L’Ordre des médecins belge n’a pas « avoué que le vaccin Covid ne marche pas »

Début février, une branche provinciale du Conseil de l’Ordre des médecins belge a organisé un symposium portant, entre autres, sur la sécurité des vaccins à ARN messager et sur la vaccination obligatoire des soignants. Une interview du médecin belge Alain Colignon, tournée à l’issue de cette conférence, a été relayée sur les réseaux sociaux par des internautes affirmant que l’Ordre des médecins aurait « avoué que le vaccin Covid ne marche pas ». C’est inexact.

Le symposium, au cours duquel plusieurs médecins ont présenté leurs points de vue, n’avait pas vocation à représenter une quelconque position officielle du Conseil de l’Ordre des médecins, a expliqué à l’AFP le vice-président de l’institution. Par ailleurs, si l’efficacité des vaccins anti-Covid a bien fait l’objet de débats durant cette conférence, les intervenants ont tous reconnu leur efficacité contre les formes graves et les décès.

« Le conseil de l’ordre des médecins de Belgique avoue que le vaccin COVID ne marche pas et que les effets secondaires sont bien réels ! », affirme l’auteur d’une publication, partagée plus de 300 fois et visionnée 5 000 fois depuis le 5 février 2023, qui poursuit: « la doxa de nos gouvernants s’écroule ».

Il s’appuie sur une vidéo montrant le médecin belge Alain Colignon interrogé par le site Kairos, dont l’AFP a déjà vérifié une vidéo en 2021. Le Dr Colignon y affirme que les intervenants de cette conférence « ont reconnu qu’il y avait des problèmes… ils ont dit, oui, nous reconnaissons que la pharmacovigilance n’a pas fait son travail ».

L’interview du Dr Colignon peut être retrouvée en entier sur la page Facebook de Kairos, qui se décrit comme « un journal anti-productiviste et indépendant ». Elle a été réalisée à la sortie du mini-symposium intitulé « Déontologie et vaccination obligatoire », organisé le 4 février 2023 par le Conseil provincial de l’Ordre des médecins de Bruxelles et du Brabant wallon, une branche provinciale de l’Ordre des médecins belge.

Au début de la vidéo, Alain Colignon se réjouit d’avoir assisté à une discussion « qui, pour la première fois depuis 2020, est un véritable débat où des contradictions sont possibles ».

En mai 2022, ce chirurgien vasculaire à Nivelles (sud de Bruxelles) a fait l’objet d’une suspension de deux ans décidée par le Conseil de l’ordre des médecins, après avoir prescrit des traitements non prouvés – tels que l’ivermectine ou le zinc – à des patients atteints du Covid-19 et avoir déconseillé les vaccins, comme l’indiquait alors le journal La Libre Belgique. Interrogé à ce sujet, le vice-président de l’Ordre des médecins Christian Melot a indiqué à l’AFP le 6 mars 2023 que cette sanction n’était pas effective à l’heure actuelle en raison d’un « vice de forme ».

Comme le rapporte cet article rédigé par Vincent Claes, modérateur du débat, plus de 500 personnes ont participé à ce symposium à Bruxelles, auquel pouvaient assister tous les médecins adhérents à l’Ordre des médecins. En revanche, les débats n’étaient pas ouverts au public. Le Dr Colignon était présent en qualité de participant mais pas d’intervenant. La liste des intervenants est disponible .

Liste des intervenants du symposium. Capture d’écran réalisée le 06/03/2023 sur le site de l’Ordre des médecins

« Plus de 200 manifestants antivax s’étaient réunis silencieusement devant le Château du Lac de Genval pour défendre leurs opinions en brandissant des pancartes », écrit Vincent Claes, qui résume le déroulé de la conférence: « le Pr Michel Goldman a présenté la technologie, les risques et les applications des vaccins à ARN ; les Prs Christian Melot et Bernard Hanson ont exposé les conflits qui naissent de l’existence des contraintes sociétales et des libertés individuelles et les Prs Bernard Rentier (ULiège) et Nathan Clumeck (ULB) ont débattu sur les aspects éthiques et déontologiques de l’obligation vaccinale pour les soignants ».

Grâce à ses échanges avec les médecins et à des articles de presse, l’AFP a pu retracer le contenu de ces débats. La balance bénéfices/risques des vaccins anti-Covid a été l’objet de discussions entre les intervenants, qui ont pointé des manquements dans la pharmacovigilance et une baisse d’efficacité des vaccins dans la protection contre la transmission du virus. Cependant, ils n’ont pas remis en question l’efficacité de la vaccination anti-Covid sur les formes graves et les décès.

Pas le reflet de la position du Conseil de l’Ordre sur la vaccination

Les différents arguments abordés par les intervenants sont développés dans un article (consultable par les abonnés) du Journal du médecin, rédigé par Laurent Zanella, un des deux journalistes ayant assisté au débat. Le rédacteur en chef du Journal du médecin a déclaré à l’AFP le 27 février 2023: « il a eu beaucoup de transparence, mais à aucun moment la vaccination et les décisions politiques de vacciner au moment où elles ont été prises n’ont été remises en question par les participants du congrès ».

La conférence, organisée par une branche provinciale du Conseil de l’Ordre, « n’avait pas vocation à représenter une position officielle du Conseil de l’Ordre des médecins », a par ailleurs souligné le vice-président de l’institution, Christophe Melot à l’AFP.

Les derniers avis disponibles sur le site du Conseil de l’Ordre et concernant la vaccination anti-Covid pour la population générale – datés de 2021, comme – soutiennent le programme de vaccination.

Interrogé le 4 mars 2023, Christian Melot a indiqué à l’AFP que l’Ordre « se fie à l’avis de l’Académie royale de médecine, selon laquelle la vaccination est efficace et clairement recommandée ».

Dans son communiqué le plus récent à propos de la vaccination des enfants et adolescents, l’Académie royale de médecine belge rappelle que les vaccins sont « sûrs et toujours efficaces pour protéger contre les formes rares mais graves de Covid-19 chez l’enfant et l’adolescent ».

« Il est faux de dire que le Conseil de l’Ordre a dit que le vaccin ne fonctionnait pas », a abondé Michel Goldman, professeur émérite d’immunologie à l’Université libre de Bruxelles (ULB) et intervenant durant ce débat, interrogé par l’AFP le 1er mars.

Sollicité le 3 mars par l’AFP, Bernard Rentier, ancien recteur de l’Université de Liège a jugé « très exagérée » l’affirmation selon laquelle le Conseil de l’Ordre des médecins de Belgique aurait avoué que « le vaccin Covid ne marche pas » .

Un débat sur la vaccination obligatoire des soignants

La conférence a abordé plusieurs thèmes, parmi lesquels la sécurité des vaccins à ARN Messager et les aspects déontologiques de l’obligation vaccinale pour les soignants.

Le symposium avait pour objet de réfléchir à l’éventualité de rendre la vaccination obligatoire pour le personnel de santé, a expliqué à l’AFP Christian Melot.

Contrairement à la France, la Belgique n’a jamais mis en place cette obligation. Le ministre belge de la Santé avait proposé en février 2022 un projet de loi sur le sujet, actuellement suspendu après plusieurs allers-retours entre la Chambre des représentants (l’équivalent belge de l’Assemblée nationale) et le Conseil d’Etat.

D’après l’article de Laurent Zanella, les intervenants ont tous reconnu l’absence de pertinence d’une vaccination obligatoire du personnel de santé en l’état actuel de la pandémie. En revanche, concernant une éventuelle future pandémie, Michel Goldman et Nathan Clumeck ont défendu la mise en place de cette obligation -sous certaines conditions- tandis que Bernard Rentier s’y est opposé.

Une soignante lors d’une manifestation contre la vaccination obligatoire du personnel de santé contre le Covid-19 à Bruxelles

En septembre 2021, alors que la découverte de nouveaux variants du Covid-19 inquiétait les scientifiques, le Conseil national de l’Ordre des médecins belge s’était prononcé en faveur de l’obligation légale de vaccination contre le Covid pour le personnel soignant.

Mais comme le rapporte l’article de Vincent Claes, le vice-président de l’Ordre des médecins belge a déclaré pendant le symposium du 4 février 2023: « l’Ordre considère que cette obligation est un pas trop loin ».

Ce changement d’avis est dû « au changement de la situation épidémique », a expliqué Christophe Melot à l’AFP le 4 mars, évoquant des variants moins dangereux circulant au sein de la population et la suspension de la loi sur la vaccination obligatoire des soignants, qui ne devrait pas être votée « avant les prochaines élections » belges – en 2024.

Les intervenants ont reconnu l’efficacité du vaccin sur les formes graves et les décès

D’après Alain Colignon, les débats auraient débouché sur « l’observation de résultats qui ne sont pas probants par rapport à l’efficacité du vaccin en termes de transmission et qui sont douteux en matière d’efficacité contre le décès », selon la vidéo relayée sur les réseaux sociaux (à 2’44).

Pourtant, les orateurs du symposium interrogés par l’AFP défendent l’efficacité du vaccin anti-Covid contre les formes graves de la maladie et les décès.

Durant la conférence, Bernard Rentier, ancien recteur de l’Université de Liège, a défendu un point de vue plutôt sceptique sur la vaccination contre le Covid-19, estimant que « le rapport bénéfice/risque de la vaccination dépend fortement de la manière dont ce calcul est réalisé », comme le rapporte l’article de Laurent Zanella.

« Pour moi, ce que l’on sait sur l’inefficacité des différents vaccins contre la transmission alors que la pharmacovigilance est très déficiente, suffit à oublier l’obligation vaccinale des soignants », a-t-il déclaré à l’AFP. Le médecin reconnaît cependant que « les chiffres de la vaccination sont favorables par rapport aux formes graves ». Son intervention lors de cette conférence peut être retrouvée dans son intégralité .

Michel Goldman a expliqué à l’AFP avoir défendu durant le débat l’efficacité de la vaccination. « Le vaccin protège extrêmement bien contre les formes graves qui mènent à l’hôpital et à la mort, ce qui est essentiel et a permis de sauver des millions de vies », a-t-il déclaré, ajoutant que « ce qui a été dit durant cette conférence, c’est que les vaccins fonctionnent toujours parfaitement contre les cas les plus graves mais qu’ils sont clairement moins efficaces pour prévenir l’infection par les variants Omicron et donc leur transmission ».

Au moment de la publication de cet article, le médecin Bernard Hanson, intervenant lors de ce débat, n’avait pas répondu à l’AFP.

Il existe aujourd’hui une dizaine de vaccins reconnus par l’OMS, basés sur des technologies différentes (vaccins à ARN messager, à vecteur viral ou à base de virus inactivé). Face aux variants du Covid-19 circulant actuellement, ces vaccins montrent une baisse d’efficacité dans la protection contre la transmission du virus.

Une méta-analyse publiée dans le Lancet en février 2023 montre que la protection induite par la vaccination était « élevée » pour les premiers variants Alpha, Beta et Delta, mais qu’elle est « nettement plus faible » pour le variant Omicron (sous-variant BA.1), actuellement en circulation. « En revanche, la protection contre les formes graves de la maladie est restée élevée pour tous les variants », écrivent les auteurs de cette méta-analyse.

Une autre étude, française, publiée le même mois montre que les doses de rappel des vaccins monovalents (c’est-à-dire la version originale des vaccins) à ARN messager, comme ceux de Pfizer/BioNTech et Moderna, « sont efficaces contre le risque d’hospitalisation pour Covid-19 en période de prédominance des sous-variants Omicron BA.4 et BA.5, mais que cette protection diminue dans le temps ».

Présentation d’un flacon du vaccin bivalent de Moderna, à Los Angeles, Californie

Depuis octobre 2022, les vaccins bivalents – adaptés aux nouveaux variants en circulation – sont injectés comme doses de rappel en Belgique. Peu d’études sur l’efficacité de ces vaccins adaptés existent à l’heure actuelle, mais le Centre belge d’information pharmacothérapeutique écrivait en octobre de la même année que « la réponse immunitaire contre le sous-variant Omicron BA.1 était plus importante avec le vaccin adapté qu’avec le vaccin d’origine ».

Pharmacovigilance critiquée mais pas unanimement désavouée

Les intervenants « n’ont pas insisté sur les effets secondaires mais ils en ont parlé. Quand nous leur avons fait remarquer qu’il y en avait beaucoup plus que ce qu’ils disaient, ils ont dit oui, nous reconnaissons. C’est incroyable: ‘nous reconnaissons que la pharmacovigilance n’a pas fait son travail' », affirme Alain Colignon dans la vidéo (2’34).

« La pharmacovigilance telle qu’elle est appliquée chez nous est déficiente parce qu’elle est laissée à la discrétion du médecin. Or, une pharmacovigilance prévoit qu’on rapporte tous les effets suspectés », a estimé Bernard Rentier, qui dans sa présentation évoque « la piètre qualité de la pharmacovigilance » mais ne dit pas qu’elle « n’a pas fait son travail ».

En Belgique, comme en France, les effets indésirables suspectés d’être liés aux vaccins anti-Covid sont signalés par les patients eux-mêmes ou par leur médecin généraliste sur la base du volontariat. L’Agence fédérale des médicaments et des produits de santé (AFMPS) publie toutes les deux semaines un rapport sur la base de ces signalements.

Mais ce fonctionnement a des limites, a expliqué Michel Goldman à l’AFP. « Cette pharmacovigilance dépend du fait que les malades et leurs médecins rapportent eux-mêmes les effets secondaires », ce qui a permis, selon lui, d’identifier rapidement certains effets indésirables graves, mais pas les effets considérés comme plus « bénins », tels que les troubles menstruels, par exemple. « Je n’ai pas dit que la pharmacovigilance n’a pas fait son travail ; j’ai dit que le travail est fait dans des conditions qui font que certains effets secondaires ultra-rares ne sont pas mis en évidence », a-t-il ajouté.

Ce point de vue a été confirmé par Laurent Zanella, qui a indiqué à l’AFP que pendant la conférence, « les effets secondaires ont été abondamment discutés. Comme avec tout vaccin, il y en a. Mais la balance coût/bénéfice en terme de santé publique plaidait clairement pour une vaccination de masse. Il a été rappelé à maintes reprises que la vaccination a sauvé des millions de vie ».

Nathan Clumeck a déclaré à l’AFP n’avoir pas évoqué la pharmacovigilance durant son intervention.

yahoo

You may like