Algérie : les syndicats s’inquiètent pour leur existence et pour le droit de grève

Mardi 7 mars, le projet de loi relatif à l’exercice du droit syndical a été adopté à la majorité par la chambre basse du Parlement algérien. Selon le représentant du gouvernement présent lors du vote, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, ce nouveau texte « devra donner une impulsion au projet sociétal de notre pays, encadrer l’action syndicale, renforcer le rôle des organisations syndicales dans la défense des droits et réaliser la justice sociale ».

La loi devra également fournir, selon ce responsable « une protection juridique aux représentants des travailleurs en permettant également l’émergence d’organisations syndicales fortes sur la scène nationale à travers leur adhésion aux fédérations et aux confédérations ».

Même l’UGTA se rebiffe

Ce texte ainsi que le projet de loi sur la prévention des conflits en milieu du travail et à l’exercice du droit de grève, non amendés depuis près de trente ans, ont suscité les inquiétudes des différents syndicats qui multiplient déclarations et réunions pour dénoncer les nouveaux dispositifs législatifs. Même la très obéissante Union générale des travailleurs algériens (UGTA, ex-syndicat unique avant le pluralisme syndical) a surpris son monde en émettant de sérieuses réserves sur ces textes.

Tout en déplorant ne pas avoir été associée à la préparation de ces projets de loi, l’UGTA, dans un communiqué du 22 janvier, a considéré que « les articles des deux projets de loi ne sont pas conformes aux conventions internationales que l’Algérie a ratifiées ». « Certains articles des deux projets de loi ne sont pas non plus conformes à la Constitution algérienne, en ce qui concerne les droits civiques et politiques. Les deux projets de loi ne consacrent pas la promotion des droits syndicaux et des libertés en Algérie », tranche l’UGTA. Une attitude rarissime pour ce syndicat réputé proche des pouvoirs publics.

« Conditions incapacitantes et rédhibitoires »

Le 28 janvier, une trentaine de syndicats de la fonction publique ont organisé une grève, relativement peu suivie, mais qui marqua leur opposition aux deux projets de loi qui étaient présentés le jour même par le gouvernement devant les députés.

Pour la Confédération des syndicats autonomes (CSA) « il est vrai que ce nouveau projet [de loi] a reconnu certains droits en faveur de l’exercice syndical, mais les concepteurs du projet ont fixé par ailleurs, des conditions incapacitantes et rédhibitoires imposées au droit de grève qui est garanti par la loi ».

Dans le détail, les syndicats reprochent, notamment, l’augmentation du taux de représentativité syndical de 20 à 30 % selon les nouvelles dispositions, qui serait « contraignante, voire impossible à réaliser », pour reprendre les termes de l’Union nationale du personnel de l’éducation et de la formation (Unpef).

Grève par texto

« Ce que je considère comme illogique est qu’il existe 34 syndicats dans un seul secteur. Le syndicalisme est un droit constitutionnel. Celui qui va lutter contre ce droit est en train de combattre la Constitution, avait réagi, fin février, le président Abdelmadjid Tebboune. Toutefois, il est inconcevable qu’une poignée de personnes se réunissent dans une salle et créent un syndicat sans aucune représentativité. » Face aux critiques des syndicats sur le droit de grève, le chef de l’État a déclaré à des médias : « Il est inconcevable de se réveiller le matin avec un texto disant que les travailleurs sont en grève. Le droit à la grève est régi par la loi et doit être considéré comme l’ultime et dernière solution. Il y a des procédures à suivre et c’est ce que nous voulons mettre en place aujourd’hui. »

« Les nouvelles dispositions permettent surtout une intrusion de plus en plus lourde de l’administration dans l’action syndicale, en contradiction totale avec l’esprit de la liberté syndicale », souligne un syndicaliste du secteur de la santé publique qui énumère au moins six articles qui encadrent le fonctionnement interne des syndicats, citant la limitation du nombre de mandats syndicaux à deux par personne et l’interdiction de mener une carrière politique parallèlement à une activité syndicale.

Plus de grève dans les hôpitaux

Le même syndicaliste s’inquiète aussi des « restrictions en matière du droit à la grève avec l’extension des secteurs ?sensibles? ». Ainsi, « les grèves dans les hôpitaux ne seraient plus autorisées », poursuit-il. La loi sur la prévention des conflits en milieu du travail et à l’exercice du droit de grève prévoit « d’empêcher les grèves dans les secteurs stratégiques de sensibilité souveraine et dans les intérêts fondamentaux d’importance vitale pour la nation ». Des secteurs où « la cessation d’activité peut mettre en danger la vie, la sécurité ou la santé du citoyen, ou la possibilité que la grève puisse conduire à une crise grave ».

« L’unicité syndicale »

Si certains syndicalistes reconnaissent des points positifs, comme « la possibilité de mettre en place des fédérations et des confédérations syndicales, après des années d’hégémonie de l’UGTA », ils critiquent la sacralisation de « l’unicité syndicale ». La nouvelle loi permet « une seule représentation syndicale dans les tripartites [réunion gouvernement-syndicats-patronat]. Implicitement, ce sera l’UGTA qui sera conviée à ces rencontres, fermant la porte au nez des autres centrales syndicales et syndicats autonomes. Cela signifie que le pluralisme syndical n’aura plus aucune valeur réelle sur le terrain et dans la prise de décision », critique, dans les colonnes d’El Watan, Sadek Dziri, président de l’Unpef.

LEPOINT

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