Thierry* est désemparé. Ce médecin généraliste compte une soixantaine d’arrêts de travail établis à son nom. Il ne les a pourtant jamais signés. En septembre 2022, le praticien reçoit plusieurs appels d’employeurs, de mutuelles et de caisses d’assurance-maladie. Il lui est demandé de confirmer l’authenticité d’arrêts de travail provenant apparemment de son cabinet et comportant de multiples incohérences. Thierry réalise que son identité a été usurpée.
« Je suis tombée des nues (…) C’est quelque chose de très violent », témoigne-t-il auprès de franceinfo. Thierry est installé en région parisienne, mais ces arrêts ont été rédigés pour des personnes habitant « dans toute la France », « de Lille, Lyon, Marseille »… Intrigué, le médecin mène sa propre enquête. « J’ai vu que sur les réseaux sociaux, vous pouviez acheter de faux arrêts de travail avec le nom de vrais médecins. »
« Signés et tamponnés par un vrai médecin »
Il suffit de taper « arrêt maladie » dans le moteur de recherche de Snapchat, réseau social prisé des 15-49 ans, pour découvrir une multitude de comptes douteux. A grand renfort de « stories » promotionnelles, les faussaires proposent des arrêts de travail « signés et tamponnés par un vrai médecin », avec « dates au choix », envoi par mail « sous 15 minutes » ou retrait sur place. Les prix vont de 15 à 30 euros.
En se faisant passer pour un client potentiel, franceinfo a pu échanger avec plusieurs vendeurs. Tous procèdent de la même manière. Il suffit de décliner son identité, son numéro de Sécurité sociale, la durée de l’arrêt maladie souhaité, voire son motif. Après avoir demandé le lieu de résidence, l’un d’entre eux répond : « C’est bon. J’ai un médecin sur Paris.
» Une affirmation ambiguë qui pourrait laisser entendre qu’il possède un réseau de médecins partenaires. Le vendeur propose ensuite un envoi par mail contre virement.
Une vraie feuille de soins pour 15 euros
Un autre vendeur joue la carte de la sympathie, en laissant de nombreux messages vocaux. « Je suis réglo, je suis carré, il n’y a pas d’arnaque, il n’y a pas d’escroquerie. Mon but, c’est de satisfaire les gens. S’ils ne sont pas satisfaits, ça ne m’intéresse pas », affirme-t-il, en se comparant aux autres faussaires. Il se montre très disponible quand franceinfo lui demande une remise en main propre et laisse même le choix de l’établissement émetteur de l’arrêt (cabinet médical, clinique, hôpital…).
Le rendez-vous est fixé à un arrêt de tramway, en région parisienne. Avant de se montrer, le faussaire a pris soin de demander une photo de son client, car « il est en mode parano ». Il arrive accompagné d’un enfant en bas âge. La feuille de soins qu’il nous remet est vierge avec, comme promis, le cachet d’un vrai médecin. Le document paraît authentique. Le vendeur explique même comment le remplir et détaille l’usage des trois volets : celui destiné au patient, celui à envoyer à la Sécurité sociale, et celui à transmettre à l’employeur. Le tout pour 15 euros.
« La prochaine fois, je peux te livrer chez toi, mais c’est plus cher. Aujourd’hui, mon livreur n’était pas disponible. »
Un vendeur de faux arrêts maladie sur Snapchatà franceinfo
Jointe par téléphone, la médecin généraliste dont le nom figure sur la feuille de soins se lamente : « C’est une horreur, c’est une catastrophe. J’en ai eu une quantité industrielle. Plus les gens qui viennent au cabinet, pensant que c’est moi qui ai fait l’arrêt. Ils n’ont rien compris, ils pensent que c’est de la télémédecine. »
Plusieurs millions de préjudice pour la Sécu
La Sécurité sociale estime le préjudice dû aux falsifications d’arrêts de travail par les assurés à 3,4 millions d’euros en 2021. En cas d’usurpation d’identité, le médecin « doit à la fois faire une démarche auprès de la police ou la gendarmerie, mais aussi en informer la CPAM, qui pourra enquêter sur les bases de données de l’Assurance-maladie, afin de détecter d’éventuels arrêts de travail frauduleux et réaliser des enquêtes », recommande l’organisme.
Celui-ci effectue d’ailleurs des contrôles médicaux et administratifs lorsque les arrêts durent plusieurs mois. Il se réserve le droit de suspendre les indemnités journalières, voire d’imposer des pénalités financières et de transmettre des informations à la justice lorsqu’une fraude a été établie. Thierry a suivi toutes ces démarches. Plusieurs mois après son dépôt de plainte, il fait un constat amer : « Ça n’a pas changé. Tous les jours, j’ai la Sécurité sociale qui me contacte pour me demander de confirmer ou d’infirmer de faux arrêts de travail. »
Comment endiguer ce phénomène ? Pour le médecin, retoucher un arrêt sur Photoshop ou encore voler une feuille de soins n’est pas si difficile. Il faudrait selon lui « mettre l’accent sur la télétransmission des arrêts, supprimer ou encadrer de manière plus stricte la rédaction d’arrêts de travail en format papier ou via les plateformes de téléconsultation, surveiller et contrôler les réseaux sociaux ».
En octobre 2022, un habitant du Val-d’Oise qui vendait de faux arrêts maladie sur les réseaux sociaux a été jugé pour altération frauduleuse de la vérité dans un écrit et usage de faux en écriture. D’après La Gazette du Val-d’Oise, il a été condamné à 1 500 euros d’amende.
*Le prénom a été modifié pour préserver l’anonymat de l’intéressé.
francetvinfo