Jean Paul II dissimulait des affaires de pédophilie dans l’Église catholique en Pologne, bien avant d’être élu souverain pontife en 1978, accuse, preuves et témoignages à l’appui, un journaliste néerlandais dans un livre à charge et controversé affrontant l’un des tabous majeurs au pays natal du pape polonais.
Parmi les documents cités, bon nombre viennent des archives des anciens services secrets communistes, ce qui est souvent reproché à Ekke Overbeek. Le journaliste assure les avoir confrontés à d’autres sources, notamment avec des témoins directs.
Fruit de plus de dix ans d’enquête, de fouilles dans les archives et d’entretiens avec des témoins, le livre «Maxima culpa. Jean Paul II savait» d’Overbeek, est sorti mercredi en Pologne où le journaliste vit depuis plus de vingt ans et où le culte officiel du «pape polonais» se fissure de plus en plus, surtout parmi les jeunes.
«J’ai trouvé des preuves qu’il était non seulement au courant (…) de cas d’abus sexuels parmi les prêtres de son archidiocèse de Cracovie, mais il a aussi aidé à les couvrir», a déclaré M. Overbeek, 53 ans, dans un entretien avec l’AFP.
Il s’agit d’une période bien antérieure au scandale sur la pédophilie dans l’Église catholique, qui a éclaté à la moitié des années 1980, après des enquêtes aux États-Unis et en Europe occidentale.
«À 100 pour cent»
Parmi les exemples documentés dans ce livre de plus de 500 pages, le journaliste cite celui d’un prêtre accusé d’actes sexuels oraux sur des fillettes de 10 ans, qui, avant d’être traduit en justice, a avoué les faits devant Karol Wojtyla (futur pape Jean-Paul II, NDLR).
«Cela est décrit dans deux, même trois documents différents. Depuis, nous savons à 100 % qu’en 1970, Wojtyla a déjà entendu parler d’abus sexuels», dit-il.
Le prêtre est condamné, mais quand il sort de prison, l’archevêque «lui permet de poursuivre son ministère et c’est confirmé par une lettre écrite par Wojtyla», souligne M. Overbeek.
«L’une des histoires les plus difficiles à accepter», est celle du prêtre Boleslaw Sadus, proche collaborateur du futur Jean Paul II.
«Quand Sadus a des ennuis, car il est accusé d’avoir agressé des garçons, il l’aide à s’échapper de Pologne, lui organise, on peut dire, une nouvelle carrière en Autriche», insiste le journaliste et c’est «il semble», sans prévenir ses pairs sur les raisons pour lesquelles le père Sadus devait quitter le pays, à en croire la lettre de recommandation écrite et signée par Karol Wojtyla.
M. Overbeek a affirmé avoir contacté des victimes qui se sont exprimées sous couvert d’anonymat: «J’étais la première personne à qui elles ont parlé de ce qu’elles avaient vécu dans leur enfance». «Dans ce pays, les victimes d’abus sexuels du clergé ont (toujours) peur», dit-il.
En même temps, «les archives de l’Église catholique sont fermées aux journalistes» à la plume critique, regrette-t-il.
Il est arrivé que l’Église polonaise refuse de fournir des documents même à la justice ou à une commission publique d’enquête sur les cas de pédophilie.
«Notre pape»
Les réalisateurs d’une enquête journalistique également consacrée à Jean Paul II et évoquant les mêmes faits ont connu les mêmes obstacles. L’enquête a été diffusée dimanche par la télévision privée polonaise TVN.
L’Église polonaise et les autorités ont immédiatement fustigé ce reportage et la publication du livre d’Overbeek.
Le premier ministre Mateusz Morawiecki a dénoncé des «démarches qui dépassent (les cadres d’) un débat civilisé» à propos de «notre pape», alors que son parti nationaliste populiste veut faire approuver par le parlement une déclaration «en défense du Saint Jean Paul II».
De son côté, l’archevêque de Lodz, Mgr Grzegorz Rys, a estimé que «personne dans le monde ne comprend ce que les Polonais font aujourd’hui au pape Jean Paul II», en s’attaquant à son image.
Pour Ekke Overbeek, «le fait le plus troublant est qu’il était très indulgent envers les prêtres (…) et qu’il n’a prêté aucune attention aux victimes et à leurs familles».
«Nous sommes habitués à un personnage empathique et chaleureux alors qu’ici on voit un visage complètement différent de la même personne, un genre d’apparatchik de l’institution ecclésiastique».
AFP