À l’initiative d’Emmanuel Macron, la sixième édition du One Planet Summit se penche à partir de mercredi sur le sort des forêts tropicales. À Libreville, au Gabon, délégations gouvernementales, scientifiques et ONG échangeront sur les efforts à mener dans les bassins forestiers du Congo, d’Amazonie et d’Asie du Sud-Est. Avec, au centre des débats, l’épineuse question du financement par les pays du Nord.
Près de 200 millions d’hectares de massif forestier, s’étalant sur six pays, et une biodiversité unique au monde. C’est au cœur de ce « poumon vert », à Libreville, qu’Emmanuel Macron présidera à partir de mercredi 1er mars, pour deux jours, le One Forest Summit. Chefs d’État, ONG, et scientifiques seront réunis dans la capitale du Gabon pour débattre de la meilleure façon de protéger cette immense forêt tropicale, mais aussi celles d’Amazonie et du sud-est asiatique.
« Le choix de tenir ce sommet dans le bassin du Congo est significatif car la forêt tropicale d’Afrique centrale est aujourd’hui l’un des principaux puits de carbone de la planète », rappelle Alain Karsenty, économiste des forêts, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et spécialiste de l’Afrique centrale.
« À cause de leur déforestation massive, les forêts d’Asie du Sud-Est rejettent désormais davantage de CO2 qu’elles n’en absorbent. En Amazonie, les études montrent que nous approchons d’un point de bascule. Le seul endroit où les forêts absorbent encore davantage de CO2 qu’elles n’en rejettent, c’est en Afrique centrale. » À lui seul, cet espace forestier, qui s’étend sur le Gabon, le Congo Brazzaville, la République démocratique du Congo, la République Centrafricaine, la Guinée équatoriale et le Cameroun, représente aujourd’hui un stock de CO2 équivalent à dix années d’émissions mondiales.
Contrairement à l’Amazonie, où les arbres ont été rasés par milliers pour faire place à d’immenses champs de soja et à des pâturages, ou à l’Indonésie, paradis de l’huile de palme et de l’exploitation forestière, la forêt d’Afrique centrale a longtemps été épargnée. « La déforestation a démarré dans les années 2010, poussée par une pression démographique de plus en plus importante », explique le spécialiste. « Elle est avant tout liée à l’agriculture sur brûlis, dont dépendent de nombreux paysans, et au recours au charbon de bois ».
Une « déforestation de la pauvreté », comme elle est parfois nommée, avec de fortes disparités entre les pays : aujourd’hui, la République démocratique du Congo, peuplée de 100 millions d’habitants, est devenue le pays connaissant le taux de déforestation le plus élevé au monde après le Brésil. À l’inverse, le Gabon, avec ses 2,2 millions d’habitants, peut se vanter d’une déforestation quasi nulle.
Le Gabon, l’élève modèle régional
Depuis la COP21 et les Accords de Paris, qui visent à contenir le réchauffement planétaire sous la barre fatidique des 1,5 °C, tous les pays d’Afrique centrale ont cependant pris des engagements pour protéger leurs forêts.
« Et c’est le Gabon qui s’est progressivement affiché comme l’élève modèle de la région », poursuit Alain Karsenty. Pendant des décennies, cet « Eden de l’Afrique », dont 85 % du territoire est composé de forêts, comptait sur le pétrole présent dans son sous-sol pour faire tourner son économie. En 2010, Lee White, ministre de l’Environnement d’origine britannique mais naturalisé gabonais, a cependant entamé une transition vers de nouvelles activités, l’exploitation de son bois et la plantation de palmiers à huile. L’objectif affiché : trouver un équilibre entre les besoins de son économie et ceux de la planète confrontée à l’urgence climatique.
Pour y parvenir, il a proposé aux entreprises de meuble étrangères et aux fabricants de contreplaqués des avantages fiscaux à la condition qu’ils installent leurs usines sur le territoire tout en interdisant l’exportation de grumes, du bois brut. En parallèle, des règles d’exploitation forestière drastiques ont été mises en place. Désormais, les producteurs ne peuvent pas couper plus de deux arbres par hectare, et uniquement tous les 25 ans. Un programme permet aussi de suivre toutes les grumes à l’aide de codes-barres pour lutter contre l’abattage illégal. « De quoi créer des emplois, faire fleurir l’économie tout en limitant l’exploitation forestière », résume Alain Karsenty.
En parallèle, le pays a ouvert pas moins de 13 parcs nationaux, couvrant 11 % de son territoire, et installé un centre de surveillance de la déforestation grâce à des satellites.
Douze ans plus tard, la recette semble avoir fonctionné sur le plan environnemental. La surface forestière est en croissance et l’exploitation illégale du bois a légèrement diminué. Autre signe : le nombre d’éléphants de forêt, espèce menacée par le dérèglement climatique, a fortement augmenté, passant de de 60 000 en 1990 à 95 000 en 2021.
Réussite aussi sur le plan économique : le pays est devenu l’un plus grand producteurs de contreplaqué d’Afrique, et l’un des plus importants au monde. Au total, l’industrie du bois fournit aujourd’hui quelque 30 000 emplois – 7 % de la main d’œuvre du pays, selon les autorités gabonaises, citées par le New York Times.
Compétition régionale
« Grâce à cette politique, le Gabon est aujourd’hui devenu un leader régional en matière environnemental », estime Alain Karsenty. « Plusieurs pays du bassin du Congo ont d’ailleurs annoncé vouloir s’inspirer de ce plan. La RD Congo, le Congo Brazzaville, par exemple, veulent aussi interdire l’exportation de grumes et créer des zones franches pour attirer les investisseurs. »
« Et à l’échelle internationale, le pays s’est offert l’image d’élève modèle de la région », continue-t-il. « Ce n’est d’ailleurs certainement pas un hasard si c’est dans ce pays spécifiquement qu’Emmanuel Macron a décidé d’organiser ce One Forest Summit ».
Au grand dam de son voisin, la République démocratique du Congo, qui tente elle aussi de s’afficher sur la scène internationale comme un pays majeur dans la lutte contre le dérèglement climatique.
Lors de la COP26, à Glasgow, le pays se proclamait « pays solution » à la crise climatique et s’engageait à protéger sa forêt en échange d’un soutien financier international de 500 millions de dollars. Quelques mois plus tard, le pays accueillait la « pré-COP » – en amont, cette fois-ci, de la COP27. Une occasion concrète de montrer les efforts du pays dans sa lutte contre la déforestation. Les scientifiques avaient ainsi été accueillis dans la réserve de biosphère de Yangambi, au bord du fleuve Congo, qui accueille depuis fin 2020 une « tour à flux », qui permet de quantifier le carbone absorbé ou émis par la forêt. Une première dans la région.
« La RD Congo a aussi mis en place, depuis les années 2010, plusieurs mesures pour tenter de préserver la forêt, notamment avec des politiques de sédentarisation des paysans », explique Alain Karsenty. Mais dans ce pays marqué par les troubles politiques et les scandales de corruption, ces mesures n’ont eu pour le moment qu’un impact limité.
Derrière cette rivalité, les financements des pays du Nord
« Il a ainsi une véritable rivalité régionale pour s’afficher sur la scène internationale comme le leader sur la protection de la forêt « , déplore Alain Karsenty. « Et la raison principale de cette course au leadership, c’est la recherche des financements des pays du Nord. »
Car les deux pays sont d’accord sur un point central : les pays industrialisés, qui portent la responsabilité historique du dérèglement climatique, doivent largement aider et accompagner les pays du bassin à effectuer leur transition écologique.
« Grâce à sa diplomatie climatique, le Gabon, de son côté, veut faire payer aux pays du Nord ses efforts dans la lutte contre la déforestation », poursuit le spécialiste. En 2019, la Norvège, qui agit depuis plusieurs années comme « mécènes » des forêts tropicales, a ainsi accepté de verser 150 millions de dollars (26 millions d’euros) au Gabon sur dix ans pour récompenser sa politique. Jusque là, le pays n’avait aidé que des pays du bassin amazonien et l’Indonésie. Dix-huit mois plus tard, le pays recevait une première enveloppe de 17 millions de dollars (14,3 millions d’euros), somme versée en contrepartie des tonnes de carbone séquestrées grâce aux mesures mises en œuvre pour lutter contre la déforestation.
La RD Congo, de son côté, a attiré de vives critiques lorsqu’en juillet 2022, le président Félix Tshisekedi a annoncé vouloir lancer un appel d’offres pour des droits d’exploitation de gisements pétroliers, dont certains se trouvent en plein cœur de la forêt tropicale, au sein « de la plus vaste région de tourbière tropicale au monde ». De quoi produire un million de barils de pétrole par jour et générer une rente pétrolière de plus de 30 milliards de dollars par an, explique le New York Times, mais qui pourrait mettre en péril le précieux puits de carbone et libérer une grande quantité de CO2 dans l’atmosphère.
Une façon de menacer les pays du Nord, décriaient alors des ONG de défense de l’environnement, alors que les 500 milliards de dollars promis à la COP26 tardent à arriver.
« Sur la scène internationale, la RD Congo plaide surtout depuis plusieurs années pour que les services rendus par la forêt soient rémunérés de façon automatique, avec une logique de ‘rente' », poursuit, explique Alain Karsenty. « L’argument est de dire qu’en préservant la forêt, le pays se prive des revenus, notamment de ses sous-sols, et que cela doit être compensé. »
Autant de débats qui seront sur la table des négociations du One Forest Summit. « Il faudrait cependant réussir à aller au-delà de ces questions et au-delà des rivalités pour mettre en place un agenda commun aux pays de bassin, pour atteindre une vraie coopération régionale et préserver cette forêt tropicale. »
FRANCE24