Quel effet les radiations nucléaires ont-elles, sur le long terme, sur un organisme ? Une équipe américaine a commencé à décrypter les génomes des chiens errants autour de l’ancienne centrale ukrainienne.
Une quarantaine d’années plus tôt, en avril 1986, eut lieu la plus grande catastrophe nucléaire d’alors. Dix jours après l’explosion des réacteurs 4 et 5 de la centrale nucléaire de Tchernobyl (Ukraine), l’air en Europe et jusqu’aux Etats-Unis était encore saturé de césium-137, d’iodine-131 et autres radionucléides crachés par la gueule béante du cœur radioactif mis à nu. L’écologie de la région en a été bien évidemment profondément modifiée, provoquant la création d’une zone d’exclusion de 2600 km2 autour du sinistre. Désertée de ses occupants humains, cette zone hautement radioactive continue pourtant d’être habitée par sa faune foisonnante. Avec quelles conséquences sur les animaux ?
Jusqu’à présent, l’effet des radiations environnantes avait seulement été étudié sur des souris du coin. Mais jamais aucune étude génétique sur les gros mammifères n’avait été menée. Un manque que se sont attelés à combler Timothy Mousseau (Université de Caroline du Sud, Columbia, Etats-Unis), Elaine Ostrander (NIH, Bethesda, Etats-Unis) et leur équipe. Ayant travaillé, sur le long terme, sur la génétique et la distribution des chiens errants à Tchernobyl et autour de cette zone sinistrée, ils publient leurs premiers résultats dans l’édition de Science Advances du 3 mars.
300 échantillons collectés
Tout démarre en 2017 par un projet de recherche consistant à prélever des échantillons sanguins de chiens errants des environs de la catastrophe. Durant deux années, trois cliniques diversement situées sur le territoire en auront ainsi collecté 301. L’une d’entre elles se situe à proximité de la centrale, une zone uniquement occupée aujourd’hui par les ouvriers travaillant sur les débris. Une autre se trouve dans la ville de Tchernobyl à 15 km de là, largement abandonnée. La troisième se situe 45 km plus loin dans la bourgade de Slavoutytch, construite après l’accident nucléaire pour y accueillir la population de Tchernobyl et de ses environs irradiés.
Et bien que le ministère de l’Intérieur ukrainien donna l’ordre peu après la catastrophe d’abattre tous les animaux errants ou abandonnés afin d’éviter les contaminations radioactives, suffisamment semblent avoir échappé aux chasseurs pour reconstituer de nombreuses meutes autour et dans Tchernobyl.
Trois populations génétiquement différentes
Les auteurs de l’étude ont mené des analyses génétiques sur ces trois populations étant donné leurs situations : loin (45 km), proche (15km) et en plein dans l’épicentre de l’explosion. Deux enseignements à noter : comme l’avaient montré des observations précédentes sur de petits animaux, plus ces chiens vivent près de l’ex-centrale, plus ils portent des traces de l’irradiation, telles que des dépôts de césium-137 – un radioélément toxique – dans leur organisme. Un taux plus de 200 fois plus élevé pour les chiens qui errent près de l’ex-centrale que pour ceux vivant à une dizaine de kilomètres de là, dans la ville de Tchernobyl.
Second enseignement : ces trois populations s’avèrent génétiquement différentes, non seulement des chiens errants communs mais également entre elles. Cela n’empêche pas les animaux de se rencontrer. Et plus si affinités : l’analyse ADN a révélé aux chercheurs des traces de mélanges des trois populations chez tout le monde…
Pour Christophe Hitte, de l’équipe Génétique du chien (IGDR, Rennes), cette étude n’est à l’évidence qu’une première salve de la part des chercheurs américains : “Maintenant qu’ils ont parfaitement décrit les zones de distribution des chiens, la structure génétique des différentes populations, cette équipe dispose d’un outil adéquat pour aller plus loin et, par exemple, analyser sur ces populations l’effet des radiations sur une trentaine d’années. Qu’est-ce qui a permis à ces lignées de chiens d’y résister ? Personnellement, je pense que les gènes impliqués dans la réparation de leur ADN devaient être plus efficaces en situation hostile que chez un chien lambda qui n’aura pas survécu.“
Les travaux vont bien évidemment se poursuivre et ce n’est que le début d’un gigantesque chantier génétique qui attend les chercheurs. Il n’empêche, pour un scientifique, comme le décrit Christophe Hitte, cette situation offre une opportunité unique : “Une colonie de chiens relativement isolés qui se sont reproduits depuis 30 ans dans un environnement aussi mutagène, c’est un matériel de choix pour un généticien !“
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