Le président français est rentré à Paris après une tournée de quatre jours en Afrique centrale, qui s’est clôturée samedi en République démocratique du Congo. Auparavant, Emmanuel Macron s’est rendu au Gabon, en Angola et au Congo-Brazzaville. Objectifs : confirmer la rupture avec la Françafrique et renforcer les liens économiques après la montée en puissance de la Turquie et de la Russie. Pari réussi ?
« L’Afrique est un théâtre de compétition. Il faut qu’elle se fasse dans un cadre loyal », a-t-il rappelé samedi à Kinshasa, capitale de la RD Congo où il se rendait pour la toute première fois en tant que président. « Nous avons notre place à jouer, ni plus ni moins. »
Mais quelle place la France est-elle parvenue à se faire lors de ces quatre jours ? France 24 fait le point sur la tournée d’Emmanuel Macron en Afrique centrale.
Passer d’une séquence « France, gendarme » à « France, business »
Alors que le malaise antifrançais gagne du terrain en Afrique, Emmanuel Macron a martelé des messages en réponse aux incompréhensions.
Lors d’un aparté avec la presse à l’institut français de Kinshasa, dernière étape de son voyage, Emmanuel Macron a estimé que la lutte contre ce sentiment hostile à la France ne se ferait « pas en un coup ».
Lundi à l’Élysée, le président avait jeté les bases de sa nouvelle stratégie africaine, annonçant que les bases militaires françaises seraient désormais co-gérées avec les pays où elles se situent.
Au Gabon, ancienne colonie francophone nouvellement entrée dans le Commonwealth, Emmanuel Macron a parlé climat, défense des forêts tropicales et proclamé la fin de la « Françafrique », un mot qu’il évitait jusqu’ici de prononcer.
« Au Gabon comme ailleurs, la France est un interlocuteur neutre qui parle à tout le monde », a-t-il dit à la résidence de France en réponse aux attaques de l’opposition le soupçonnant de venir encourager la réélection du président Ali Bongo.
Le terme de neutralité peut être une réponse aux accusations faites à Emmanuel Macron, par une partie de l’opposition politique et de la société civile gabonaises, de venir « adouber » Ali Bongo alors qu’une nouvelle présidentielle est prévue cette année. Mais pour le reste, rien de vraiment neutre, selon Antoine Glaser, journaliste et écrivain. « Le One Forrest Summit n’a pas du tout été un sommet lancé à l’initiative d’un grande ONG internationale sur l’environnement », rappelle le co-auteur de « Le piège africain de Macron » (Éditions Fayard, Pluriel). « C’est une affaire franco-gabonaise lancée lors de la COP 27 entre Ali Bongo et Emmanuel Macron, c’est donc bien une affaire unilatérale ».
Pour autant, ce sommet a-t-il pu servir de prétexte ? Il a en tout cas pu permettre d’asseoir la volonté d’Emmanuel Macron de « sortir d’une séquence ‘France, gendarme de l’Afrique' », analyse Antoine Glaser, évoquant un président français « qui s’est fait piéger au cours de son premier mandat dans le domaine de la présence militaire française dans le Sahel qui sert de cache-misère à une présence française globalement en déshérence ».
Alors que la France a vu ses parts de marché réduites à 4 % sur l’ensemble du continent africain, tandis que la Chine, elle, est à 18 %, la tournée africaine d’Emmanuel Macron aura été l’occasion de « passer dans une séquence ‘business, environnement, partenariat’, poursuit Antoine Glaser.
C’est aussi pour ne plus laisser la propagande russe (mais aussi les intérêts chinois et turcs) prospérer que la France entendait renouer ses liens politiques, économiques et sécuritaires avec ses partenaires africains. Se rendre en Afrique était pour Emmanuel Macron une sorte de réengagement auprès de ceux qui se sont jusqu’ici sentis abandonnés par la France, qui a permis à l’ours russe et au dragon chinois (entre autres) de s’implanter solidement.
La France « a passé 30 ans en se croyant chez elle en Afrique pendant la période post-coloniale, puis s’est endormie dans les années 1990 au point de ne pas voir l’Afrique se mondialiser », explique Antoine Glaser. « Même les propres partenaires européens de la France l’ont laissée faire le gendarme, pendant qu’eux faisaient le business ».
C’est sur ce volet business qu’Emmanuel Macron a axé sa visite en Angola, pays lusophone de 34 millions d’habitants. L’agenda était principalement économique avec, notamment, le lancement d’un partenariat franco-angolais en matière d’agriculture et d’agro-alimentaire.
Rien d’anodin à ce que le président français soit passé par Luanda, selon Antoine Glaser, qui rappelle que l’Angola est avant tout « le jardin extraordinaire de Total ».
« Dans le sillage de cette importante présence pétrolière de Total, l’idée de Macron était de pouvoir engager les entreprises françaises », poursuit le spécialiste, qui ajoute que la France est le premier partenaire de l’Angola en matière d’aide au développement.
La fin de la Françafrique, ça « ne se décrète pas »
À Kinshasa, Félix Tshisekedi encourageait le président français sur la voie d’une nouvelle ère. « J’estime que la Françafrique est dépassée », a dit le dirigeant dont le pays fut autrefois sous administration belge.
La fin de la Françafrique, ça « ne se décrète pas, ça se matérialise dans des actes probants », estime Jean-Claude Felix-Tchicaya, chercheur à l’IPSE (Institut Prospective et Sécurité de L’Europe), qui rappelle qu’avant Emmanuel Macron, la fin de la Françafrique avait déjà été annoncée par François Hollande, Nicolas Sarkozy, ou encore Jacques Chirac.
« L’Afrique est habituée depuis des décennies à entendre la fin de la Françafrique, mais par des actes contraires aux intérêts de l’Afrique, tout va pour l’intérêt de la France et percute les droits fondamentaux de tous ceux qui habitent en Afrique, d’Alger jusqu’au Cap. »
Par ailleurs, selon Jean-Claude Felix-Tchicaya, le discours d’Emmanuel Macron se heurte au lieu géographique où il est prononcé : un pays d’Afrique centrale, « où la majorité des présidents additionnent les mandats et les décennies » au pouvoir, précise-t-il, les qualifiant de régimes à succession dynastique.
Mais comment faire pour montrer que la politique française a changé si les dirigeants eux-mêmes ne changent pas ? « En arrêtant de les soutenir », répond le spécialiste, évoquant notamment le lien entre la France et le Tchad. « C’est le point d’orgue qui montre que la Françafrique n’est pas terminée », estime-t-il.
Pour Antoine Glaser, dans tous les cas, « la Françafrique, qui a perduré des années 1960 jusqu’à la chute du mur de Berlin, n’existe plus. Le spécialiste relate alors un système ancien, politique, militaire et financier avec des présidents francophones et francophiles, tels Félix Houphouët-Boigny (Côte-d’Ivoire), Léopold Sédar-Senghor (Sénégal), ou encore Jean-Bedel Bokassa (Centrafrique).
L’enjeu principal de cette tournée présidentielle visait au final à « répondre à la vague de sentiment antifrançais au Sahel », selon Pauline Bax, spécialiste de l’Afrique à l’International Crisis Group. La chercheuse a noté un certain « changement de ton » des autorités françaises à cet égard. « Que cela plaise ou non, l’Afrique va rester importante pour la France », ajoute t-elle dans un entretien à Reuters. « Elle ne va pas se retirer de ce continent ».
AFP