Une équipe de chercheurs de Marseille a montré qu’un virus pris dans la glace de la Sibérie depuis 48 500 ans pouvait encore contaminer. Une potentielle menace pour la santé publique, conséquence du réchauffement climatique.
« Hibernatus » version virus, en plus inquiétant. Une équipe scientifique dirigée par Jean-Michel Claverie, professeur émérite à l’université d’Aix-Marseille a publié le 18 février une étude portant sur un virus « zombie », toujours infectieux après 48 500 ans emprisonnés dans le sol gelé du permafrost en Sibérie. Une découverte peu rassurante publiée dans la revue Viruses avant d’être relayée par CNN.
A l’heure du réchauffement climatique et de la fonte accélérée des glaces, y a-t-il lieu de s’inquiéter ? France 3 Provence-Alpes vous livre les principaux éléments pour comprendre les enjeux soulevés par cette étude scientifique.
Quelle a été la découverte de cette équipe de scientifiques ?
Jean-Michel Claverie et son équipe au laboratoire de Marseille ont testé des échantillons de terre prélevés sur le sol gelé de l’arctique sibérien, le pergélisol, plus connu sous le nom anglais de permafrost. L’objectif : voir si les virus contenus dans la glace depuis des dizaines de milliers d’années étaient encore contagieux.
Le plus ancien des virus détecté avait près de 48 500 ans, d’après la datation du sol au carbone 14, et provenait d’un échantillon de terre prélevé dans un lac souterrain à 16 mètres. D’autres souches, datant de 27 000 ans, provenaient du contenu de l’estomac d’un mammouth laineux et de son pelage.
L’équipe de scientifiques a pu isoler 13 souches représentant 5 nouvelles familles de virus, à partir de plusieurs échantillons de terre prélevée à sept endroits différents en Sibérie. Les chercheurs les ont ensuite injectées dans des amibes (organismes unicellulaires). Ainsi, ils ont pu montrer que ces souches avaient conservé leur capacité à contaminer.
Est-ce la première découverte de ce type ?
Ce n’est pas la première expérience de ce type réalisée par l’équipe de Jean-Michel Claverie dans un laboratoire de l’université d’Aix-Marseille. En 2014 et 2015, le scientifique avait déjà « ressuscité » des virus issus du permafrost en les insérant dans des cellules. Par sécurité, les virus choisis ne pouvaient contaminer que des amibes unicellulaires et non des animaux et des humains.
« Bien que limités aux amibes, ces premiers résultats ont démontré qu’il était possible que des virus restent infectieux dans le pergélisol ancien depuis la préhistoire, une conclusion très probablement extensible aux virus infectant d’autres espèces, comme les animaux ou les humains », écrit alors Jean-Michel Claverie dans son étude. C’est alors que la notion populaire de virus « zombie » est née.
Est-ce que ces virus « zombies » sont dangereux pour l’homme ?
Le fait que des virus en sommeil depuis la préhistoire restent infectieux des milliers d’années plus tard est un phénomène inquiétant qui pourrait constituer une menace pour la santé publique, selon Jean-Michel Claverie. Les virus retrouvés jusqu’à présent sont des virus appelés virus « géants » et ne peuvent contaminer que les amibes et non les mammifères. Et les autres ?
« Nous voyons les traces de beaucoup, beaucoup, beaucoup d’autres virus, témoigne-t-il à France 3 Provence-Alpes. Nous savons donc qu’ils sont là. Nous ne savons pas avec certitude s’ils sont encore en vie. Mais notre raisonnement est que si les virus amibes sont toujours vivants, il n’y a aucune raison pour que les autres virus ne soient pas encore vivants et capables d’infecter leurs propres hôtes. »
Dans leur étude, l’équipe de chercheurs indique que d’autres agents pathogènes « totalement inconnus » pourraient ressurgir du permafrost. Des virus aussi vieux que les couches les plus profondes du permafrost, jusqu’à un million d’années. Bien avant l’homo Sapiens, ou l’homo neanderthalensis.
« Notre espèce, donc notre système immunitaire, n’a jamais été en contact avec la plupart de ces microbes au cours de son évolution. »
La résurgence d’un ancien virus inconnu pourrait donc être grave. « Comme malheureusement bien documenté par les pandémies récentes (et en cours), chaque nouveau virus, même lié à des familles connues, nécessite presque toujours le développement de réponses médicales très spécifiques, comme de nouveaux antiviraux ou vaccins ».
A l’été 2016, une épidémie d’anthrax, ou maladie du charbon, a touché des dizaines de personnes et plus de 2.000 rennes dans la péninsule de Yamal en Russie. Elle était liée au dégel profond du permafrost après des étés exceptionnellement chauds, déclenchant la réactivation d’une bactérie contenue dans des carcasses d’animaux.
« Heureusement, très peu de personnes vivaient dans ces régions inhospitalières jusqu’à présent, ce qui rend très peu probable une rencontre entre un virus apparenté et un hôte », tempère le scientifique. Du moins jusqu’à maintenant.
Quel est le lien avec le dérèglement climatique ?
Pour l’équipe scientifique, il est encore impossible d’estimer combien de temps ces virus pourraient rester infectieux une fois exposés aux conditions extérieures (lumière UV, oxygène, chaleur), et quelle est la probabilité qu’ils infectent un hôte dans cet intervalle.
« Mais le risque est voué à augmenter dans le contexte du réchauffement climatique », indique Jean-Michel Claverie. Un réchauffement particulièrement perceptible dans l’Arctique « où les températures moyennes semblent augmenter plus de deux fois plus vite que dans les régions tempérées. »
L’augmentation des températures rend en effet ces régions du monde jusqu’ici désertiques plus accessibles à l’activité humaine et industrielle.
Le pire scénario pour Jean-Michel Claverie : « Le rassemblement d’un grand nombre de travailleurs autour d’une exploitation minière à ciel ouvert. »
« Le permafrost creusé à des centaines de mètres de profondeur libérerait alors des virus très anciens et totalement inconnus, infectieux pour l’homme. »
Pour le scientifique, il faudrait demander aux industriels d’avoir un système médical compétent, capable de détecter de nouveaux symptômes chez les travailleurs. Des boutons, ou tout autre indice d’une infection. Auquel cas une mise en quarantaine pourrait, peut-être, éviter une pandémie.
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