La montre à 80 000 euros du président n’a jamais existé. Mais le plus inquiétant est peut-être moins la fabrication de cette fake news, colportée sur les réseaux sociaux, que l’obligation pour les médias « crédibles » de traiter de ce sujet.
Trop fréquemment les réseaux sociaux se transforment en cancer anti-démocratique, en machine à décérébrer les esprits, à produire des mensonges, en série et en boucle, sans le moindre répit- ce qu’il est de bon ton d’appeler fake news en langage post-moderne. Ainsi en est-il du bobard de la montre (à 80 000€!) du président de la république.
D’abord, le pitch de « l’affaire »: au cours de l’interview accordée il y a quelques jours à nos confrères de TF1 et de France 2, Emmanuel Macron a glissé ses mains sous la table et retiré la montre qu’il portait au poignet gauche. Quelques instants plus tôt, en agitant ses bras, il l’avait cognée contre la table provoquant un bruit métallique qu’on peut entendre distinctement. Et comme le chef de l’état « joue » de ses mains, il a préféré, prudent, se défaire de la tocante. Point final? Que non pas.
« Cet homme est une farce », tacle Clémence Guetté
Députée du Val de Marne, coordinatrice du programme de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle 2022, Clémence Guetté, l’une des idéologues, l’une des « têtes pensantes » de LFI, publie un premier tweet: « au moment de parler des smicards qui « n’ont jamais gagné autant de pouvoir d’achat », il retire discrètement sa jolie montre de luxe sous la table. Cet homme est une farce ».
C'est finalement l'image de cette interview #Macron13h :
Au moment de parler des "smicards" qui n'ont "jamais autant gagné de pouvoir d'achat", il retire discrètement sa jolie montre de luxe, sous la table.
Cet homme est une farce. #Greve23mars https://t.co/DvhreQ0S3n
— Clémence Guetté (@Clemence_Guette) March 23, 2023
Une « farce », le mot est on ne peut plus pertinent, bien choisi. Mais c’est Madame Guetté qui la provoque et la déclenche, cette farce, aussitôt répercutée par l’extrême-droitier Gilbert Collard : « mais pourquoi donc ne plus vouloir montrer cette montre »? Une dose de soupçon n’est jamais inutile. Au tour des réseaux sociaux, en particulier Twitter et TikTok, de prendre le relais, d’amplifier toujours et encore, avec leur force de frappe démultipliée, des dizaines de milliers de tweets et de publications partagées. Place désormais au délire ou à la clownerie, à chacun de choisir.
La montre en question? Un « expert » décrète qu’il s’agit d’une FP Journe, une manufacture suisse. Son prix ? 80 000 euros, pas un centime de plus, pas un euro de moins. Et ça continue d’embrayer et de chauffer sur les réseaux : le président « Rothschild » à la solde des banques et sa montre « de luxe » à 80 000 « patates » ! On vous l’avait bien dit : ce type est une marionnette de la finance mondialisée, et cette montre « à 80 000 », marque d’une appartenance à une caste toute puissante, n’en fournit qu’une preuve supplémentaire.
Macron se serait rendu en une fraction de seconde qu’essayant, en vain d’ailleurs, de déminer à la télévision le conflit social, il lui fallait au plus vite « planquer » l’objet du délit. Problème? Tout est faux. Tout.
Affaire falsifiée de bout en bout
La montre, donc, qu’en est-il? Une Bell&Ross (société d’horlogerie bien française, et non pas helvétique) et, pour être plus précis encore, un modèle « VI-92 blue steel ». Son tarif ? 2.400 euros, un prix certes élevé, mais somme toute courant. Sa seule particularité ? Un cadran personnalisé aux armoiries de la présidence de la République. Fin de la mascarade ? Pas tout à fait. Car les services de l’Elysée ont estimé indispensable de fournir cet ensemble de précisions, et d’autres encore.
Nous apprenons par exemple que le président porte souvent cette montre à son poignet, notamment le jour de la récente finale de la Coupe du monde de foot. L’entourage du chef de l’Etat a estimé indispensable de « déminer » au plus vite une pseudo affaire falsifiée de bout en bout. Pas question de la traiter par le dédain.
D’où la diffusion sur internet de nombreuses images de la photographe officielle de l’Elysée, Soazic de La Moissonnière, où figure la désormais montre culte. C’est précisément cette nécessité de répliquer, de s’expliquer, qui est inquiétante, qui indique combien le système de communication est pernicieux, vicié, disponible pour mettre en scène une « affaire » bidon.
À 100% bidon. Mais lancée par une élue Insoumise, elle prend aussitôt un semblant de crédibilité que les réseaux sociaux amplifient jusqu’à obliger les médias « crédibles » à traiter du phénomène. CQFD. Du mensonge de la montre à 80 000 « patates », il restera quelque chose, cela va de soi. Au détriment d’Emmanuel Macron, cela va aussi de soi. Le bobard et son exploitation ont une fois encore fonctionné.
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