Cible du pouvoir politique depuis le début de la semaine, le mouvement écologiste des Soulèvements de la terre est aujourd’hui menacé de dissolution. Ce groupe, qui n’hésite pas à recourir aux actions coups de poing en matière de lutte pour l’environnement, semble aussi incarner un “renouveau” pour le militantisme à l’heure de l’urgence climatique. Explications.
En combinaisons blanches ou bleues, ils multiplient les actions écologistes coups de poing ces derniers mois et sont dans le viseur des services de renseignement français. Après les violents affrontements qui ont émaillé le rassemblement à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) du 25 mars, les activistes des Soulèvements de la terre (SLT) font face depuis cette semaine à une procédure de dissolution de leur groupe, né en janvier 2021.
Interrogé mardi 28 mars lors des questions au gouvernement, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a dénoncé “l’extrême violence de certains groupuscules (…) et notamment au groupement de fait des Soulèvements de la terre” lors de la mobilisation contre les « mégabassines ».
Les SLT ont dix jours pour répondre aux arguments du ministère de l’Intérieur avant que Gérald Darmanin ne décide de présenter en Conseil des ministres un décret qui acterait sa dissolution.
Le groupe a réagi aux propos ministériels dénonçant, dans un communiqué, “une tentative crapuleuse de faire baisser l’attention sur les violences meurtrières déchaînées contre les manifestant.es de Sainte-Soline”, une référence aux plus de 200 personnes blessées, selon eux, pendant le rassemblement – dont deux gravement, avec un homme dont le pronostic vital était toujours engagé au moment de l’écriture de cet article.
“Derrière le mot ‘soulèvement’, il y a une idée de révolte et de rassemblement d’un certain nombre de militantes et militants les plus à même d’exprimer leur exaspération par rapport à la situation climatique contemporaine”, explique Sylvie Ollitrault, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des mouvements écologistes. “Ce groupe essaie de poser la question même de la révolte dans l’agenda des écologistes. C’est clairement un mouvement qui veut exprimer sa colère.”
Le groupe SLT est d’ailleurs sous surveillance des services de renseignement depuis plusieurs mois, comme l’a dévoilé Le Parisien. Le quotidien cite plusieurs passages d’une note du service central du renseignement territorial à propos du mouvement écologiste, considéré comme un “vecteur de radicalité des luttes écologistes”. Celle-ci décrit le mode opératoire de personnes “n’hésitant pas à affronter les forces de l’ordre pour commettre leurs exactions (dégradations, intrusions, sabotages…)” et “équipées de masques à gaz, parapluies, et armées de pierres, mortiers, cocktails Molotov, boules de pétanque…”
« Écoterrorisme » et “stratégie de stigmatisation”
À cela s’ajoute la notion de “désarmement” mise en avant par les SLT pour leurs actions, et par laquelle “les stratèges des SLT ont ingénieusement réussi à faire accepter la pratique de l’écosabotage à une masse de militants”, selon les services de renseignement.
“Les Soulèvements de la terre parlent parfois de désarmement, parfois de sabotage, mais le premier terme est plus souvent utilisé dans la communication grand public parce que cela a une connotation plus positive”, explique Alexis Vrignon, docteur en histoire et spécialiste de l’écologie politique. Et d’ajouter : “Mais derrière cette notion, l’idée, c’est d’endommager du matériel.”
Au point que l’exécutif n’hésite pas à parler depuis des mois d’”écoterrorisme” au sujet d’actions menées par les militants écologistes, dont les SLT. Ce terme, importé des États-Unis, renvoie à “l’usage ou la menace d’utiliser la violence de manière criminelle, contre des victimes innocentes ou des biens, par un groupe d’orientation écologiste, pour des raisons politiques liées à l’environnement”, selon la définition du FBI.
Pour Alexis Vrignon, l’utilisation politique de ce terme équivaut à “une stratégie de tension et de stigmatisation pour gagner l’opinion”. “Il y a une différence énorme entre les formes de terrorisme visant des populations civiles pour inspirer la peur de manière indistincte et des pratiques de ‘désarmement’ ciblées sur différents matériels qui excluent par principe toute atteinte aux personnes.”
Les actions en partie violentes des SLT semblent, en effet, plutôt s’inscrire dans la catégorie des atteintes aux biens, comme en atteste le calendrier d’actions détaillé sur leur site Internet. Des luttes contre un projet routier et des carrières de sable, ou pour l’arrêt des travaux de la future ligne Lyon-Turin figurent notamment au programme de ces prochaines semaines.
“Forme de renouveau écologique assez radicale”
Ce mouvement écologiste, par ailleurs, ne semble pas se limiter en son sein à des membres de l’ultragauche. Il est aussi composé de différentes organisations de lutte pour l’environnement établies, pour certaines d’entre elles, depuis des décennies. “Parmi les signataires du texte fondateur des SLT, des organisations sont bien installées : les Amis de la Terre depuis les années 1970, la Confédération paysanne, qui a une tradition de désobéissance civile très enracinée… », énumère Alexis Vrignon. « Il existe une pluralité d’organisations qui font finalement la solidité de ce groupe.”
C’est en ce sens que quelque 300 personnalités, dont l’écrivaine Annie Ernaux (prix Nobel de littérature 2022) ou encore l’actrice Adèle Haenel, ont signé une tribune publiée le 30 mars dans Le Monde. Intitulé “Nous sommes les Soulèvements de la terre”, ce texte rend public les noms de plusieurs personnes affiliées au groupe SLT et dénonce notamment la “nouvelle manœuvre du ministre de l’Intérieur pour tenter de faire oublier que la brutale répression qu’il a orchestrée est un peu trop grossière”.
Les personnes qui composent les SLT sont originaires de diverses tendances – à la croisée de la désobéissance civile et des actions plus radicales – et s’inscrivent aussi dans l’histoire de l’écologie militante en France, comme le rappelle Sylvie Ollitrault : “Les sabotages au nom de l’écologie ne sont pas si nouveaux que ça. Cela s’est déjà produit par le passé, dans les années 2000, avec les faucheurs volontaires qui ont été poursuivis pour ce même motif.”
Mais le contexte est différent. “Les sabotages contemporains se produisent dans une urgence climatique réelle et forte”, note la spécialiste des mouvements écologistes, avant de conclure : “Les mouvements qui sont nés depuis deux ou trois ans dans le champ de l’écologie en France représentent la frange la plus violente et peut-être aussi la plus jeune actuellement. C’est une forme de renouveau assez radicale, avec des militants qui pourraient tout à fait devenir conventionnels dans quelques années.
france24