Le patron de Twitter Elon Musk a dû présenter ses excuses, mardi, à un employé de Twitter qu’il venait de licencier et humilier publiquement. Il ne pouvait pas choisir pire cible que Haraldur Thorleifsson, un entrepreneur islandais adulé dans son pays et suractif, malgré une maladie dégénérative incurable.
« Elon Musk mérite peut-être déjà le titre de pire être humain de l’année ». Cette affirmation a été prononcée mardi 7 mars par Ethan Zuckerman, un célèbre activiste d’Internet américain, consterné. L’ancien directeur du Media Civic Center du Massachusetts Institute for Technology (MIT) réagissait à l’incroyable échange public entre le controversé patron de Tesla, Twitter et SpaceX, et l’un de ses (ex-)employés. Cet Islandais handicapé ne savait plus s’il travaillait encore ou non pour Twitter.
Dans l’ouragan de licenciements, remaniements, coups d’éclat médiatiques déclenchés par Elon Musk depuis son rachat de Twitter – en octobre 2022, pour 44 milliards de dollars –, le sort et le traitement réservé à Haraldur Thorleifsson occupent une place à part. À tel point qu’Elon Musk s’est même fendu, mardi 7 mars, d’un tweet public d’excuses. Un aveu d’erreur rarissime pour ce multimilliardaire qui ne s’était pas donné cette peine même après avoir traité de pédophile, sans raison apparente, l’un des sauveteurs ayant secouru une équipe de jeunes footballeurs bloqués dans les eaux d’une grotte en Thaïlande, en 2018.
Elon Musk, DRH brutal
Dans le cas de Haraldur Thorleifsson, Elon Musk a tweeté qu’il « s’excus(ait) et avai(t) mal compris sa situation ». Le roi des licenciements chez Twitter a même proposé de le réinstaller à son poste.
Tout a commencé par un cri de détresse lancé le 6 mars par Haraldur Thorleifsson sur Twitter. Il ne pouvait plus se connecter à son poste de travail à distance depuis neuf jours et avait contacté les ressources humaines pour comprendre s’il n’avait pas été licencié sans en avoir été informé. Reflet du chaos managérial régnant au sein du réseau social, son interlocuteur n’avait aucune idée de son statut à l’intérieur de la structure.
« Peut-être que si un nombre suffisant retweete mon message, vous [Elon Musk] pourrez me répondre directement ici », avait écrit Haraldur Thorleifsson. Et tel le génie qui apparaît après avoir suffisamment frotté la lampe, le patron de Twitter a alors répondu.
Après un bref entretien préalable au licenciement très public, Elon Musk lui a alors confirmé qu’il faisait bien partie des salariés remerciés. Mais en des termes très peu diplomatiques. Non seulement Elon Musk a signifié à son interlocuteur qu’il ne comprenait pas très bien l’utilité de son poste, mais il a ensuite insinué que Haraldur Thorleifsson se cachait derrière son handicap pour en faire le moins possible. « C’est ce qu’il y a de pire », concluait brutalement Elon Musk dans un tweet qu’il a depuis effacé.
Personnalité de l’année en Islande
« C’est une nouvelle illustration d’un mouvement vers un nouveau style de management – auquel adhère Elon Musk – qui séduit de plus en plus de dirigeants désireux d’être plus authentiques, présents sur les réseaux sociaux et qui ne veulent plus se cacher derrière une communication institutionnelle très aseptisée », résume Hamza Mudassir, cofondateur du cabinet britannique de conseils pour start-up Platypodes.eu et professeur de stratégie entrepreneurial à l’université de Cambridge.
Mais dans le cas du patron de Twitter, ce désir d’authenticité se heurte à la brutalité du personnage et à sa manie de tweeter sans réfléchir. « Il est à l’avant-garde de ce mouvement, et sa personnalité fait qu’il flirte souvent avec l’inacceptable », estime Hamza Mudassir. Et surtout, Elon Musk s’expose à de sérieux retours de flamme.
Car Haraldur Thorleifsson était la mauvaise personne à humilier sur Twitter. Cet Islandais de 45 ans est l’un des entrepreneurs les plus riches et les plus appréciés de son pays. En 2022, il a même été élu personnalité de l’année par les quatre principaux médias islandais.
Il a bâti sa fortune en créant une entreprise de design et de marketing, Ueno, qu’il a revendue à Twitter en 2021 pour une somme gardée secrète. Le gratin des sociétés tech – Airbnb, Google, Apple, PayPal, Facebook – faisait partie des clients de cette agence qui se vantait de créer des « expériences utilisateurs uniques ».
Lors de son rachat par Twitter et son embauche comme responsable de design pour le réseau social, Haraldur Thorleifsson a négocié pour que son bonus lui soit versé sous forme de salaire, afin qu’il puisse être taxé plus fortement en Islande et ainsi…. « contribuer à garantir le système de sécurité sociale nationale, explique-t-il sur son site. Un geste qui lui avait déjà valu une reconnaissance nationale.
Mais il ne s’est pas arrêté là. Il a construit avec sa femme un restaurant-cinéma qui doit ouvrir ses portes cette année, mais aussi une résidence pour artistes censée accueillir ses premiers occupants en 2025. En parallèle, Haraldur Thorleifsson a financé la construction de 150 rampes d’accès pour fauteuils roulants à Reykjavik afin de rendre la capitale islandaise plus accessible aux handicapés.
Atteint de dystrophie musculaire
Une cause qui le touche personnellement puisque l’homme est condamné à se déplacer en fauteuil roulant depuis plus de 20 ans – il est atteint de dystrophie musculaire, une maladie dégénérative incurable qui le prive progressivement de l’usage de ses muscles.
« Il est clair qu’Elon Musk n’avait pas fait le strict minimum de recherches sur le CV de la personne qu’il a décidé d’attaquer publiquement sur Twitter », observe Hamza Mudassir.
Jusqu’à présent, la brutalité des mesures mises en place par Elon Musk pour transformer Twitter lui avait valu de vives critiques, mais sans provoquer davantage. D’autant qu’il les avait présentées comme le seul moyen de remettre le réseau social à flot. Aux grands maux, les grands moyens, en somme.
Mais sa manière de traiter Haraldur Thorleifsson pourrait marquer un tournant. « L’un des atouts les plus précieux pour un employeur dans les secteurs intellectuels et créatifs est sa capacité à attirer les talents. Et on peut se demander si cet épisode ne va pas affecter l’attractivité de Twitter si n’importe qui, même une personne avec un CV comme Haraldur Thorleifsson, peut être ainsi humilié publiquement », suppose Hamza Mudassir.
Pour ce spécialiste du management entrepreneurial, « on savait qu’Elon Musk était génial pour bâtir des entreprises à succès à partir d’une simple idée. Mais jusqu’à présent, on ne l’avait encore jamais vu à l’œuvre pour transformer une société déjà bien établie ». Sauver Twitter est une tout autre histoire, et les faux-pas et décisions controversées prises par Elon Musk dans cette nouvelle aventure « montrent peut-être ses limites en tant qu’entrepreneur ».
france24