L’eau potable d’un tiers des départements français est contaminée par des métabolites du chlorothalonil, un pesticide interdit depuis 2019.
L’eau potable en France est contaminée à large échelle par les métabolites du chlorothalonil, un pesticide interdit depuis 2019, selon un rapport rendu par l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail). Ce pesticide a été interdit pour des propriétés suspectées cancérogènes mais il est difficile, à ce stade, d’estimer les éventuels risques encourus pour les personnes exposées. Sciences et Avenir fait le point avec Christophe Rosin, chef de l’unité chimie des eaux au laboratoire d’hydrologie de l’Anses situé à Nancy, qui a réalisé ces travaux.
Christophe Rosin : Notre laboratoire mène des campagnes exploratoires avec l’appui du ministère de la Santé et des agences régionales de santé afin de déterminer la présence de polluants émergents, qui ne sont pas encore bien suivis ou règlementés. Tous les trois ans, une nouvelle campagne est menée. Après les PFAS et les résidus médicamenteux, la dernière campagne portait, entre autres, sur les métabolites des pesticides, c’est-à-dire les molécules issues de la dégradation des pesticides. Les outils pour les suivre n’existent que depuis peu. Nous avons recherché 150 substances dont deux tiers étaient des métabolites. Nous avons établi une liste à travers une veille et des recherches bibliographiques dans les pays voisins. La contamination aux métabolites du chlorothalonil avait déjà été mise en évidence chez nos voisins suisses en 2019.
Comment le chlorothalonil utilisé dans les champs a-t-il pu contaminer l’eau potable en France ?
Par un phénomène qui s’appelle le lessivage. Les produits ruissellent depuis les terrains jusqu’aux eaux superficielles ou souterraines, jusqu’à se retrouver dans les nappes phréatiques. Au contact de l’eau et des bactéries des sols, les pesticides vont se transformer et générer des métabolites. Ils ont la particularité d’être généralement plus mobiles et plus stables que les molécules de pesticides épandus. Ils seront plus difficiles à éliminer que les substances actives.
Que sait-on de ce pesticide ?
Ce pesticide a été interdit à la vente en 2019 avec une fin d’utilisation en 2020. Or, quand notre campagne a démarré en 2020, l’interdiction de cette molécule venait tout juste de prendre effet. Impossible donc de dire si à ce moment-là, on était en phase de décroissance après l’arrêt de l’utilisation, si cela va aboutir à une diminution des concentrations.
Le chlorothalonil, un pesticide interdit « pour des propriétés suspectées cancérogènes »
Pourquoi a-t-il été interdit ?
Il a été interdit pour des propriétés suspectées cancérogènes. On parle là de la substance active. Or, ce sont des métabolites du pesticide qui ont été retrouvés dans l’eau. L’Anses les classe en deux catégories : pertinent ou non-pertinent. Sachant que la substance active était suspectée d’être cancérogène, et sans éléments permettant d’écarter la dangerosité de ces métabolites, l’Anses les a classés « pertinents. » On est régulièrement confrontés à un manque d’informations, car les métabolites sont beaucoup moins étudiés.
Combien de Français sont concernés par cette contamination de l’eau ?
Nous avons réalisé un échantillonnage sur trois sites dans chaque département, y compris les DROM (départements et régions d’outre-mer, ndlr) : la plus grosse usine de traitement d’eau potable, un site vulnérable aux pesticides et un site tiré au sort. Sur 300 stations testées, les taux étaient supérieurs aux normes dans 102 d’entre elles, réparties dans un tiers des départements. Mais cette étude n’a pas la prétention d’apporter une représentativité de tout le territoire national. Seuls 300 sites ont été analysés alors que la France compte environ 30.000 captages d’eau. Il convient de poursuivre cet état des lieux avec les laboratoires du contrôle sanitaire des eaux.
Quels départements sont concernés ?
Nous n’avons pas vocation à communiquer ces résultats détaillés. Notre but est d’inciter les Agences régionales de santé (ARS) à reprendre des analyses plus fines. On sait aujourd’hui de mieux en mieux analyser l’eau du robinet et les ARS (agences régionales de santé, ndlr) doivent surveiller une liste de molécules selon certains critères. Les campagnes exploratoires comme celles-ci doivent justement alimenter la liste des molécules à surveiller dans le cadre du contrôle sanitaire des eaux.
Existe-t-il un risque pour les personnes qui y ont été exposées ?
En France, la valeur règlementaire est de 0,1 µg/l (microgramme par litre). Au-delà, l’eau ne correspond plus aux critères de qualité. Cette valeur a été fixée dans les années 1980. On a choisi 0,1 µg/l à l’époque car c’était la plus petite concentration que l’on était capable de détecter dans l’eau potable. On considérait à l’époque qu’elle ne devait pas contenir de pesticides. Ce seuil est donc valable pour toutes les molécules. En réalité, si on veut aller plus loin, il faut travailler molécule par molécule, au cas par cas, avec des valeurs maximums qui leurs sont propres.
Cela s’appelle des VMAX et elles sont généralement plus élevées que 0,1 µg/l. Elles sont établies sur la base de valeurs toxicologiques de référence, un seuil au-delà duquel il existe un risque pour la santé. Aucune VMAX n’a pu être établie pour ce métabolite du chlorothalonil car il n’y a pas assez d’informations disponibles. Il faut tout de même rappeler que l’eau est un faible contributeur de l’exposition de la population aux pesticides. Moins de 5% des apports en pesticides sont liés à l’eau, selon des travaux récents menés à l’Anses.
Une molécule « pas facile à éliminer »
Quand cette contamination a-t-elle commencé ?
Le chlorothalonil est utilisé depuis les années 1970. Mais on ne connait pas bien l’inertie ni la vitesse de dégradation de cette molécule, c’est pourquoi il est très compliqué de savoir à partir de quand des métabolites ont pu se retrouver dans l’eau potable.
Impossible donc, de savoir combien de temps il faudra pour éliminer le chlorothalonil de l’eau potable ?
En effet. Notre campagne exploratoire a vocation d’apporter une meilleure connaissance de ces molécules. Elle n’est pas complètement représentative du territoire national. Ceci dit, les agences régionales de santé vont, à la lumière de ces résultats, progressivement mieux surveiller cette molécule. Peut-être des décroissances seront-elles observables au bout de quelques années. Il faut en tout cas progresser sur cet état des lieux et sur l’aspect de la traitabilité de l’eau. De par ses propriétés, cette molécule n’est pas facile à éliminer, ce qui complique la tâche. C’est maintenant aux chercheurs et aux traiteurs d’eau de poursuivre ces travaux.
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