Ce sont quelques millimètres, que l’on foule pieds nus sur les plages, ou le long des rivières, sans même les voir. De la taille d’une lentille, ces microbilles ou “pellets” sont pourtant en plastique. Elles servent de matière première à l’industrie pour fabriquer n’importe quel objet en plastique de notre quotidien.
Surfer dans une soupe de plastique
Co-fondateur de l’ONG Good Karma Projects, Jordi a fabriqué avec un groupe d’amis des tamis artisanaux. « Chaque année au mois d’octobre, un ramassage géant est organisé simultanément dans le monde entier » explique le trentenaire. « Ici, sur cette plage, nous avons récolté jusqu’à 1.8 millions de granulés en une heure et demie. » Son idée n’est pas de nettoyer les plages, mais de médiatiser cette pollution peu visible. « Lorsque nous avons commencé à faire connaître ce polluant, beaucoup de gens nous disaient qu’ils collectionnaient ces petites billes dans leur enfance, beaucoup de gens ne savent pas qu’il s’agit en fait de plastique », conclut Jordi.
Polyéthylène, polypropylène, polystyrène : à la base de tout objet plastique
N’importe quel élément en plastique commence en effet sa vie avec ces petites billes, qui sont fondues puis moulées pour former des bouteilles ou des tableaux de bord de voiture, en passant par des chaussures, des gourdes ou du mobilier.
Une tonne de plastique brut est composée de 50 millions de ces « pellets », leur autre nom. Elles mesurent moins de 5 mm de diamètre, une taille comparable à une lentille et sont très légères, donc extrêmement volatiles. C’est comme cela qu’elles se dispersent par milliards dans la nature. La pollution est double. Quotidienne d’abord: les granulés s’échappent insidieusement des usines lors de la production, le transport, le stockage ou même le recyclage.
Elle est aussi accidentelle, quand le naufrage d’un cargo entraine des marées blanches. Au printemps 2021, un porte conteneurs a pris feu au large des côtes du Sri Lanka. Trois containers entiers de pellets sont tombés à l’eau et se sont échoués le long des plages. Ce scénario s’est répété en France, plus récemment, sur la côte Atlantique.
Chaque année, 230 000 tonnes de micro billes se retrouvent dans nos océans. Elles se répandent si rapidement qu’on les retrouve dans tous les continents, sauf, étonnement, en Antarctique.
La micro bombe
Joaquim Rovira est biochimiste à l’Université Rovira I Virgili (URV) de Tarragone et étudie de près les micro plastiques. Les granulés que Jordi retrouve sur la plage en font partie, ils sont les plus gros qui existent dans cette catégorie. La dangerosité des micro plastiques n’est plus à démontrer : ils sont assimilés par des organismes (poissons ou bivalves par exemple) et remontent la chaîne alimentaire. Mais les pellets sont particuliers, explique le chercheur, « ce sont des cocktails de polluants, une petite bombe de pollution (…) Les granulés renferment de nombreux produits chimiques, de nombreux additifs.
Cela va des pigments, aux retardateurs de flamme. Certains ont même été répertoriés comme perturbateurs endocriniens voire molécules cancérogènes ». Un phénomène qui a des conséquences dramatiques à court, moyen et long terme pour la flore et la faune sous-marine, mais aussi pour la santé humaine.
Remonter la piste des microbilles
Marta Sugrañes est chercheuse à l’Université de Barcelone. Elle fait également partie du Good Karma Project, en tant que coordinatrice scientifique. « Nous cherchons à savoir d’où viennent ces granulés de plastique. L’idée c’est de suivre leur trace, de mener l’enquête, comme un détective », explique la jeune femme. Régulièrement, elle prélève en une journée des échantillons sur la trace du jet de rive, la ligne la plus haute atteinte par les vagues sur la plage de Tarragone.
Ces prélèvements sont ensuite envoyés au laboratoire de l’université où les pellets sont triés, analysés, décortiqués. Elle obtient la densité par mètre carré et leur composition physique et chimique. « Nous avons la preuve que ces granulés proviennent de la rivière près de la zone industrielle ici à Tarragone » conclut Marta, « Il y un lien clair entre les pluies et le fait que les granulés descendent par les rivières et arrivent sur la plage ». Les granulés font donc le voyage de la terre, où se trouvent les usines de production, vers la mer, en passant par les rivières puis la plage.
L’industrie se défend
« Nous sommes conscients qu’il y a des granulés plastiques » répond Maria Mas, directrice de l’Association des Entreprises Chimiques de Tarragone (AEQT). « Nous travaillons dur depuis un certain temps pour réduire les pertes de granulés de nos usines dans la nature ». Au niveau mondial, l’industrie a en effet mis en place au début des années 1990 un programme basé sur le volontariat, Operation Clean Sweep (OCS), pour aider les entreprises à améliorer leurs pratiques de manutention et prévenir la perte de granulés.
Pas d’audits indépendants pour vérifier que les promesses sont mises en œuvre dans les entreprises, pas vraiment de transparence non plus, OCS est très critiqué par les ONG. Maria Mas se défend : « On a amélioré nos installations. Des bacs de collecte ont été mis en place pour les « pellets », des aspirateurs aussi pour récupérer les granulés qui tombent par terre. C’est essentiellement là que tous les efforts sont concentrés ». Selon elle, les pertes de granulés dans la nature sont de moins en moins fréquentes. « Évidemment, pour atteindre l’objectif zéro, il faudrait que toute la chaîne de valeur adhère à ce programme et s’y engage. Pas seulement adhérer mais aussi s’engager. C’est la clef ».
Classer les microbilles plastique comme produit dangereux
Et si, comme le pétrole par exemple, les granulés plastiques étaient classifiés comme « produits dangereux » au niveau mondial ? C’est l’idée de l’ONG Seas At Risk, qui milite à Bruxelles pour que les pellets ne soient plus seulement considérés comme une matière première quelconque, mais commeun produit à risque.
Frédérique Mongodin, responsable « plaidoyer déchets marins » au sein de l’association, est sceptique sur les promesses de l’industrie: « Cela fait 30 ans que nous entendons parler d’initiatives de l’industrie pour prévenir ces fuites. On aurait déjà dû régler ce problème hier ». Le prix du plastique explique ces pertes : les pellets ne valent pas grand chose, moins d’un euro le kilo.
Il faut donc selon elle passer à la vitesse supérieure et légiférer. Cela permettrait de mettre en place des obligations : utiliser des packaging solides et hermétiques, qui limiteraient toute fuite à l’extérieur, interdire les containers de pellets sur le pont des cargos et imposer aux transporteurs de les stocker dans la cale. Ces précautions sont appliquées aux produits dangereux comme les carburants, qui font l’objet d’un suivi tout au long de la chaîne pour prévenir les fuites dans l’environnement. « On est arrivé au stade, où il faut légiférer au niveau européen rapidement » tranche Frédérique Mongodin, « aujourd’hui l’urgence c’est vraiment de rendre les producteurs responsables de leur pollution ».
france24