Mis en cause par un audit soulignant son comportement sexiste, le président de la FFF, Noël Le Graët, a démissionné mardi lors d’un Comité exécutif mettant fin à un long feuilleton. Homme fort du football français des années 2010, il a toujours flirté avec le dérapage sur les sujets de société, ce qui aura fini par lui coûter son poste.
C’est terminé. Après de longs mois de crise, Noël Le Graët, en retrait de la présidence de la Fédération française de football (FFF) depuis début janvier, a enfin remis sa démission mardi 28 février lors d’un Comité exécutif (Comex) de l’instance. Pendant plus d’une décennie, il a dirigé le football français avec poigne et habileté politique. Mais sa fin de règne sera venue d’un énième dérapage et de la levée de la chape de plomb qui semblait peser sur ses pratiques et comportements au sein de la FFF, abîmant un peu plus l’image du « Menhir » de 81 ans.
Au siège parisien de la FFF qu’il dirigeait depuis 2011, Noël Le Graët a prévenu le Comité exécutif de sa démission, a appris l’AFP auprès d’un membre de ce Comex décisif pour l’avenir du football français. Autour de la table, les membres de ce « gouvernement » fédéral lui ont rendu un « hommage », selon la même source. Le Comex s’attendait à voir le président céder sa place de lui-même, après plusieurs mois de turbulences autour du dirigeant. Philippe Diallo, le vice-président, va continuer d’assurer l’intérim à la tête de l’instance.
Habile politique, Noël Le Graët avait encore une dernière carte dans sa manche. Dans la foulée de sa démission, Éric Borghini, membre du Comité exécutif, a annoncé que le Breton avait été nommé au bureau de Paris de la Fifa. « Il va diriger le bureau de Paris. Il a été nommé en raison de ses compétences, son expertise et son expérience », a expliqué son ancien allié. Un – ultime ? – pied de nez à la ministre des Sports, Amélie Oudéa-Castéra, en conflit ouvert avec Noël Le Graët.
De l’agro-alimentaire au football
Né un 25 décembre dans une famille pauvre des Côtes-d’Armor, le président de la FFF s’est forgé un destin national depuis Guingamp, où il a fait fortune dans l’agro-alimentaire, propulsé le club local, l’En Avant, du monde amateur à la Coupe d’Europe et dirigé la mairie.
Le fondateur du groupe Le Graët (800 salariés), spécialisé dans la pêche, les conserves et les surgelés, s’est imposé dans la France du foot en présidant la Ligue professionnelle de 1991 à 2000. L’ancien représentant en électroménager et hi-fi a procédé à un toilettage de la gestion des clubs, avec l’instauration de la DNCG (l’instance de surveillance de la santé financière des clubs français) et est entré en collision frontale avec Bernard Tapie au moment de l’affaire VA-OM (1993), ce qui a renforcé sa stature.
L’octogénaire, en place depuis 2011, a su tisser un réseau au-delà du cercle socialiste de ses débuts, s’offrant une ligne directe avec l’Élysée, de François Hollande jusqu’à Emmanuel Macron. Arrivé à la tête de la FFF sur les ruines de Knysna et de la débâcle du Mondial 2010, Le Graët reste le bâtisseur de la deuxième étoile gagnée par l’équipe de Didier Deschamps au Mondial-2018. Sous son magistère, la « 3F » s’est enrichie en reprenant notamment le contrôle des droits marketing liés aux Bleus, véritable poule aux oeufs d’or.
Le football féminin s’est aussi développé, avec un envol du nombre de licenciées et une visibilité accrue pour le Championnat avec Canal+ en diffuseur et Arkema en sponsor-titre. Ses contempteurs insistent cependant sur l’élan coupé depuis le Mondial-2019 à domicile et les tensions ayant entouré la sélection dirigée par Corinne Diacre.
Formules assassines ou dérapage ?
Loyal avec l’État, dur avec ses adversaires, le Breton est devenu maître dans l’art des formules assassines. La provocation, notamment sur des sujets de société, a parfois viré au dérapage.
C’est le cas lorsqu’il estime que le racisme « n’existe pas ou peu » dans le monde du football. Sa déclaration aux relents sexistes sur les Bleues qui « peuvent se tirer les cheveux » tant qu’elles gagnent, a aussi fait des vagues.
Plus récemment, son soutien inconditionnel au Qatar, hôte controversé de la Coupe du monde 2022, a fait grincer des dents. « C’est pas insoluble ça, c’est des coups de peinture », lâche-t-il par exemple dans l’émission Complément d’enquête qui, images à l’appui, lui montre les chambres exiguës infestées de cafards dans lesquelles s’entassent des travailleurs sous-traitant de l’hôtel des Bleus.
C’est surtout sa sortie sur Zidane, début janvier qui a finalement achevé d’ébranler la réputation de Noël Le Graët. S’attaquant à l’icône française qui aurait voulu reprendre les rênes de l’équipe de France après Didier Deschamps, il l’a égratigné dans une interview sans filtre.
« Je ne l’aurais même pas pris au téléphone », a-t-il lâché à propos de « Zizou. « Pour lui dire quoi ? ‘Bonjour Monsieur, ne vous inquiétez pas, cherchez un autre club, je viens de me mettre d’accord avec Didier’ ? » À une question sur un intérêt supposé du Brésil pour l’ex-n°10 des champions du monde 1998 et champions d’Europe 2000, il a ajouté : « J’en ai rien à secouer, il peut aller où il veut, dans un club, il en aurait autant qu’il veut en Europe, un grand club. »
De Kylian Mbappé, qui a jugé sur Twitter que l' »on ne manque pas de respect à la légende comme ça », aux ex-coéquipiers de Zidane en bleu Youri Djorkaeff et Laurent Blanc, en passant par le Real Madrid, outré par des paroles « indignes », Noël Le Graët a fait l’unanimité contre lui, achevant de monter l’opinion public contre sa personne.
En réalité, Noël Le Graët était dans la tourmente depuis plusieurs mois et la parution dans le magazine So Foot, le 8 septembre, d’une longue enquête intitulée « Ma fédé va craquer » qui le présentait, sur la foi de témoignages anonymes, comme un dirigeant dépassé par les évènements, ayant en outre un comportement très contestable avec ses salariées. Le magazine spécialisée faisant mention d’harcèlement sexuel. Des accusations suffisamment graves qui ont poussé le ministère des Sports à lancer une mission d’audit.
La synthèse de la mission d’audit, livrée début février, est sans appel : les « dérives de comportement » du président de la Fédération française de football « sont incompatibles avec l’exercice des fonctions et l’exigence d’exemplarité qui lui est attachée ».
« Les auditions conduites par la mission ont mis en lumière le comportement inapproprié de M. Le Graët vis-à-vis des femmes », peut-on lire dans cette synthèse du rapport définitif. « La mission relève non seulement des propos et des SMS émanant bien de M. Le Graët, ambigus pour certains et à caractère clairement sexuel pour d’autres, mais pointe également l’horaire tardif des envois, leur caractère répétitif et la nature des destinataires – des femmes placées sous son autorité et/ou dans une relation de dépendance. »
Des accusations qui ont fini par lui coûter son poste. Cependant, il n’a pas décidé de faire profil bas, acceptant de diriger le bureau parisien de la Fifa. Selon L’Équipe, il entend également « laver son honneur ». Libéré de ses fonctions à la FFF, il devrait se retrouver en situation de le faire. Il pourrait, dans un premier temps, intenter une procédure pour faire annuler le rapport d’inspection diligenté par le ministère des Sports.
AFP