En Tunisie, première journée chaotique à la nouvelle Assemblée

L’Assemblée tunisienne issue des dernières législatives a siégé pour la première fois ce lundi 13 mars. Nouveaux élus, nouvelles règles constitutionnelles, nouveaux pouvoirs… et beaucoup d’approximations.

Après près de vingt mois de suspension, l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) reprend du service dans une mouture inédite élaborée à l’aune d’une refonte totale du système politique opérée par le président de la République, Kaïs Saïed. La séance inaugurale de cette nouvelle législature, qui s’est tenue ce lundi 13 mars, est supposée être un temps fort – ou du moins faire date. La journée, pourtant, s’est déroulée sans apparat, ni émotion, ni solennité. La plénière a même semblé approximative, voire erratique.

Cette réunion de la nouvelle Assemblée était pourtant très attendue. Elle met fin à la période des mesures exceptionnelles entrées en vigueur le 25 juillet 2021. Néanmoins, la situation a évolué. L’ARP ne représente plus un pouvoir – législatif en l’occurrence – mais une fonction. La Constitution adoptée en août 2022 a en effet consacré un régime présidentiel fort au détriment de l’équilibre des pouvoirs. Une évolution qui est aussi la conséquence de la déliquescence de l’ancienne Assemblée, dont les Tunisiens ne veulent plus. Autre difficulté pour les nouveaux députés : les élections dont ils sont issus n’ont attiré que 11,4 % de votants. La nouvelle ARP devra donc convaincre par son travail et sa pertinence.

Voici les premiers enseignements de la journée inaugurale.

Composition du Parlement Sur 161 sièges, seuls 154 sont pourvus, dont 25 par des femmes. Ceux encore vacants correspondent à des circonscriptions où aucun candidat ne s’est présenté. Issus d’un scrutin uninominal, les nouveaux élus sont théoriquement tous « indépendants ».

Mais selon l’enquête du média Al-Qatiba, 75 des 154 élus étaient politiquement actifs avant ce mandat, 31 sont des indépendants ayant eu une activité à l’échelle locale ou une fonction de responsable de collectivités, 7 sont syndicalistes et 38 sans étiquettes. 42 des 75 députés anciennement encartés viennent de la mouvance de Nidaa Tounes ou de partis proches qui n’existent plus mais avaient une filiation avec le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti unique de l’ère Ben Ali. Le reste correspond à des formations qui soutiennent le président, dont le Mouvement du 25-Juillet avec 7 sièges, Intissar el-Chaab avec 6 à 8 sièges et El-Chaab avec 9 à 11 sièges.

Groupes parlementaires. C’était un souhait du président Kaïs Saïed : « La formation de blocs parlementaires est considérée comme une pratique dépassée… Le Parlement ne sera pas comme le précédent… Nous devons procéder à une restructuration ! »

La nouvelle Constitution interdit donc le nomadisme politique mais admet l’existence de groupes parlementaires. Ces derniers cependant ne protégeront pas les élus d’un contrôle populaire et d’une révocation en cas d’abus mais restent utiles pour déterminer les équilibres sous la coupole du Bardo. Le processus plus que chaotique d’élection du président et des vice-présidents de l’Hémicycle a pourtant démontré, dès le premier jour, que tout le tintamarre médiatique sur les groupes n’était que de l’esbroufe.

Des ratés dans l’organisation. Tout aurait dû se dérouler de manière fluide. Avec un programme établi par l’arrêté convoquant les députés à cette première plénière. Présidée par Salah Mbarki, le doyen de l’Assemblée, assisté de Syrine Bousandel et Ghassen Yamoun (les élus les plus jeunes faisant office de vice-présidents), la séance se déroule en trois temps : la prestation de serment des élus, l’élection du président de l’Assemblée ainsi que des deux vice-présidents, et enfin la désignation de la commission chargée du règlement intérieur.

Seulement, la conduite de la plénière a été approximative et, de toute évidence, Salah Mbarki, peu préparé à l’exercice, a été pris au dépourvu par les réactions des députés face à des lacunes dans la procédure élective des vice-présidents, notamment en matière de représentativité des femmes.

Sur le perchoir. Comme attendu et annoncé depuis des mois, l’ancien bâtonnier Brahim Bouderbala a été élu à la présidence de l’ARP. Cet ambitieux, proche de Kaïs Saïed, sera assisté de Saoussen Mabrouk, élue à Médenine (Sud), et de l’historien Anouar Marzouki, élu de Nabeul (Est). Depuis le perchoir, tous trois donneront le ton de la nouvelle législature mais savent que Le Bardo a perdu beaucoup de ses pouvoirs.

L’ARP reste toutefois la première institution légitime de la troisième République à être mise en place. On peut parier que les nouveaux chefs des députés n’entreront pas dans le débat sur l’organisation d’une présidentielle anticipée, la présidence actuelle relevant de l’ancienne Constitution.

Marges de manoeuvre. Dans sa nouvelle Constitution, Kaïs Saïed a pris soin de ne pas doter le nouvel Hémicycle de prérogatives qui pourraient contrer son autorité. Néanmoins, le Parlement doit entériner les décrets promulgués durant la période d’exception. Les députés peuvent refuser de les valider, surtout ceux qui comportent des sanctions pénales comme le décret-loi 54 car celles-ci relèvent de la justice et non du politique.

Cette procédure vaut également pour les décrets organisant les conseils régionaux, locaux et municipaux. Les députés peuvent également, si l’intérêt général est en jeu, fixer une élection présidentielle. Mais une ARP acquise au président n’aura probablement pas recours à ces mesures extrêmes.

Une plénière (presque) sans médias. Les médias locaux et internationaux habitués, depuis 2011, a couvrir les activités parlementaires ont été étonnés que l’accès à l’Hémicycle ne soit accordé qu’à la chaîne de télévision nationale et à l’agence Tunis Afrique Presse (TAP). Pourtant, depuis plusieurs jours, ils réclamaient auprès des autorités compétentes des précisions qui ne sont jamais venues. Invoquant le principe de transparence, certains députés, dont ceux du parti El-Chaab, se sont élevés contre la mise à l’écart des journalistes, et le président de l’Assemblée, Brahim Bouderbala, a assuré que cela ne se reproduirait plus.

Premier incident. Beaucoup retiendront de cette plénière erratique un incident anecdotique, mais qui en dit long sur l’état d’esprit de certains élus. La session a été interrompue par la police venue chercher Wajdi Ghaoui, un élu qui avait maille à partir avec la justice. Après s’être échappé du tribunal, le député s’était caché jusqu’à la plénière, pensant qu’après avoir prêté serment il bénéficierait de l’immunité parlementaire. Mauvais calcul : ce privilège n’a pas été reconduit sur cette députation. Certains en rient, d’autres y voient la confirmation que l’impunité n’a plus cours.

JEUNEAFRIQUE

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