L’expert jordanien en géologie Ahmed Malabeh a déclaré dans un article plutôt surprenant à lire que les barrages construits par la Turquie pourraient avoir joué un rôle potentiel dans les récents séismes survenus en Turquie et Syrie. Pour décrypter l’analyse d’Ahmed Malabeh, nous avons interviewé Louis De Barros, spécialiste de la relation fluide et séisme à l’Université Nice-Sophia Antipolis.
Il y a quelques jours, nous avons lu un article plutôt surprenant dans lequel l’expert jordanien en géologie Ahmed Malabeh déclarait que les barrages construits par la Turquie avaient eu un impact géologique potentiel sur les tremblements de terre qui ont eu lieu en Syrie et en Turquie la semaine dernière. S’il y a bien des séismes possiblement déclenchés par le barrage d’Ataturk, mais qui ont lieu sous le barrage, les « séismes récents sont a priori trop loin de ce barrage pour qu’il y ait un lien, ou uniquement « la petite goutte qui fait déborder le vase » », nous explique Louis De Barros, spécialiste de la relation fluide et séisme à l’Université Nice-Sophia Antipolis.
Pour l’expert français, il « n’est pas faux de dire qu’il peut y avoir des relations ». En effet, et cela a été démontré à plusieurs reprises, des « séismes peuvent être déclenchés par des barrages ». Mais, Louis De Barros se veut mesuré dans ses propos et tient à préciser que si « des barrages sont bien responsables de séismes, ils sont généralement de petites magnitudes. La perturbation due à un barrage peut éventuellement faire des séismes plus forts en amenant à la rupture des failles qui, de toute manière, devaient rompre dans des délais plus ou moins courts ». Donc, la petite goutte qui fait déborder le vase…
Dans le cas du barrage Ataturk, le plus grand de la Turquie avec une capacité d’eau totale de 48,7 milliards de m3, situé sur l’Euphrate dans le sud-est du pays, « il est peu probable qu’il est joué un rôle dans les séismes dévastateurs qui viennent de frapper la Turquie et la Syrie ». Il se situe bien trop loin de la faille est-anatolienne concernée. De manière générale, « l’influence des barrages ne s’étend que sur une très petite zone qui n’excède pas environ 1 à 1,5 fois leur longueur, bien qu’avec le temps de petits séismes peuvent se former et s’éloigner progressivement du barrage ».
Des séismes déclenchés ou induits, difficiles à définir
Le barrage d’Ataturk a pu déclencher des séismes, « comme cela a été le cas en 2017 et 2018 avec des séismes de magnitudes inférieures à 5,5 ». Dans ce cas, les mécanismes à l’œuvre ne sont pas simples. La masse de l’eau contenue dans le barrage a « plutôt eu tendance à empêcher la faille de glisser, tandis que la pression de l’eau a favorisé ce glissement ». Le décalage en temps, environ 30 ans après la mise en eau, fait aussi que le « lien barrage-séisme n’est pas évident, mais les données sont très incomplètes à l’époque de la mise en eau pour avoir l’histoire complète de la sismicité induite par ce barrage ». Cela dit, il y a des cas où le rôle du barrage est controversé. Peut-être comme « un séisme de magnitude 6,3 induit par le barrage de Koyna en 1963, ou, potentiellement le séisme très meurtrier survenu en 2008 en Chine après la mise en eau d’un barrage ». Alors, effectivement, un barrage peut déclencher un séisme, mais « ce n’est pas lui qui amène les contraintes tectoniques qui généreront un séisme ».
Deux mécanismes liés aux barrages peuvent influer sur la formation d’un séisme. L’un, lié « au poids, ce qui va augmenter la contrainte verticale et donc avoir un effet sur des failles normales ». L’autre, lié « à l’augmentation de la pression dans les failles », c’est-à-dire que « l’eau du barrage s’infiltre à l’intérieur des failles ». C’est un « mécanisme connu mais pas forcément bien compris » dont la principale conséquence est de « diminuer la résistance sur la faille et donc, elle va pouvoir glisser ». Dans le cas des séismes survenus en Turquie, « ce ne sont pas les scénarios que nous privilégions ».
Pas de risque en France
En France, le « risque sismique posé par des barrages est quasi nul aujourd’hui car il n’y a plus de mise en eau et pas de construction de grand barrage ». Une situation qui était très différente dans les années 1960 « où l’on a certes recensé des séismes de magnitude de moins de 5 que l’on pense déclenchés avec la mise en eau de barrage ». Ce type de séisme dit déclenché est « a priori juste avancé, il aurait eu lieu, sans doute plus tard, même sans barrage ». A contrario, un séisme induit est un séisme directement généré par le barrage, et donc généralement de magnitude faible. Vu les données de l’époque, il est très difficile de savoir dans quelle catégorie tombent les séismes. En conclusion, si la France décide de construire de nouveaux barrages, « maintenant que ses effets sur la géologie sont connus, il sera donc nécessaire d’en tenir compte ».
FUTURA