Tour à tour, ils jaillissent de terre, sous les vivats de dizaines de creuseurs. Au moins neuf mineurs artisanaux ont été secourus à Nyange, dans la province du Sud-Kivu, dans l’est de la République démocratique du Congo, le 24 mars, après avoir passé plus de 18 heures sous terre. Ce sauvetage, filmé et largement relayé sur les réseaux sociaux, rappelle les dangers auxquels font face les mineurs artisanaux dans le pays. Aucun mort n’est à déplorer, selon un bilan provisoire.
#RDC: l'essentiel de creuseurs artisanaux qui exploitent les minerais dans les provinces du #Congo ne disposent pas d'équipements de protection.
Ici à Kadumwa-#Luwindja au @SudKivu, le sauvetage en cas de glissement de terrain est un miracle! (VIDÉO)@EurAc_Net @resourmatters pic.twitter.com/rdwOAFjuKY
— 𝐅𝐢𝐬𝐭𝐨𝐧 𝐌𝐚𝐡𝐚𝐦𝐛𝐚 𝐖𝐚 𝐁𝐢𝐨𝐧𝐝𝐢 (@FMLarousse) March 24, 2023
Selon les témoignages recueillis par notre rédaction, ces hommes étaient entrés dans ce tunnel pour y chercher de l’or, dont regorge cette importante colline. Vers 22 h la veille, la pluie a commencé à tomber, provoquant un glissement de terrain qui a valu à dix hommes – dont neuf sont visibles sur la vidéo – de se retrouver bloqués jusqu’au lendemain dans l’après-midi, lorsque les conditions ont été suffisamment favorables pour organiser leur sauvetage.
“Il y a avait énormément de terre à déblayer, ce qui fait que ça a pris plusieurs heures”
Patrice Kabwe Kashindi est directeur gérant de la Coopérative minière de Ngandja. Il a participé au sauvetage :
On a commencé le travail de sauvetage vers 8 h du matin, en utilisant notamment des motopompes pour enlever l’eau. Il y a avait beaucoup de monde, des creuseurs de différentes coopératives, des membres de ma coopérative, assisté par des équipes de la SAEMAPE [Service d’Assistance et d’Encadrement de l’Exploitation Minière Artisanale et à Petite Échelle, dépendant du ministère des Mines, NDLR] et notre service d’appui la police de mines. Il y a avait énormément de terre à déblayer, ce qui fait que ça a pris plusieurs heures, puis à un moment, vers 16 h, on est arrivés au but et le premier creuseur a pu sortir.
Selon les témoins, les dix hommes ne sont pas blessés, ils vont bien et ont repris le travail depuis.
“Ils ont survécu parce que leur puits était aéré, d’un assez bon diamètre et assez long”
Guillaume Ali est un enquêteur congolais de l’Ipis, institut de recherche indépendant belge, qui travaille sur l’analyse de conflits et des ressources naturelles dans la région des Grands Lacs. Il a été en contact avec plusieurs témoins directs de la scène.
Les tunnels comme celui-là sont creusés à flanc de colline, il y a des puits superposés les uns sur les autres, et quand les gens creusent, ils rejettent la terre et les caillous sur la pente. Donc en cas de forte pluie, l’eau va emporter tous ces rejets, et quand il y a saturation en eau, ça glisse. Lorsqu’un glissement de terrain comme celui-ci se produit, ce sont d’abord les gros blocs qui tombent. Combiné à la pluie, cela rendait impossible le sauvetage plus tôt, au risque d’exposer les sauveteurs eux-mêmes.
Ils ont survécu parce que leur puits était aéré, il était d’un assez bon diamètre et assez long [les sources consultées par notre rédaction font état d’un puits de 60 à 300 mètres de long, ce que nous n’avons pas pu vérifier de manière indépendante, NDLR]. Par ailleurs, comme on le voit sur la vidéo, c’était un puits assez incliné, quasi horizontal et pas vertical, ce qui leur a permis d’économiser de l’oxygène. C’est primordial de ne pas trop bouger pour économiser de l’oxygène dans ces situations. Dans un puits vertical il aurait fallu que ces hommes s’accrochent, bougent, ce qui complique la situation.
L’Ipis a documenté la situation de cette mine sur la colline de Mitondo, c’est un site très important, nous avons compté plus de 250 galeries creusées. Chacun creuse dès qu’il pense trouver un filon. Les creuseurs aménagent des galeries de façon anarchique, il n’y a pas de plan, il y a des enchevêtrements de puits et de tunnels, dont beaucoup ne sont pas solidifiés et prêts à s’effondrer. Le fait que les galeries se touchent, à Mitondo comme ailleurs, est parmi les principales causes de mort chez les mineurs.
Selon l’Ipis, huit kilos d’or sont produits chaque semaine sur le site de Mitondo, par environ 2 500 creuseurs, pour qui c’est bien souvent la meilleure chance de gagner un peu d’argent. Les accidents y sont, comme sur nombre d’autres sites miniers de l’est de la RD Congo, récurrents. D’octobre 2022 à février 2023, l’IPIS dit avoir documenté 3 morts et 40 blessés dans des éboulements rien que sur le site de Mitondo. Le site de Mitondo est sous la pression d’un groupe armé, les Mai Mai Yakutumba, qui s’en servent pour se financer.
Contacté par la rédaction des Observateurs, le ministre des Mines du Sud-Kivu, Kok Chirimwani, en déplacement ce vendredi 31 mars à Mitondo, estime que “du point de vue de la sécurité du travail tout se passe bien” dans les mines de la région. Selon lui, “il y a parfois de petits incidents, quand les gens travaillent aux heures non autorisées” c’est-à-dire de nuit. Il rappelle que la SAEMAPE demande également aux mineurs de ne pas travailler lorsqu’il pleut, contrairement à ce qu’ont fait les hommes victimes de l’éboulement.
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