Kinshasa veut plus d’argent pour développer la RDC. Pour avoir plus de fonds, les autorités ont mis en vente 27 blocs pétroliers et gaziers. Mais l’exploitation de ces gisements pourrait constituer une menace pour les pêcheurs et la plus grande zone tourbière du monde. Pour les pêcheurs, c’est déjà une simple question de survie.
Jean Paul Ikolongo est assis sur une chaise en plastique devant sa case et a l’air sceptique. Depuis que les autorités de Kinshasa et des chercheurs étrangers sont venus dans son village de Mpeka, le pêcheur congolais ne sait plus à qui faire confiance.
Certains disent qu’il devrait quitter ses terres pour faire place aux explorateurs du pétrole. D’autres lui demandent de rester pour protéger la forêt.
Le village d’Ikolongo est situé dans le nord-ouest de la RDC, dans la forêt tropicale d’Afrique centrale et dans la plus grande tourbière tropicale du monde.
Vente aux enchères de 27 blocs pétroliers
Selon des chercheurs des universités de Kisangani, de Leeds et de Londres, cette zone, qui fait la moitié de la taille de l’Allemagne, stocke 29 milliards de tonnes de carbone. Si elle était détruite, une quantité équivalente d’émissions de carbone seraient générées dans la nature.
Ce qui équivaudrait à trois années d’émissions de CO2 produites par les combustibles fossiles du monde entier selon les chercheurs.
Si nous voulons éviter que le climat se réchauffe, cette zone doit être préservée. Mais le gouvernement congolais a d’autres plans.
Dans la région de la tourbe se trouvent trois des 27 blocs où le pétrole a été localisé, soit un total de 22 milliards de barils. Les entreprises se sont porté candidates pour des licences pour tous les blocs, depuis juillet de l’année dernière. Ce serait une affaire d’un milliard de dollars pour la RDC.
Les autorités ont dit à Ikolongo que les 1.000 habitants de Mpeka devraient déménager si les compagnies pétrolières venaient lancer les travaux. Mais ailleurs, le gouvernement construirait de belles maisons pour les pêcheurs. Des écoles, des routes et des hôpitaux seraient également construits à travers le pays.
Moins de poissons dans les rivières du Congo
« Je suis vieux, j’ai besoin d’une vraie maison », dit Ikolongo. Alors que le pêcheur de 60 ans est assis dans sa cabane, l’eau se déverse de temps en temps sur ses pieds.
C’est la saison des pluies. Presque toutes les huttes de la rivière Ruki sont inondées. Pour que la famille puisse accéder à la cabane, Ikolongo a posé des planches au-dessus du niveau de l’eau. Il ne voit que de l’eau autour de sa hutte.
Cette étendue d’eau sert de toilettes, de baignoire et d’évier à vaisselle – un terreau fertile pour le choléra. Il vaudrait peut-être mieux s’éloigner, pense Ikolongo.
Des scientifiques britanniques étaient également présents à Mpeka. Ceux-ci auraient expliqué à Ikolongo que c’est à cause des changements climatiques qu’il pêche de moins en moins de poissons et qu’il devrait protéger ses terres.
Le fils d’Ikolongo, Bisalo, 38 ans, était pour sa part agacé par les scientifiques qui lui auraient interdit d’abattre des arbres. Mais il a besoin de bois de chauffe.
Contrairement à celle du Brésil, la forêt tropicale du Congo absorbe encore des gaz à effet de serre nets. Pour qu’elle soit conservée, les pays riches financent des projets dans le cadre de l’Initiative pour la forêt d’Afrique centrale (CAFI).
L’Allemagne a déjà fourni 225 millions d’euros pour cela. La zone dans laquelle se trouve Mpeka est soutenue par Berlin avec 15 millions d’euros supplémentaires sur six ans. Mais le financement est soumis à une condition : si le Congo produit du pétrole dans cette forêt tropicale, cela aurait « inévitablement » un impact sur le financement, estime une porte-parole du ministère de la Coopération économique et du Développement à Berlin.
Préservez les poumons de la terre !
Les donateurs exigent la conservation des forêts. Mais l’historien congolais Aloys Tegera trouve cela présomptueux. Les « gros pollueurs » du Nord se sont enrichis grâce aux énergies fossiles. « Et maintenant, ils nous disent, s’il vous plaît, protégez les poumons de la terre » ne les exploitez pas.
Pour lui, si le Congo doit renoncer au pétrole et que ses 90 millions d’habitants ne doivent plus utiliser le charbon de bois pour cuisiner, alors le pays doit être indemnisé.
René Ngongo est d’accord. Le biologiste de 60 ans a reçu le prix Nobel alternatif en 2009 parce qu’il s’est battu pour la conservation de la nature toute sa vie. Il travaille maintenant pour un groupe de réflexion proche du gouvernement dans la capitale Kinshasa.
Il rappelle aux pays industrialisés que lors de la conférence sur le climat de 2015 à Paris, ils ont promis aux pays les plus pauvres 100 milliards de dollars par an pour atténuer les effets du changement climatique. Mais cela ne suffit pas et il critique le fait qu’il ne s’agit souvent que de simples promesses.
Alliance des pays des forêts tropicales
Ngongo place ses espoirs dans une alliance que le Congo, le Brésil et l’Indonésie ont fondé lors de la conférence sur le climat de Sharm el Sheikh. Les pays avec les plus grandes forêts tropicales veulent négocier des budgets avec les nations industrialisées.
Ngongo envisage une sorte d' »OPEP des forêts tropicales » sur le modèle de la puissante Organisation des pays exportateurs de pétrole. L’écologiste est même désormais un adepte du business pétrolier. « Nous avons besoin d’argent pour sortir de la pauvreté », est-il convaincu.
A entendre cela, Raoul Monsembula secoue, lui, la tête. Le biologiste de 57 ans travaille pour Greenpeace. « Même si le pétrole était produit dans tout le Congo, la population n’en profiterait pas », a-t-il déclaré, très convaincu.
Des ressources minérales précieuses telles que le coltan et le cobalt sont exploitées et exportées depuis des décennies, mais la population congolaise est parmi les plus pauvres du monde, souligne-t-il.
Des zones de conservation en danger
Greenpeace accuse le ministre du Pétrole, Didier Budimbu, de manque de transparence. Selon l’ONG, celui-ci aurait déjà voulu accorder deux blocs pétroliers à un partenaire commercial.
Les écologistes demandent l’arrêt immédiat de la vente aux enchères des blocs, d’autant plus que 6% de la forêt tropicale et des terres seraient menacées si le pétrole devait être extrait.
Greenpeace a également constaté que neuf des 27 blocs se trouvent dans ou à proximité de zones de conservation.
Pendant que les protecteurs du climat et les politiciens se disputent, le pêcheur Ikolongo est assis dans sa hutte, à Mpeka, et se demande comment les choses peuvent se passer pour lui et ses 16 enfants.
Quand il était jeune, il mangeait toujours à sa faim, s’enthousiasme-t-il. Maintenant, il dit souffrir. « Quand je pense à l’avenir de mes enfants, ça me brise le cœur », a confié le paysan Ikolongo.
DW