Sergueï Roldouguine, le violoncelliste qui veille sur la fortune de Poutine

Un tribunal suisse a reconnu coupables, jeudi, quatre banquiers russes qui ont laissé Sergueï Roldouguine déposer des dizaines de millions d’euros sur des comptes. Des sommes faramineuses pour celui qui, officiellement, n’est qu’un célèbre violoncelliste. Mais ce proche de Vladimir Poutine” est soupçonné depuis des années d’être le “portefeuille” du président russe. 

C’est un verdict qui peut paraître anodin au possible. Un tribunal de première instance de Zurich a reconnu, jeudi 30 mars, quatre banquiers russes coupables de ne pas avoir procédé aux vérifications nécessaires concernant l’origine de fonds déposés sur deux comptes bancaires en 2014 et 2016 par Sergueï Roldouguine, un violoncelliste russe. 

Les sanctions prononcées sont relativement légères : pas de prison et des amendes devront être payées seulement si les banquiers se montrent encore une fois peu regardants dans les deux prochaines années.

« Meilleur ami » de Poutine

Pourtant, cette décision touche à un point très sensible pour la Suisse : “il s’agissait de savoir si le pays méritait sa réputation de sanctuaire pour l’argent sale de l’élite russe”, affirme le quotidien allemand Süddeutsche Zeitung.

Et pas seulement pour le premier oligarque venu. C’est l’ombre de Vladimir Poutine et de sa légendaire fortune – dont personne ne connaît le véritable montant – qui planait au-dessus de ce procès.

Sergueï Roldouguine, qui a pu déposer plus de 45 millions d’euros sur deux comptes en Suisse sans susciter le moindre émoi auprès des banquiers poursuivis, n’est en effet pas seulement connu pour sa maestria. Il est le “violoncelliste de Poutine” et surtout un proche parmi les proches du président russe. À tel point qu’il passe pour être “le meilleur ami” du chef du Kremlin, souligne le quotidien britannique The Guardian.

“Cette proximité avec Vladimir Poutine était considérée comme anecdotique jusqu’en 2016”, souligne Stephen Hall, spécialiste de la politique russe à l’université de Bath (sud-ouest de l’Angleterre). Mais les révélations des Panama Files – sur l’évasion fiscale à grande échelle organisée par des cabinets d’avocats au Panama – lui ont donné une tout autre stature. Sergueï Roldouguine est devenu du jour au lendemain « le portefeuille de Vladimir Poutine » et l’une des figures centrales de la gigantesque opération de dissimulation de la fortune du président russe.

“Il joue un rôle à part [dans ces montages financiers, NDLR] parce qu’il est l’un des rares à avoir la confiance de Vladimir Poutine”, estime Tyler Kustra, spécialiste des questions de corruption à l’université de Nottingham. 

Une confiance qui découle d’une relation débutée il y a plus de 40 ans “par un épisode à la limite de l’illégalité”, a raconté Sergueï Roldouguine dans une interview accordée en 2014 à un journal local russe de la ville de Kazan.

Cupidon pour Poutine

En 1977, le jeune homme, alors âgé de 26 ans, effectue son service militaire à Léningrad (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), une ville où il ne connaît personne. Il décide un soir de quitter illégalement le camp d’entraînement militaire pour faire la fête en ville. Pour l’aider, il contacte un collègue de son frère qui, comme ce dernier, aspire à être agent du KGB. Il s’agit du futur président russe que Sergueï Roldouguine appelle affectueusement Volodia, le diminutif de Vladimir, jusqu’à ce jour.

Les deux hommes vont suivre des trajectoires professionnelles radicalement différentes, ce qui ne les empêchera pas de rester très proches. C’est d’ailleurs Sergueï Roldouguine qui présentera à son ami Lioudmila Chkrebneva, la future madame Poutina.

Vladimir Poutine choisit son violoncelliste favori pour devenir le parrain de sa première fille, Maria, née en 1985. “Dans ‘Première personne’ [un livre d’entretiens avec Vladimir Poutine menés par plusieurs journalistes sorti en 2000, NDLR], Sergueï Roldouguine est le nom d’ami qui revient le plus souvent”, souligne l’Organized Crime and Corruption Reporting Project, un consortium international de journalistes d’investigation qui s’est penché sur le cas du musicien.

Dans la galaxie des proches de Vladimir Poutine, Sergueï Roldouguine détonne : “Il est l’un des seuls à donner l’impression de ne pas avoir profité de sa proximité avec le président russe pour s’enrichir”, souligne Stephen Hall.

Tout juste a-t-il obtenu le droit, en 2006, d’ouvrir et de diriger une Maison de la musique à Saint-Pétersbourg dans un prestigieux palais royal du XIXe siècle. “J’ai un appartement, un travail, une voiture et une datcha, mais je ne possède pas des millions de dollars”, avait-il assuré au New York Times, en 2014.

C’est à la fois totalement faux et peut-être tout aussi vrai. Tout dépend du véritable bénéficiaire des près de deux milliards de dollars qui ont transité par des comptes et des coffres de société au nom de Sergueï Roldouguine, d’après les révélations des Panama Papers.

Le violoncelliste est même l’un des actionnaires minoritaires de la Rossiya Bank, la “banque de Poutine et ses proches”, d’après les autorités américaines qui l’ont inscrite en 2014 sur la liste des entités frappées par des sanctions à la suite de l’annexion de la Crimée. Une petite participation dont la valeur est estimée à plusieurs millions de dollars, souligne le Guardian.

L’argent amassé par les sociétés officiellement gérées par le concertiste a été utilisée à la fois pour des “petits” plaisirs, comme l’achat de yachts ou d’une station de ski, mais aussi afin d’acquérir des parts dans des entreprises stratégiques, telles que Video Internationale, le numéro 1 russe de la publicité à la télévision.

« Sanctions pas à la hauteur » de l’enjeu

Est-ce que le violoncelliste habitué aux tournées internationales s’est construit en secret un petit empire économique ? Les autorités américaines n’y croient pas et l’ont qualifié officiellement de “gardien de la fortune” de Vladimir Poutine en 2022.

Il semble faire partie “d’un petit nombre de proches que Vladimir Poutine utilise comme prête-noms pour cacher sa fortune”, souligne Tyler Kustra. Il serait d’autant plus précieux pour le président russe “qu’il est presque le seul à ne pas avoir gravi les échelons politiques ou être devenu un homme d’affaires, ce qui le protège des coups d’éventuels rivaux”, estime Stephen Hall.

Le procès à Zurich des quatre banquiers pourraient donc très bien concerner une partie de la fortune personnelle de Vladimir Poutine. La décision du tribunal de les reconnaître coupables serait, à ce titre, significative car elle signalerait que les banquiers en Suisse ne peuvent plus accepter de l’argent lié à la Russie sans y regarder de plus près, assure la Süddeutsche Zeitung.

Mais, “la sanction prononcée est loin d’être à la hauteur de l’enjeu et ne va probablement pas détourner les flux financiers russes illégaux des banques suisses”, regrette Tyler Kustra. Pour cet expert, “ces banquiers ont, au mieux, préféré ignorer la provenance d’argent qui, très probablement, appartient à un dirigeant sanguinaire et ils mériteraient de payer des amendes bien plus élevées ou d’aller en prison. Pas de s’en tirer avec un simple rappel à l’ordre”.

FRANCE24

You may like