Les questions que pose la loi pour accélérer la construction de nouveaux réacteurs nucléaires

Le projet de loi d’accélération des procédures liées à la construction de nouveaux réacteurs nucléaires arrive lundi à l’Assemblée nationale, après un vote au Sénat qui l’a largement amendé. Censé être purement technique, ce texte suscite désormais des interrogations qui pourraient enflammer le Palais Bourbon.

Lever les obstacles administratifs pour aller vite. C’est l’objectif poursuivi par le projet de loi visant à accélérer la construction en France de nouveaux réacteurs nucléaires, voté au Sénat le 24 janvier, et dont l’examen à l’Assemblée nationale débute lundi 13 mars, bien que la réforme des retraites ne soit pas achevée.

Dans la lignée du discours de Belfort d’Emmanuel Macron du 10 février 2022, qui a marqué le revirement du président en faveur du nucléaire, ce projet de loi doit permettre la construction plus rapide de six réacteurs de type EPR2 (réacteur pressurisé européen de 2e génération) et la possibilité d’en ajouter huit autres en accélérant les procédures.

Pour y parvenir, le texte prévoit de rendre possible la mise en compatibilité des documents locaux d’urbanisme, de dispenser de permis de construire les nouveaux réacteurs nucléaires qui seront construits à proximité immédiate des centrales existantes, ou encore de construire des nouveaux réacteurs en bord de mer s’ils sont installés dans le périmètre d’une centrale existante. Alors que 69 % de l’énergie produite en France est d’origine nucléaire, le texte permet également de prolonger la durée de vie des réacteurs nucléaires existants.

Selon la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, qui porte ce projet de loi, cela permettrait « de ne pas ajouter un délai de deux à trois années à la construction d’un réacteur ».

Quatre jours d’examen sont annoncés au Palais Bourbon pour un texte initialement présenté comme purement technique, mais qui, après son examen au Sénat, va désormais bien au-delà. Le projet de loi tel qu’il sera débattu entre députés soulève par conséquent plusieurs questions.

Un texte qui se substitue à la loi de programmation sur l’énergie et le climat ?
Le projet de loi voté au Sénat le 24 janvier a subi d’importantes modifications par rapport au texte initial, à tel point que son objet même semble avoir été détourné. D’un texte qui devait se contenter de modifier des aspects administratifs pour rendre plus rapide d’éventuelles décisions de construction, l’Assemblée nationale hérite davantage d’une feuille de route.

Les amendements apportés par les sénateurs intègrent ainsi la relance du nucléaire à la planification énergétique et prévoient que la future loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC) acte la construction de nouveaux réacteurs.

« Ce n’est plus un texte technique, mais programmatique, regrette la députée écologiste Julie Laernoes. La loi de programmation sur l’énergie et le climat n’arrivera pas avant le printemps, mais on sait déjà que l’on veut construire 14 nouveaux réacteurs nucléaires. C’est très différent de ce qui a été produit avec la loi d’accélération sur les énergies renouvelables qui, elle, ne fixe aucun objectif. »

D’autant que les sénateurs ont supprimé un élément clé de la loi de transition énergétique de 2015 : le plafonnement à 50 % de la part du nucléaire dans le mix énergétique français d’ici 2035. Dans la version du projet de loi votée au Sénat, le plafond de 50 % devient un plancher. Les sénateurs ont également imposé la révision du décret prévoyant la fermeture de douze réacteurs existants.

Quelles conséquences sur la sûreté nucléaire après la fusion entre l’IRSN et l’ASN ?
Le gouvernement a ajouté le 8 février, lors de l’examen de son projet de loi en commission des affaires économiques, une réforme de la sûreté nucléaire par un simple amendement. Celle-ci prévoit la disparition de l’Institut de sûreté nucléaire (IRSN), que l’exécutif veut fondre dans l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

L’IRSN est l’institut en charge de l’expertise scientifique du risque nucléaire qui émet des avis sur lesquels se base l’ASN, entité en charge des décisions en matière de sûreté et de contrôle des centrales, pour rendre ses arbitrages.

L’ajout de cet amendement en catimini a fait l’effet d’une bombe et a suscité une levée de boucliers des syndicats de l’IRSN comme de l’ASN, de la gauche, et des protestations jusque dans la majorité. Les salariés de l’IRSN étaient en grève, lundi 20 février, et l’intersyndicale a prévu une nouvelle journée d’action, lundi 13 mars, pour l’arrivée du texte dans l’Hémicycle.

« On ne comprend pas pourquoi le gouvernement vient déstabiliser notre système de sûreté. Le faire à ce moment-là de manière aussi brutale est totalement irresponsable. Qu’on soit pour ou contre le nucléaire, on doit être pour la sûreté », affirme Julie Laernoes.

D’autant que cette annonce intervient au moment où une fissure « importante » dans la tuyauterie d’un réacteur de la centrale de Penly, en Seine-Maritime, vient d’être révélée.

Le ministère de la Transition énergétique assure que cette réorganisation doit permettre de « fluidifier les processus d’examen technique et de prise de décision de l’ASN pour répondre au volume croissant d’activités lié à la relance de la filière nucléaire ».

« On a plus que jamais besoin d’un système de sûreté robuste, mais c’est le moment que le gouvernement choisit pour tout casser. La réforme n’est pas guidée par des intentions vertueuses, mais par la volonté de faire rentrer l’IRSN dans le rang. Ce qui est en jeu, c’est son indépendance », estime de son côté Yves Marignac, de l’association négaWatt, qui promeut la sobriété énergétique et les énergies renouvelables.

Quid de la capacité industrielle de la France à construire des EPR2 ?
Le projet de loi mentionne la construction de six EPR2. Les deux premiers devraient être implantés à Penly, en Seine-Maritime, suivis de deux autres à Gravelines, dans le Nord, selon les plans d’EDF. La ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a avancé l’objectif de 2027 pour « la première coulée de béton », et « 2035-2037 » pour la mise en service.

Une gageure quand on garde à l’esprit le cauchemar que représente la construction de l’EPR de Flamanville, dans la Manche. Lancé en 2007, le chantier devait initialement être achevé en 2012, pour un budget total de 3,3 milliards d’euros. Le démarrage du réacteur est aujourd’hui prévu pour mi-2024, tandis que son coût a été réévalué par EDF à 13,2 milliards d’euros.

Le projet de loi ne se concentre que sur les autorisations administratives, alors que pour être mené à bien, le nouveau « plan Messmer » que souhaite lancer Emmanuel Macron demande aussi des compétences industrielles. Or, « vingt ans après la mise en service de la dernière centrale (Civaux en 2002), le tissu industriel s’est progressivement délité » et « des travaux sur les déboires de l’EPR de Flamanville pointent des pertes de compétences industrielles dans la soudure, l’ingénierie et la gouvernance du projet », relèvent Michaël Mangeon, spécialiste de l’histoire du nucléaire, professeur à l’Université Paris Nanterre, et Mathias Roger, chercheur en histoire et sociologie des sciences et des techniques à l’IMT Atlantique, dans un article publié le 21 avril 2022 sur le site The Conversation.

« D’autres travaux mettent en évidence des mécanismes de désapprentissage liés à une longue période d’absence de projets et un profond renouvellement générationnel des équipes d’ingénieurs », poursuivent-ils.

« Nous avons tiré les leçons de la construction d’EPR en Finlande, où il est aujourd’hui achevé, et en France à Flamanville », affirmait Emmanuel Macron dans son discours de Belfort il y a un an. EDF a depuis mis en place un plan d’excellence pour l’ensemble de la filière et a estimé en novembre que celle-ci devra recruter 10 000 à 15 000 personnes par an sur la période 2023-2030.

FRANCE24

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