Trente ans après la mort de ce père adoré, l’auteure tresse les fils de son histoire dans les montagnes d’Iran, guidée par la pétillante Zohre. Elle a tiré de ce voyage mémoriel un récit littéraire, sensible et touchant.
« Ce qu’il me reste de souvenirs de mon enfance, c’est avec mon père« . Voilà déjà plus de 30 ans qu’Emilie Talon doit composer avec la disparition précoce de « Milou » (il s’appelait Emile…). Il est mort à 63 ans, quand elle n’en avait que 10. Avec les années, le besoin de comprendre cette figure sans doute un peu idéalisée, de fouiller leur relation si forte grandit. Alors, quand sa demi-sœur lui donne une pochette pleine de documents liés à leur père, la jeune femme se lance presque un défi : partir sur les traces du jeune homme qu’il fut, bien avant sa naissance, jusque dans les montagnes d’Iran.
De cette aventure est né Vertiges persans. Un livre émouvant, à l’écriture fine et sensible, en forme de jeu de miroir entre passé et présent, quête du père et de sa propre histoire et rencontre avec une jeune et audacieuse guide de haute montagne iranienne. « Je suis partie chercher mon père jeune et j’ai rencontré Zohre« , s’amuse Emilie, lors de notre entrevue à Sallanches, en Haute-Savoie.
Des histoires de montagnes lointaines
Toutes sortes d’instants précieux subsistent de cette relation fusionnelle, lorsqu’elle était blottie « dans le petit creux » de l’épaule paternelle au pied des sommets de l’Oisans, en Isère, où ils passaient les deux mois d’été. Alors qu’ils étaient allongés dans l’herbe, Milou lui racontait des histoires à mi-chemin entre conte et réalité. Il était souvent question de montagnes lointaines et de personnages fascinants.
Ces montagnes, il les a arpentées avec ses copains, « la bande des Stéphanois« . Au milieu des années 1950, ce féru d’escalade et d’alpinisme décide de monter une expédition avec quelques camarades du Club alpin de Saint-Etienne. La conquête de l’Annapurna en 1950 les avait fait rêver, ils vont réaliser leurs propres ascensions, en Iran, motivés par les témoignages d’une précédente expédition du CAF de Lyon. En juin 1956, Emile, André, Michel, Gérard, Jean et Amos embarquent à bord d’un paquebot pour traverser la Méditerranée puis rejoignent Téhéran en bus.
Ces hommes pleins d’entrain vont partir à l’assaut du Trône de Salomon et du volcan Damovand notamment. L’aventure est fixée sur bobine super 8. Emilie, enfant, regardera quelquefois d’un œil distrait le film intitulé… Vertige persan. « Sa mort a été la fin de la relation à la montagne« , confie Emilie, au moins momentanément. « Je me suis mise à avoir peur. »
En juillet 2021, elle s’envole à son tour vers l’Iran. Ce n’est pas sa première expérience. Une tante maternelle s’y est installée et a fondé une famille à laquelle elle rend visite de temps à autre.
Dans son précédent livre, Iran, la paupière du jour (éditions Elytis), elle a puisé dans ce lien fort qui l’unit au pays. Cette fois c’est différent. Elle veut aller fouler ces mêmes montagnes rocailleuses qui ne se laissent pas facilement dompter, là où les pierres roulent dangereusement sous les semelles. C’est là-bas, en posant ses pieds là où Emile a mis les siens, en s’imprégnant d’un paysage qu’il a lui aussi contemplé, en respirant le même air poussiéreux ou glacial, qu’elle veut fouiller ce lien privilégié qui les unissait, « tester la résistance de [son] amour pour lui« .
« C’était un homme fabuleux en tant que père, mais je sentais qu’il pouvait y avoir des tensions avec les adultes » reconnaît Emilie. « Je me suis demandé pourquoi, après cette expédition, il n’a plus jamais grimpé avec André par exemple. Je savais que j’allais me confronter à des imperfections paternelles. » Des imperfections, elle va en effet en trouver quelques-unes au cours de ce « voyage mémoriel« , mais rien qui n’émoussera « l’admiration lucide » qu’elle lui porte toujours aujourd’hui.
Zohre, guide rebelle et lumineuse
« En Iran, la montagne est un moyen pour s’échapper du quotidien. Zohre a dû arracher ses compétences d’alpiniste alors qu’elle vient d’une famille très traditionnelle« , souligne Emilie. « Elle aussi a perdu son père jeune et ses frères étaient très récalcitrants. » Quand surviennent les difficultés lors des ascensions engagées, quand le doute assaille Emilie, son amie est là, « paternante« . « Elle a été tellement réconfortante et lumineuse qu’elle me maintenait en haut. Sans elle, je n’y serais sans doute pas arrivée. »
De cette quête, Emilie n’est pas revenue complètement indemne. Le voyage en Iran achevé et le livre paru, « le manque de mon père est accru« , constate-t-elle. « J’ai eu le sentiment que j’étais allée au bout et j’ai ressenti un grand vide« , en partie comblé par les nombreuses rencontres en librairies organisées depuis la mi-janvier. « La montagne est un lieu et un lien » disait Michel Guérin, fondateur des éditions Guérin, cité par Emilie. Un lien puissant qu’elle a tissé au fil des pages et continue de tisser aujourd’hui pour rendre cette œuvre littéraire touchante accessible à tous, même à ceux qui ne crapahutent pas vers les hauts sommets, qu’ils soient ici ou en Iran.
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