Il n’y a pas si longtemps, Quentin Tarantino rendait hommage à l’industrie cinématographique qui l’a vu naître en mettant en scène Brad Pitt et Margot Robbie dans Once Upon a Time… in Hollywood. Aujourd’hui, Damien Chazelle rend hommage à une industrie cinématographique qui l’a vu naître en mettant en scène Brad Pitt et Margot Robbie avec Babylon.
Le 25 janvier 2017, le public français découvrait sur les écrans La La Land, que beaucoup de punchlines racoleuses désignaient déjà comme le film de l’année. Une réputation à peine usurpée (et encore que cela divisera alors beaucoup de monde lors des inévitables tops de décembre) qui ira jusqu’à nous offrir l’un des loupés les plus mémorables des Oscars au moment d’annoncer le Meilleur Film. Comme une envie de remettre le feu aux poudres hexagonales, Babylon débarque chez nous un 18 janvier et il entend bien se positionner très haut et très tôt dans la course au titre 2023.
Babylone est une cité mythique de Mésopotamie dont l’histoire ne parvient toujours pas à différencier vérité et légende. Inspiration antique toute trouvée pour Damien Chazelle qui entend raconter Hollywood sous le prisme du fantasme enivrant, décadent, à une époque où le cinéma se réinventait en usant la lumière de ses étoiles qui s’ignoraient filantes.
On nous plonge ainsi dans le Los Angeles des années 20, au milieu des fêtes et des plateaux de tournage, alors que le parlant s’apprête à révolutionner toute une industrie. Un milieu d’insouciance et de dépravation où vont se croiser trois personnages : une gloire dont la fin est proche (Brad Pitt), une nouvelle star montante (Margot Robbie), et un jeune homme à tout faire (Diego Calva).
Babylon et ses jardins suspendus
Les jardins suspendus de la cité sont considérés comme l’une des Sept Merveilles du monde antique. Pourtant, plusieurs historiens et archéologues n’ont pas manqué depuis de remettre en cause leur existence. Mais ne préfère-t-on pas y croire ? La fête sur laquelle s’ouvre Babylon a-t-elle vraiment eu lieu ? Qu’importe, on a envie d’y croire.
Tout simplement parce que cette séquence d’ouverture est un exemple de bruit, de fureur, de démesure où la drogue, le sexe et l’alcool se mélangent, se confondent, dans une dépravation totale au rythme des trompettes. On est plongé en apnée dans un lieu symbole de puissance, d’impunité, au-dessus des lois, des règles, de la morale et surtout… où l’impossible semble possible. Une fabrique à rêves, à cauchemars, où il suffit de tendre le bras pour saisir les opportunités… ou être reconduit à la porte.
En une seule scène, Damien Chazelle parvient à résumer tout un imaginaire (et une réalité ?) autour de celles et ceux qui ont fait Hollywood. Comme il l’avait fait avec La La Land, le réalisateur a décidé de débuter son film sur une note d’intention. Pendant trois heures, on est pris dans une frénésie presque épileptique où se mélange le rire, le drame, le cynisme, la sexualité et surtout l’amour. L’amour pour le cinéma et chaque membre qui le compose, qui le font exister. Babylon est un film exaltant, ambitieux, usant par moment, dingue, dont on ressort épuisé, mais heureux.
Un chef d’orchestre sous ecsta ?
Après une expérience First Man peut-être moins personnelle, due à l’importance de l’homme qu’il racontait, Damien Chazelle retrouve ici le contrôle total de son inspiration créatrice et ne s’impose aucune limite dans la peau du maître d’oeuvre d’un bordel organisé.
Parce que si Babylon ressemble à un joyeux chaos, jamais le réalisateur ne semble lâcher les rênes de son monstre et use de tout son arsenal pour nous entraîner avec lui. Bien aidé par la musique omniprésente de son compositeur attitré Justin Hurwitz, le cinéaste parvient à donner à son film une approche aussi moderne que fortement ancrée dans l’époque qu’il entend dépeindre. Une œuvre hybride réalisée avec précision chirurgicale par un homme s’amusant à varier les plaisirs aussi bien en termes de montage que de mise en scène, comme s’il voulait se montrer aussi démesuré que les événements qu’il filme.
Et pour leur donner vie, quoi de mieux qu’un casting impeccable ? Brad Pitt en ersatz de Douglas Fairbanks brille dans un rôle excessivement bien écrit pour lui ; Margot Robbie est une tornade de sensualité dévoilant son jeu le plus profond au travers ses failles ; et Diego Calva est une formidable révélation. Et soudain, au détour d’une scène inattendue, voilà que le trop sous-estimé Tobey Maguire rejoint la liste des « acteurs qu’on adorerait voir en Joker » (liste dans laquelle trône son camarade de Spider-Man Willem Dafoe).
Alors que restera-t-il de Babylon à la fin d’année ? Les plus fins observateurs nous diraient que sa carrière au box-office américain ne semble pas annoncer un franc succès, voire un bide complet (seulement 10 millions de dollars depuis sa sortie). Une question de qualité ? D’incompréhension du public ? Où une stratégie incompréhensible d’exploiter un film de 3h09 la veille du Réveillon de Noël alors que la déferlante Avatar : La Voie de l’eau, d’une durée similaire, est encore à pleine vitesse ? On connaît la difficulté de trouver trois heures de son temps en période de fêtes, alors six heures… Il faut croire que le distributeur a pris le mythe Babylon au pied de la lettre et à voulu viser trop haut en reconstruisant sa tour de Babel… avec le même destin apparemment.
Cependant, lorsqu’il faudra se souvenir de nos expériences cinématographiques en décembre prochain, il conviendra de se rappeler que devant Babylon, des spectateurs auront peut-être ri, pleuré, baillé, frissonné, été fascinés, émerveillés… ou tout à la fois. Parce que Babylon est une ode à ce que le cinéma est capable de construire dans son entièreté et que s’il peut être comique, dramatique, fantastique… il est surtout beau.
journaldugeek