Le groupe Fountaine-Pajot de La Rochelle a inauguré le 6 avril 2023 le premier catamaran au monde dont l’énergie provient d’une pile à combustible. Un premier pas pour décarboner un secteur de la croisière qui pollue les sites marins qu’il visite.
C’est entendu, les voiliers utilisent une énergie renouvelable, le vent. Mais le soir au mouillage et par temps très calme, c’est aujourd’hui un moteur diesel qui prend le relais. Avec tout ce que cela comporte comme nuisances sonores, olfactives et atmosphériques. C’est pour résoudre ce paradoxe d’une activité qui pollue des espaces préservés difficiles d’accès que le constructeur de bateaux de croisière Fountaine-Pajot vient de sortir le premier catamaran au monde mu par hydrogène (et pas le premier bateau puisqu’il existe des prototypes en voiliers et navires de pêche).
Le Samana est un bâtiment de luxe de 59 pieds qui sera exploité à la location par le leader mondial du tourisme à voile, l’allemand Dream Yacht Worlwide qui possède 800 voiliers, monocoques et catamarans dans le monde.
Le systéme énergétique du Samana combine la production électrique de panneaux photovoltaïques et la consommation d’hydrogène via une pile à combustible. Copyright Fountaine-Pajot.
C’est l’entreprise EOdev (Energy observer development) qui a réussi le tour de force de caser un générateur électro-hydrogène dans l’une des coques du catamaran. « La pile à combustible de série fournie par Toyota délivre 70 kilowatts (kW) grâce à 7,5 kilos d’hydrogène stocké à 350 bars dans deux réservoirs, détaille Jérémie Lagarrigue, directeur général d’EOdev, une entreprise fondée en 2019 à la suite du premier tour du monde 100% énergie renouvelable effectué par Energy Observer.
Notre plus-value, c’est d’avoir optimisé l’encombrement de ce matériel, notamment grâce à un système de refroidissement par eau moins encombrant qu’un système à air ». Le tout est légèrement plus encombrant qu’un moteur diesel mais bien plus efficace énergétiquement. Un kilo d’hydrogène fournit en effet 16 kilowatts/heure (kWh) d’énergie.
Le module baptisé REXH2 vient ainsi en complément de l’énergie produite par les 42 m² panneaux solaires d’une puissance de 6000 watts. Ceux-ci fournissent l’électricité pour les systèmes de navigation le jour et sont relayés la nuit par le groupe hydrogène et sa pile à combustible. L’autonomie au mouillage est de 40 heures et de 10 heures en navigation au moteur à une vitesse moyenne de 5 nœuds.
Les vacanciers sont responsables de 80% de l’empreinte carbone des bateaux
Cette innovation n’est pas vraiment une idée de Fountaine-Pajot. « Ce sont nos clients qui sont venus nous solliciter parce qu’ils ont vraiment conscience du réchauffement climatique et de ses effets sur le milieu marin des Caraïbes ou des Seychelles où ils louent nos bateaux », reconnaît Romain Motteau, directeur général délégué de Fountaine-Pajot.
L’entreprise de 1300 salariés a donc entrepris un bilan carbone dont les résultats ont beaucoup surpris. « Nous pensions que l’essentiel de l’empreinte carbone de nos catamarans provenait de leur fabrication, poursuit Romain Motteau.
Or, l’analyse de cycle de vie a montré que l’utilisation du bateau comptait pour 80% des émissions de gaz à effet de serre ». Ce résultat n’empêche pas l’entreprise de poursuivre une politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre lors de la fabrication, incité en cela par les obligations réglementaires (recyclage, réduction des émissions, déchets) et par les aides de l’Etat. Mais il oblige les croisiéristes à agir.
Et il y a du travail. « Nous constatons que nos clients se préoccupent peu d’économiser l’énergie quand ils sont sur nos bateaux, même si les moteurs diesel font du bruit », témoigne Loïc Bonnet, PDG et fondateur de Dream Yacht. Les clients américains notamment adorent dormir avec la climatisation même si les hublots sont ouverts et qu’il fait si frais qu’ils doivent utiliser une couverture. L’usage des nombreux appareils électriques constitue une véritable gabegie énergétique quand, bien même au mouillage, la sérénité de lieux sublimes est troublée par le bruit des moteurs.
Les bateaux à hydrogène devront imposer des stations-services dans les marinas
Autre sujet difficile : la formation du personnel de maintenance. Là aussi, les dépenses énergétiques sont énormes alors que la maintenance et l’entretien des bateaux se fait principalement dans des îles où la production d’électricité par centrales au fuel la plupart du temps est génératrice de pollutions locales fortes. « Le paradoxe, déplore Loïc Bonnet, c’est que nous sommes responsables de la détérioration des milieux naturels que nos clients viennent visiter ».
Souvent d’ailleurs par négligence et ignorance. Les croisiéristes déplorent ainsi que leurs clients ancrent leurs bateaux sur les récifs de corail ou les herbiers de posidonies qu’ainsi ils détruisent. Fountaine-Pajot vient d’ailleurs de signer un partenariat avec le WWF France pour agir sur cette question.
Voilà pourquoi ces croisiéristes harcèlent depuis près de 15 ans leurs constructeurs pour qu’ils développent des solutions. Le catamaran inauguré le 6 avril 2023 ouvre la voie. Mais l’objectif d’une dépollution totale du monde de la croisière de luxe reste très lointain. « Nos clients ont acheté un véhicule qui n’a pas de pompe pour faire le plein », note ainsi Romain Motteau.
Pas de quoi effrayer Loïc Bonnet qui se sait contraint d’enclencher le mouvement qui obligera normalement les marinas à s’équiper de stations-services à hydrogène. Le croisiériste a ainsi commandé 22 bateaux électriques pour 2024. Il faut à un moment ou un autre sortir du casse-tête de la poule et de l’œuf.
sciencesetavenir