Depuis six mois, les Iraniennes portent le flambeau d’un mouvement de contestation sans précédent contre le régime de la République islamique dans leur pays. À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, RFI a recueilli des témoignages de ces Iraniennes, vivant dans leur pays, qui veulent garder allumée la flamme de la révolution « femme, vie, liberté », malgré la répression et les menaces incessantes sur leur sécurité.
« Je tremble de froid, mais pas question de porter une écharpe ou un chapeau pour me chauffer ! L’hiver est rude mais je ne veux pas qu’ils [les forces de sécurité] pensent que je cède ou que j’ai peur », affirme Haleh, 58 ans. Quand la révolution islamique survient, Haleh n’a que 15 ans. Dès le début, elle ne cache pas son « aversion » pour le régime et commence à agir dans différents groupes d’opposition, participe aux rassemblements, distribue des tracts et milite en faveur de la désobéissance civile. Elle vit à Téhéran et dit n’avoir jamais supporté le voile obligatoire, ni d’ailleurs « les autres lois liberticides de la République islamique ».
Malheur à celui qui réduit cette révolte à une simple lutte contre le port du voile. « Nos revendications ne se réduisent évidemment pas à l’exigence de la liberté de s’habiller comme on veut et vont largement au-delà de cette simple aspiration », martèle Morvarid, 27 ans, qui, faute de ressources, vit toujours chez ses parents. « Comme le voile est le principal outil du régime islamique pour réprimer les femmes, il est devenu pour elles le principal symbole de leur lutte. Et donc dès le début des contestations, les femmes ont décidé de l’enlever, de le rejeter, de le brûler », fait remarquer Haleh.
« Les Iraniennes sont conscientes de leurs droits, savent ce qui leur a été volé et luttent pour les regagner. Même si le pouvoir réprime de différentes manières, les femmes, elles, résistent et, de mon point de vue, cela est très important. », affirme Atena Daemi, militante des droits humains, notamment les droits des enfants. À 34 ans, Atena a déjà passé 5 ans en prison pour ses activités de défense des droits.
Pooran Nazemi insiste aussi pour dire que « l’objectif de ce mouvement dépasse les codes vestimentaires des femmes et exige le changement complet du régime ». Elle rappelle que « la liberté, l’égalité et la justice pour tous sont les exigences » des contestataires et ils sont convaincus qu’elles ne seront pas atteintes dans le cadre du système politique actuel. Cette ancienne prisonnière politique, défenseuse des droits civiques et humains, est cosignataire en 2019 de la fameuse lettre ouverte dite « Appel des 14 » demandant la démission de guide suprême, Ali Khamanei, et le changement du système politique en Iran.
Elle est actuellement dans l’attente de la décision du tribunal révolutionnaire dans un nouveau procès. Mais cela ne l’empêche pas de continuer son combat, de prendre la parole dans des médias et de poster des messages et des vidéos sur les réseaux sociaux pour réaffirmer son engagement et démontrer sa détermination. Elle rappelle que « l’isolement de l’Iran sur la scène internationale » n’est que la conséquence « de la politique et du comportement de ses autorités incompétents », lesquelles « dès le début se sont imposées au pays avec la tromperie et l’hypocrisie ».
La population « n’est plus dupe » et sait maintenant que « la situation déplorable du pays résulte de la structure du pouvoir actuel et non, comme le prétendent les autorités, du fait des ennemis ».
C’est un constat partagé par la jeune génération. « Ici, outre les restrictions des droits des femmes et l’absence des libertés, tout est en déclin », dit Hedieh, 27 ans. « La situation économique est désastreuse. Dans certaines villes, comme à l’époque de la guerre, la distribution du gaz et de l’électricité est rationnnée. Il y a une pénurie de médicaments, le nombre des suicides est très élevé et en augmentation, la dépression progresse et tout le monde est convaincu que pour avoir une vie tout simplement normale, il faut mettre fin au régime de la République islamique ».
Selon elle, « la population sais pertinemment que ceux qui nous gouvernent sont incompétents et d’ailleurs ne se soucient même pas de la dégradation de la situation ». Après un long silence et le bruit d’une gorge serrée, elle poursuit : « Qu’est-ce que nous avons à perdre ? Rien ! À quoi bon vivre si on ne peut pas être libre et si on n’a pas d’avenir ? » Et d’affirmer : « Alors on va jusqu’au bout. Soit on meurt soit on réussit. La République islamique a toujours était synonyme de terreur. Les femmes marchent aujourd’hui main dans la main. La peur a disparu et le régime islamique va la suivre bientôt ! »
Un climat explosif
Même si les manifestations et rassemblements de rue semblent moins fréquents, la volonté et la détermination de ces femmes sont intactes et plus fortes que jamais. « Les gens déversent leur colère et aussi leur désespoir sur les réseaux sociaux. Certes, les grandes manifestations sont pour le moment interrompues mais tous disent leur intention de les reprendre à la première occasion. En attendant, nous luttons autrement. Surtout qu’à la veille de Norouz, la population, malgré tout, est occupée par les préparatifs des fêtes du Nouvel An et les commerçants tentent de gagner un peu d’argent », affirme Morvarid, jeune femme de 27 ans.
Pour Hedieh aussi, l’absence des manifestations de rue n’est « en aucun cas » le recul de ce mouvement, car la contestation continue autrement en attendant d’autres rassemblements et grèves. « En apparence la vie continue en Iran mais tous sont persuadés que la révolte en cours doit aboutir. Même s’il y a moins de manifestations, la détestation des valeurs promues par le régime est chaque jour plus évidente. Le nombre de femmes qui marchent dans la rue sans voile à Téhéran, mais aussi dans beaucoup de villes de province est de plus en plus important. C’est, en soi, un acte de contestation permanent. Et il y a aussi des appels aux manifestations et grèves. »
On constate des grèves sporadiques dans plusieurs secteurs, notamment dans celui de l’éducation, suite à l’empoisonnement des élèves de plusieurs dizaines d’écoles à travers le pays. Mais pour certains, une grève générale bloquant le pays est nécessaire pour amplifier la contestation. « S’il n’y a pas de grève générale, c’est parce que les gens ont faim ! En 1979, le bazar et les opposants soutenaient les grévistes. Aujourd’hui, à cause de la situation économique les soutiens financiers ne sont pas significatifs. », selon Pooran Nazemi.
Dans certaines régions comme le Sistan-Balouchistan ou le Kurdistan, le climat est autrement plus inquiétant. Ces régions sont beaucoup plus militarisées et la population sous tension permanente. « La baisse des manifestations de masse dans les autres villes a influé sur les modalités de protestations au Kurdistan », regrette Ronak [nom d’emprunt], habitante de Kermanchah. Mais la tension est toujours palpable dans cette ville et de manière générale au Kurdistan: « Il s’agit du feu sous la cendre et n’importe quel incident peut à tout moment rallumer le feu. » Les protestations dans cette région ne se sont jamais éteintes, car les revendications de la population kurde ne datent pas d’hier.
Cela fait des décennies qu’elle exige la reconnaissance de sa langue, de sa religion, la répartition équitable des richesses nationales et les bénéfices des droits civils. « Je crois que nos préoccupations se résument dans le fameux slogan » femme, vie, liberté » qui est parti du Kurdistan, a traversé les frontières et a même questionné les féministes les plus acharnés dans le monde », dit Ronak. Le 3 mars, dans un communiqué, Amnesty international s’inquiétait des persécutions et exécutions contre les minorités ethniques.
Une lutte de longue haleine de mère en fille
De Tâhereh, la poétesse exécutée au milieu du XIXe siècle, la première à avoir enlevé son voile, aux jeunes filles de nos jours, les Iraniennes n’ont pas cessé leur combat contre l’obscurantisme religieux.
Dès son établissement, la République islamique a abrogé la loi sur la protection de la famille, imposé le voile et « promeut le mariage des filles même en bas âge et a encouragé l’abondance de grossesses, toujours dans le but d’assigner les femmes à résidence. Le voile obligatoire n’était qu’un des instruments du pouvoir pour accomplir cet objectif global », rappelle Atena Daemi.
Alors, difficile de faire taire ces jeunes filles révoltées, ces femmes réprimées, ces mères endeuillées. Depuis 44 ans, on ne compte plus le nombre de mères qui ont perdu leurs enfants, soit en prison, soit dans la rue au cours des manifestations. Depuis septembre 2022, les mères de Mahsa, de Nika, de Bahar, de Kian, et tant d’autres, poursuivent le combat de leurs enfants.
Avant elles, ce furent les « Mères de Khavaran » qui ont vu, en 1988, leurs enfants exécutés et jetés dans une fosse commune dans ce qui est devenu « le cimetière du diable » dit « Khavaran » situé au sud-est de Téhéran. Ce furent aussi les mères de Neda et ses compagnons de lutte, en 2009, et celles des victimes des répressions en 2019.
Nahid Shirbisheh – la mère de Pouya Bakhtiari, le jeune manifestant de 27 ans tué par balle lors des contestations de 2019 – est l’une d’entre elles. Pouya est tombé devant ses yeux. La famille de Pouya a demandé justice. La réponse des autorités a été d’emprisonner la mère et le père de la victime. « Malgré le deuil de son enfant, Nahid, enseignante, s’est transformée en une combattante acharnée contre le régime. Malgré les menaces, elle n’a pas reculé.
En juillet 2022, elle a été arrêtée chez elle et emprisonnée dans une prison à des centaines de kilomètres de son domicile. Elle a été privée de contact et de visite pendant longtemps. Ces derniers temps, seule sa fille a pu la voir une ou deux fois », raconte Saba Bakthiari, la belle-sœur de madame Shirbisheh.
Pooran Nazemi tient à rendre hommage aux « mères qui n’ont pas cessé de se battre depuis 44 ans, parfois dans des conditions inacceptables et insupportables pour éduquer des enfants conscients et capables de se révolter contre l’injustice et le despotisme ». Ce sont ces mères qui participent aujourd’hui au combat de leurs enfants et réclament justice, parfois au prix de leur propre vie.
Ces derniers temps avec l’empoisonnement des écolières dans le pays, la souffrance et l’inquiétude des mères se mélangent avec une grande colère. « Beaucoup pensent que les empoisonnements des élèves sont un acte d’intimidation et de vengeance de la part du pouvoir. Car les écolières étaient aussi en première ligne des contestations en jetant leur voile, en déchirant les photos de Khomeini et Khamenei », insiste Atena Daemi.
Pour Ronak, « l’absence de réaction efficace de la part du pouvoir démontre leur implication dans cet acte qui doit être qualifié de terroriste. Ce qui me chagrine le plus c’est que cette fois les enfants sont également visés par le pouvoir. Les enfants qui ignorent totalement nos luttes. Ce crime ne peut pas rester impuni. »
Diaspora et la communauté internationale
Ces femmes, plus que jamais déterminées à réaliser leur objectif, sont, néanmoins, conscientes des limites d’une lutte isolée. « La mobilisation à l’étranger est un acte d’encouragement pour nous », admet Haleh. « Ici, lorsque nous partons manifester, nous ne savons pas si nous pouvons retourner chez nous ou pas. Les responsables n’ont aucune humanité et sont vraiment terrifiants. »
Reconnaissantes et fières de leurs compatriotes à l’extérieur du pays, elles expriment quand même leur inquiétude face à « l’indifférence » des nations démocratiques et de la communauté internationale. Elles reconnaissent les efforts et le soutien de la société civile dans différents pays, mais regrettent que les autorités politiques et surtout les institutions internationales restent de simples observatrices des événements. « Indépendamment de la solidarité à l’intérieur du pays, nous avons besoin du soutien des autres nations et de la communauté internationale », insiste Pooran Nazemi.
« La situation actuelle est très critique et il nous faut un effort supplémentaire. Nous nous trouvons à un moment où tous doivent être résolus à avancer rapidement. Il n’y pas de temps à perdre », alerte Pooran Nazemi. « Le pouvoir est actuellement affaibli et se trouve dans une position défaillante. Nous ne devons pas manquer cette occasion, nous devons pouvoir lui porter le coup fatal. »
RFI