Il y a 20 ans les troupes américaines envahissaient l’Irak. Cette invasion déclenchera une succession de conflits sanglants dans le pays. Aujourd’hui, malgré un semblant de normalité, les Irakiens craignent pour leur avenir.
Ni le gouvernement fédéral de Bagdad, ni le gouvernement régional du Kurdistan d’Irak n’ont prévu de cérémonies lundi. Et le Premier ministre Mohamed Chia al-Soudani, soutenu par une coalition pro-Iran, n’évoque ces jours-ci en public non pas l’invasion américaine, mais la « chute du régime dictatorial » de Saddam Hussein qui en a résulté.
« Nous nous remémorons la souffrance de notre peuple au cours de ces années dominées par des guerres insensées », a-t-il dit lors de la conférence « L’Irak, vingt ans… et après ? », à Bagdad dimanche.
Lundi, Bagdad vivait au rythme de ses habituels embouteillages monstres. Les Irakiens semblaient davantage avoir la tête aux préparatifs du mois de jeûne du ramadan, qui commence cette semaine, qu’aux 20 ans de l’invasion de leur pays. « Ce sont des souvenirs douloureux », explique Fadhel Hassan, étudiant de 23 ans, attablé dans un café. « Il y a eu beaucoup de destruction et trop de morts. Des civils, des soldats irakiens et américains ».
Tout commence le 20 mars 2003. Dans le cadre de l’opération « Liberté de l’Irak », quelque 150 000 Américains et 40 000 Britanniques sont déployés pour une intervention éclair aux petites heures du matin. Trois semaines suffisent alors pour sceller le sort du régime de Saddam Hussein et prendre le contrôle de Bagdad, le 9 avril.
Succession de conflits
L’objectif affiché de l’administration de George W. Bush était de mettre la main sur les prétendues armes de destruction massive du dictateur. Mais aucune de ces armes n’a jamais été retrouvée.
Et cette invasion a marqué le début de l’une des périodes les plus sanglantes de l’histoire de l’Irak, théâtre d’abord d’une effroyable guerre civile (2006-2008), puis de l’occupation d’une partie de son territoire par les jihadistes du groupe Etat islamique, responsables de multiples exactions.
De 2003 à 2011, année du retrait de l’armée américaine, plus de 100.000 civils irakiens ont été tués, selon l’organisation Iraq Body Count. Les Etats-Unis ont déploré près de 4.500 morts.
Aujourd’hui, l’Irak a renoué avec une certaine normalité : des élections sont tenues régulièrement, la pluralité politique est encouragée, la liberté d’expression est garantie.
Mais dans la pratique, les pourparlers pour former un gouvernement issu des législatives d’octobre 2021 ont duré un an et ont été émaillés d’épisodes d’une violence inouïe en plein Bagdad. La mission de l’ONU en Irak déplorait quant à elle l’an dernier un « environnement de peur et d’intimidation » qui bride la liberté d’expression.
Pandémie de la corruption
Parmi les maux qui accablent le pays, les Irakiens dénoncent aussi la corruption (l’Irak est 157e sur 180 pays au classement de l’ONG Transparency International ndlr), l’incurie des dirigeants, leurs luttes fratricides pour le pouvoir et l’influence du grand voisin iranien.
Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2003 « n’ont pas réussi à lutter contre la corruption dans les domaines de la santé et des services publics », se lamente Abbas Mohamed, ingénieur trentenaire, à Bagdad. « Nous allons de mal en pis. Aucun gouvernement n’a rien donné au peuple ».
Dans ce pays immensément riche en pétrole, un tiers de la population vit dans la pauvreté et les services publics sont aux abonnés absents. Les délestages quotidiens peuvent durer jusqu’à 12 heures et seuls les plus fortunés peuvent se payer le luxe de groupes électrogènes.
Dimanche, le Premier ministre s’est engagé une nouvelle fois à « lutter contre la pandémie de la corruption ». Mais pour Mohamed al-Askari, journalier à Bagdad, l’Irak est encore loin du compte. « Nous nous sommes réjouis lorsque le régime (de Saddam Hussein) est tombé, car nous pensions que l’Irak s’améliorerait, mais jusqu’à présent nous n’avons fait que souffrir », souffle-t-il.
AFP