Pando a beau peser l’équivalent d’un millier d’éléphants, il est menacé par une cohortes de cervidés à la recherche d’un casse-croûte.
Un cervidé devant une clôture qui l’empêche d’aller brouter les pousses de Pando© Lance Oditt / Friends of Pando Association via Richard Elton Walton – The Conversation
Lorsqu’un enfant curieux nous interroge sur les plus gros êtres vivants de notre planète, ce sont souvent les mêmes exemples qui reviennent. Les éléphants d’Afrique, par exemple viennent immédiatement à l’esprit. Ils sont effectivement les plus grands animaux terrestres actuels; mais ils ne font pas le poids lorsqu’on les compare avec d’autres espèces.
Ils passeraient même pour des lilliputiens à côté des vénérables baleines bleues, qui pèsent généralement entre 130 et 150 tonnes – soit 30 fois plus que les majestueux pachydermes. Et pourtant, même ces géants placides sont encore très loin de rivaliser avec le champion incontesté de cette catégorie, dont la masse est estimée à plus de… 6000 tonnes.
Mais quel genre d’être vivant pourrait atteindre une telle masse ? S’agirait-il d’un alien emprisonné dans la Zone 51 ? Les Japonais auraient-ils retrouvé la trace de Godzilla au fond de l’océan ? La réponse est loin d’être aussi extravagante, mais elle n’en demeure pas moins fascinante : il s’agit d’une immense famille de peupliers !
Un arbre adepte du clonage
Plus précisément, nous parlons ici de Populus tremuloides, plus communément appelé peuplier faux-tremble. C’est un grand arbre originaire des régions froides d’Amérique du Nord qui est très prisé de l’industrie du papier pour son bois tendre. À première vue, malgré sa taille moyenne impressionnante d’environ 25 mètres, cette espèce n’a pas grand-chose de particulier. Pour trouver ce qui la rend si intéressante, il faut descendre d’un étage.
Il dispose en effet de racines très étendues et assez superficielles, c’est-à-dire que les ramifications ne s’enfoncent pas très profondément dans le substrat. Ce système racinaire est le siège d’un véritable super-pouvoir : la reproduction clonale.
Les racines de tous les arbres sont sensibles à la lumière. En général, elles filent à l’opposé de ce signal lumineux pour s’enfoncer le plus profondément possible. Mais celles de Populus tremuloides ont la capacité de faire l’inverse. Lorsque toutes les conditions sont réunies, elles peuvent se diriger vers la surface. Elles donnent alors naissance à un nouvel “arbre”.
La nuance, c’est qu’il s’agit d’un gros abus de langage. Car physiologiquement parlant, il ne s’agit pas d’individus distincts. Ce sont tous des clones parfaits, produits sans fertilisation par un individu du sexe opposé. De plus, chaque peuplier est connecté par cet énorme réseau de racines. Ils partagent tous un patrimoine génétique strictement identique. Techniquement, il s’agit donc d’un seul et même organisme de très grande taille.
Pando, le plus gros être vivant de la planète
Il existe d’autres espèces d’arbres qui pratiquent la reproduction clonale, y compris en Europe. Mais les colonies de Populus tremuloides peuvent atteindre des proportions spectaculaires. C’est le cas de Pando (“Je m’étends” en latin), une forêt située dans l’Utah, aux États-Unis. Elle compte plus de 47.000 peupliers pour une masse totale estimée à environ 6000 tonnes – soit l’équivalent d’une quarantaine de baleines bleues. Selon ce critère, c’est tout simplement le plus gros organisme vivant jamais documenté sur Terre.
Et si ce n’était pas encore assez spectaculaire, Pando se distingue aussi par son âge canonique. Le système racinaire est âgé de plus de 10 millénaires Certaines estimations discutables suggèrent même qu’il pourrait être âgé d’environ 80.000 ans, ce qui renvoie à l’époque où les premiers humains ont quitté leur berceau africain pour la première fois !
L’autre élément intéressant, c’est que cette longévité folle a permis à un écosystème relativement unique de se mettre en place. Plusieurs dizaines d’espèces ont co-évolué avec Pando au fil des âges, et tout ce petit monde a tressé des liens uniques avec la colonie multimillénaire.
Pando est donc une entité fascinante à bien des égards. La zone est surveillée par le gouvernement américain et de nombreuses associations. Mais selon certains chercheurs, la colonie est désormais sur le déclin. Et c’est en partie à cause de ces efforts de protection.
Champignons, réchauffement climatique… et bêtes à cornes
En effet, depuis que les loups et les cougars ont déserté les forêts mormones, une quantité invraisemblable de cerfs et de wapitis s’est installée au coeur de Pando. Cette population y a trouvé un havre de paix inviolable, puisque les chasseurs n’ont absolument pas l’autorisation d’y pénétrer. Le problème, c’est que ces espèces raffolent des petites pousses de végétaux. Dès qu’une nouvelle racine de Pando pointe le bout de son parenchyme, cette armada de bêtes à cornes ne se fait pas prier pour les croquer – quitte à ratiboiser la majorité des bébés peupliers.
D’après Richard Elton Walton, un biologiste qui a écrit à ce sujet sur The Conversation, le phénomène commence à prendre des proportions inquiétantes. Dans les zones où le gibier a élu domicile, il n’y a apparemment presque plus aucun peuplier qui arrive à maturité.
Et il n’y a pas que les mammifères qui se montrent ingrats envers leur hôte. C’est aussi le cas d’une foule de micro-organismes, y compris certains donc Pando se serait bien passé. Toujours selon Walton, la colonie est affectée par au moins trois maladies distinctes. Et les conséquences de cette contagion sur le long terme ne sont pas encore claires.
Enfin, il reste un dernier facteur encore plus problématique qui menace les peupliers : le réchauffement climatique. Comme chacun le sait, la température globale ne cesse d’augmenter à un risque alarmant. Il s’agit évidemment d’une perspective peu réjouissante pour cette espèce qui affectionne les climats froids. Malheureusement, il faudra donc bien plus que des clôtures anti-cerfs et des antifongiques pour sauver Pando…
Malgré tout, à moins d’un véritable désastre, la colonie devrait encore tenir debout un certain temps. Surtout si l’on raisonne à l’échelle humaine; Pando nous enterrera probablement tous malgré les assauts des cervidés et des champignons. Ce n’est pas si facile de se débarrasser de l’équivalent végétal d’un millier d’éléphants !
The Conversation