Remporter la lutte contre le cancer en Afrique subsaharienne

Les maladies non transmissibles (MNT), telles que les maladies cardiovasculaires, les cancers, les maladies respiratoires chroniques, le diabète et l’obésité, tuent 41 millions de personnes par an dans le monde et 77 pour cent de ces décès se produisent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire.

En Afrique subsaharienne, les MNT sont aujourd’hui responsables de 37 pour cent des décès environ – contre 24 pour cent en 2000. Le cancer est l’une des trois principales maladies à l’origine de cette augmentation et de plus de 500.000 décès en 2020. Il est en outre attendu que ce chiffre devrait doubler d’ici 2030 si le statu quo actuel est maintenu.

Comme dans le cas d’autres MNT, de nombreux cas de cancer pourraient être évités en s’attaquant aux facteurs de risque comportementaux, dont le tabagisme, la consommation excessive d’alcool et l’obésité, qui contribuent à plus de 40 pour cent des décès liés à un cancer dans le monde.

D’autres mesures présentant le meilleur rapport coût-efficacité comprennent la vaccination généralisée contre le virus du papillome humain (VPH), qui cause la plupart des cancers du col de l’utérus, et contre l’hépatite B, qui, avec l’hépatite C, contribuent au cancer du foie. En Afrique, les cancers associés aux infections représentaient environ 27 pour cent de l’ensemble des cancers en 2018, soit le taux le plus élevé de toutes les régions surveillées par l’Organisation mondiale de la santé.

En outre, de nombreux cancers fréquents, tels que le cancer colorectal, du sein, de la prostate et du col de l’utérus, peuvent désormais être traités avec succès s’ils sont détectés à un stade précoce. Mais ces cancers restent parmi les plus meurtriers en Afrique, où les patients sont généralement diagnostiqués trop tard, à un stade avancé de la maladie et ne vont pas au bout de leur traitement.

De multiples raisons expliquent cette conjoncture, dont l’absence de prise en charge des frais médicaux par les systèmes de santé, des obstacles socioculturels et un manque de financement chronique qui empêchent les agences de santé publique africaines de fournir des services et des soins de qualité en temps voulu. Par ailleurs, de nombreux pays africains n’ont pas les ressources, les infrastructures et les personnels qualifiés pour mettre en œuvre des programmes efficaces de dépistage et de vaccination de la population. Et malgré les progrès réalisés ces dernières années, de nombreux pays n’ont pas accès à des services de diagnostic et de traitement sûrs et au moment opportun.

Les disparités régionales constituent un autre problème majeur, étant donné que les patients atteints d’un cancer doivent souvent parcourir de longues distances pour se rendre dans les centres de traitement, généralement situés dans les zones urbaines. Devoir trouver un logement et gérer les problèmes de travail ou de garde d’enfants peut dissuader de nombreux patients d’effectuer des dépistages de routine ou de suivre un traitement, et les frais à payer pour les tests de dépistage, lorsqu’ils sont disponibles, tendent également à limiter leur utilisation systématique.

Et même lorsque les soins sont disponibles, les normes socioculturelles peuvent dissuader les malades d’en bénéficier. Par exemple, la stigmatisation sociale liée aux cancers gynécologiques décourage de nombreux malades de se faire soigner. De même, un certain fatalisme face au cancer conduit de nombreuses personnes à penser qu’un diagnostic positif est une condamnation à mort et que tout traitement est futile. Le collectivisme, qui veut que la communauté décide ou non de la capacité d’un patient d’accéder à des soins, se traduit aussi par des résultats moins favorables pour les malades.

En conséquence, les taux de survie des malades d’un cancer dans les pays à revenu faible ou intermédiaire sont catastrophiquement bas comparé à ceux des pays à revenu élevé. Par exemple, le taux de survie à cinq ans d’un cancer du sein est supérieur à 84 pour cent dans ces derniers pays et chute à 40-60 pour cent dans les premiers. Le même constat peut être fait pour le cancer colorectal, avec un taux de survie de 76 pour cent et de moins de 25 pour cent respectivement. Et en raison des faibles taux de vaccination contre le papillomavirus et de l’absence de tests efficaces, les pays à revenu faible ou intermédiaire enregistrent 90 pour cent de tous les décès dus au cancer du col de l’utérus, soulignant la nécessité d’une action urgente.

Le rapport d’un consortium d’experts, dont je suis coauteur, sur le cancer en Afrique subsaharienne, récemment publié dans le Lancet Oncology, souligne la nécessité pour les gouvernements africains d’investir dans la recherche et la collecte de données locales afin de soutenir et de développer des programmes de détection et de traitement du cancer efficaces en termes de ressources et adaptés aux besoins spécifiques et aux capacités de financement de leurs pays. Nous recommandons également aux gouvernements de commencer à réfléchir à des moyens novateurs d’étendre la couverture universelle des soins de santé afin d’y inclure des programmes de lutte contre le cancer, avec notamment un diagnostic précoce, des traitements ciblés et les soins de support.

Le Kenya, le Nigeria et d’autres pays africains ont déjà lancé des initiatives visant à élargir l’accès aux soins dans ce domaine. En mobilisant le soutien international et en impliquant les parties prenantes locales, ces pays pourraient investir dans la prévention et des moyens de détection précoce, comprenant des unités mobiles de dépistage, des programmes de sensibilisation communautaire, des kits de dépistage à réaliser soi-même, des diagnostics in vitro et la télémédecine, améliorant ainsi la prévention et la détection précoce.

Mais le diagnostic en soi ne suffit pas. La capacité d’intervention des systèmes de santé est essentielle, et les infrastructures et les personnels qualifiés nécessaires au traitement des cancers détectés doivent être développés parallèlement à tout diagnostic précoce.

En outre, pour garantir l’égalité d’accès aux services de santé, les pays africains devraient former les prestataires de soins de santé primaires à identifier les signes précoces d’un cancer et à faciliter l’orientation des patients en temps utile. En Afrique subsaharienne, un patient consulte en moyenne 4 à 6 professionnels de la santé avant qu’un diagnostic de cancer ne soit posé.

Les gouvernements devraient également veiller à intégrer les ressources destinées au COVID-19, au VIH/SIDA et à d’autres maladies infectieuses dans des stratégies globales – par exemple en proposant un dépistage du cancer du col de l’utérus aux patientes séropositives. L’idéal serait de disposer de cliniques intégrées capables de traiter à la fois les maladies infectieuses et les maladies non transmissibles, mais les décideurs politiques doivent avoir une approche pragmatique et tenir compte de la pénurie de personnels de santé, en particulier dans les zones densément peuplées, et mettre au point des modèles et des innovations qui peuvent contribuer à surmonter certains de ces obstacles à l’accès aux soins oncologiques.

Certains pays, notamment l’Inde, le Pakistan et la Jordanie, ont montré que l’investissement dans le renforcement des capacités locales permet de développer des centres de traitement du cancer de niveau mondial, en dépit de ressources limitées. Les décideurs africains sont eux aussi de plus en plus conscients de la nécessité de disposer de capacités locales de détection et de traitement du cancer, comme en témoignent le nombre croissant de pays ayant mis sur pied des programmes nationaux de lutte contre le cancer et l’augmentation des infrastructures de soins et des centres de formation en oncologie. Le Rwanda, où un programme généralisé de vaccination contre le papillomavirus et l’extension des tests de dépistage pourraient faire du pays l’un des premiers au monde à éliminer le cancer du col de l’utérus, constitue également un modèle utile pour l’amélioration des résultats sanitaires dans les pays ne disposant que de ressources limitées.

Compte tenu de cette tendance généralisée à l’ensemble du continent, nous avons une occasion unique de renforcer la collaboration régionale et d’établir des centres d’excellence pour le partage des connaissances, la recherche et les traitements coordonnés et fondés sur des données scientifiques probantes pour les patients. Mais pour concrétiser la promesse des récents progrès en matière de diagnostic et de soins – des vaccins et de l’immunothérapie anti-tumorale à la médecine de précision et aux tests sanguins de détection précoce multi-cancers – nous devons nous assurer que les traitements oncologiques de base sont facilement accessibles et que les traitements susceptibles de sauver des vies sont distribués de manière équitable. Pour paraphraser l’activiste et cofondateur de U2, Bono, l’endroit où vous vivez ne doit pas déterminer si vous allez vivre ou non.

Miriam Mutebi est chirugienne-oncologue spécialisée dans le cancer du sein et professeure associée en chirurgie au Centre hospitalier universitaire Aga Khan (AKUH) de Nairobi, au Kenya. Elle est la présidente élue de l’Organisation Africaine pour la Recherche et la Formation au Cancer (OAREC) et siège au conseil d’administration de l’Union Internationale contre le Cancer (UICC).

jecos magazine

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