-Gabriel Périot décroche l’équivalent en long-métrage. La productrice le dédie «à ceux qui luttent pour une meilleure retraite». Dans une rare allusion à l’actualité.

Exhorter le pouvoir cathartique du cinéma

Juste avant la cérémonie, l’excitation et la tension étaient palpables sur le tapis rouge arpenté par les nommés et par le président de la soirée, Tahar Rahim, et les douze animateurs, chargés de redynamiser une soirée décriée pour son entre-soi, ses messages politiques hors sol et sa durée interminable.

Tahar Rahim a porté le message positif attendu : «Enfant, j’ai été invité par mon voisin qui s’était constitué un vidéoclub de cassettes. Il a ouvert mon imaginaire, ma sensibilité à la différence. Le cinéma c’est le meilleur pote, il t’aide à flirter, pardonner, aimer. Il est un vivier à vocation : médecin, journaliste, agriculteur. Tout le monde y trouve sa place : les intellectuels, les cancres. Le septième art donne autant à ceux qui le font qu’à ceux qui le regardent».

Parmi les animateurs, Jamel Debbouze a assuré le discours d’ouverture dans un style très américain, en citant les films nommés. Il a expliqué que «cette présentation collective a été choisie faute de volontaire». Les premiers gags tombent ; Corinne Masiero et Will Smith en prennent pour leur grade. L’humoriste rappelle aux perdants qui seront majoritaires de garder le sourire. Rappelant la concurrence accrue des plateformes «qui pour neuf euros permettent de voir tous les films de Sandra Bullock tout en faisant pause», Debbouze propose de s’adapter. «On a le meilleur cinéma au monde ! Ayez confiance en vous». Et liste une pléthore de solutions loufoques «Avatar est en tête de notre box-office mais notre cinéma d’auteur manque de cascades. Et si on mettait Anaïs Demoustier dans un avion de chasse ?». Se moquant de l’idylle de Juliette Binoche et Vincent Lindon chez Claire Denis, il a provoqué une petite réaction de l’actrice qui s’est levée et a fait non du doigt.

Soirée dédiée à l’Ukraine et à l’Iran

Un an jour pour jour après le début de l’invasion russe, l’Ukraine était bien sûr dans tous les esprits. Alors que les stars défilaient encore sur le tapis rouge, Juliette Binoche, dans un message préenregistré, a annoncé que cette cérémonie était dédiée aux Ukrainiens et à leur président résistant. «Volodymyr Zelensky était un acteur, il est devenu avec celles et ceux qui l’entourent qui l’entourent l’incarnation du courage», a annoncé l’actrice, en lice pour le trophée de la meilleure comédienne.

Son intervention a trouvé écho en celle de l’actrice iranienne Golshifteh Farahani qui a récité un poème de Victor Hugo et exhorté la France à soutenir les manifestants qui contestent le régime des Mollah. Une allocution très applaudie.

La ministre de la culture Rima Abdul-Malak, tout juste revenue d’Ukraine, s’est félicitée de «l’appétit pour le 7e art des Français et de la qualité des films sortis». Et a confié avoir eu le coup de cœur pour L’Innocent, son premier film à Cannes en tant que ministre, et les héros adolescents des Pires. À l’image des salles pleines entre la super production de Guillaume Canet Astérix et Alibi.com 2, nouveau film bricolé par Philippe Lacheau. Les spectateurs semblent avoir retrouvé le chemin des salles obscures. Et il ne faudrait pas que les César les en dégoûtent.

lefigaro

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