Fuite de documents classifiés américains : ce que l’on sait et ce qu’ils révèlent

Au moins plusieurs dizaines de documents classifiés américains ont fuité sur les réseaux sociaux. Une situation qui a conduit le Pentagone à ouvrir une enquête dès le 6 avril pour déterminer l’origine des fuites et rassurer ses alliés. Plusieurs écrits contiennent des révélations sur la guerre en Ukraine ou sur un espionnage présumé de plusieurs pays proches de Washington. France 24 fait le point.

Le Pentagone en eaux troubles après une fuite de documents classifiés. Moins d’une semaine après la révélation d’une enquête en cours des autorités américaines pour tenter d’identifier la source de ces fuites, les États-Unis tentent de rassurer leurs alliés – dont l’Ukraine – sur le sujet.

« Nous sommes au courant des informations de presse concernant des messages publiés sur les réseaux sociaux et le ministère est en train d’examiner la question », avait déclaré le 6 avril une porte-parole du Pentagone, Sabrina Singh. Le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin, a réitéré mardi 11 avril que Washington prenait cette fuite de documents classifiés « très au sérieux ».

Quels sont ces documents, leur provenance, leur fiabilité ? Que révèlent-ils et quelles réactions ont-ils déclenché ?

De quoi parle-t-on ?
Cette fuite de documents secrets concerne notamment des évaluations et des rapports des services de renseignement américains liés à la guerre en Ukraine, mais aussi au sujet d’autres pays dont des alliés des États-Unis – la Corée du Sud, Israël ou encore l’Égypte.

Une variété de documents ont été partagés ces derniers jours sur différents réseaux sociaux : des diapositives de synthèse décrivant les positions militaires ukrainiennes, des évaluations du soutien international à l’Ukraine…

La plupart des informations contenues dans ces documents “ont été recueillies au cours de l’hiver et publiées fin février et début mars, de sorte qu’elles ne représentent pas nécessairement un point de vue actuel”, précise le Washington Post.

Il est difficile en l’état d’évaluer la quantité de documents ayant fuité. Plusieurs dizaines ont été consultés par des médias américains et des agences de presse internationales, mais leur nombre pourrait être encore plus important. L’agence Associated Press (AP) rapporte que “le nombre total serait de l’ordre de plusieurs centaines” de documents diffusés.

D’où viennent ces documents ?
Personne ne le sait avec certitude à l’heure actuelle. C’est d’ailleurs pour cela que le Pentagone a déclaré, le 6 avril, mener une enquête pour identifier la ou les sources à l’origine de ces fuites.

« (Ces documents) se trouvaient quelque part sur le web, et nous ne savons pas où exactement, ni qui y avait accès à ce moment-là. Nous ne le savons tout simplement pas », a déclaré mardi le secrétaire à la Défense, Lloyd Austin. « Nous continuerons à enquêter et à retourner chaque pierre jusqu’à ce que nous trouvions la source et l’étendue du problème.”

Avant de se retrouver partagés sur des réseaux sociaux comme Twitter, 4Chan ou encore Telegram, ces documents classifiés “se trouvaient sur Discord depuis le début du mois de mars”, selon des analystes cités par le New York Times.

Discord est une plateforme de médias sociaux populaire auprès des joueurs de jeux en ligne. Elle héberge des chats vocaux, vidéo et textuels en temps réel. Des membres de l’un de ces forums auraient débattu de la guerre en Ukraine et “une personne non identifiée a partagé des documents qu’elle prétendait être classifiés, selon un membre du chat”, rapporte AP.

La personne qui a déclaré être membre du forum a aussi expliqué à l’agence de presse qu’une autre personne, identifiée en ligne uniquement sous le nom de « Lucca », avait partagé les documents dans un autre chat Discord. À partir de là, ils semblent avoir été diffusés jusqu’à ce que les médias s’en emparent.

“Les documents semblent avoir été imprimés et pliés avant d’être photographiés”, précise le Washington Post. “Certains objets à l’arrière-plan des photos, comme une lunette de chasse, suggèrent qu’ils ont été photographiés au même endroit.”

Mais l’origine de ces fuites reste encore sujette à caution.

Quelle est leur fiabilité ?
Les autorités américaines refusent de commenter l’authenticité ou le contenu des documents classifiés qui ont été partagés sur les réseaux sociaux. Mais même sans cette confirmation officielle, des indices formels semblent attester de l’authenticité de plusieurs documents consultés et analysés par des médias américains.

Plusieurs documents portent, en effet, des mentions utilisées pour les documents classifiés, selon le Washington Post. Certains documents sont estampillés “Noforn” pour “not for release to foreign nationals”, ce qui signifie qu’ils ne peuvent pas être communiqués à des ressortissants étrangers.

D’autres sont destinés à être partagés à des alliés de Washington, notamment les membres de l’alliance “Five eyes” – Grande-Bretagne, Canada, Australie et Nouvelle-Zélande en plus des États-Unis. Enfin, certains documents portent la mention “top secret”, soit le niveau le plus élevé de la classification de sécurité américaine.

Bien que “beaucoup” de ces écrits classifiés “ne semblent pas avoir été modifiés”, “certains des documents initiaux largement répandus semblent avoir été trafiqués pour montrer une perspective plus positive pour la Russie en Ukraine”, explique le Washington Post.

Par exemple, l’une des diapositives rendues publiques indique, par exemple, que 16 000 à 17 500 soldats russes ont été tués depuis le début de la guerre en Ukraine. Le Pentagone et d’autres analystes estiment, quant à eux, que la Russie a subi beaucoup plus de pertes – près de 200 000 morts et blessés.

Dans le même sens, un porte-parole du ministère de la Défense britannique a déclaré mardi soir sur Twitter que « la fuite de ce qui est présenté comme des informations classifiées américaines, qui a reçu un large écho, (avait) démontré un grave niveau d’inexactitude ». Et d’ajouter : « Les lecteurs doivent être prudents avant de se fier à des allégations qui peuvent potentiellement répandre la désinformation ».

Ukraine, Égypte, Corée du Sud… des révélations et des démentis
Parmi les multiples révélations que comportent ces documents, plusieurs concernent la guerre en Ukraine.

Un document classé “top secret” datant de début février, et analysé par le Washington Post, dresse une “sombre évaluation” des difficultés rencontrées par Kiev avant de lancer sa contre-offensive de printemps pour reprendre des zones sous contrôle russe. Le journal américain explique que ce document met en garde contre d’importantes « lacunes en matière de constitution et de maintien des forces » et contre la probabilité qu’une telle opération n’aboutisse qu’à des « gains territoriaux modestes » – ce qui serait “bien en-deça” des objectifs initiaux de l’Ukraine.

Un autre document “top secret” daté du 17 février explique, quant à lui, que le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi “a ordonné à ses subordonnés de se préparer secrètement à expédier jusqu’à 40 000 roquettes à la Russie” dans le cadre de la guerre en Ukraine. Interrogé par le Washington Post à ce sujet, un porte-parole du ministère égyptien des affaires étrangères a déclaré que l’Égypte restait « non impliquée dans cette crise et s’engageait à maintenir une distance égale avec les deux parties ». Un représentant du gouvernement américain a déclaré, pour sa part, sous couvert d’anonymat : « Nous ne sommes pas au courant de l’exécution de ce plan ».

D’autres fuites semblent indiquer que les États-Unis entreprennent un travail d’espionnage de plusieurs pays alliés. Ainsi, en Corée du Sud, le conseil de sécurité nationale a redouté que les États-Unis ne transfèrent à Kiev certaines munitions commandées auprès de Séoul, selon un document consulté par l’AFP abordant un échange du 1er mars entre deux responsables sud-coréens. Cela serait allé à l’encontre de la volonté de la Corée du Sud de s’abstenir de fournir des équipements létaux à l’Ukraine.

Cette révélation a donné lieu à des critiques : l’opposition sud-coréenne a réclamé mercredi 12 avril l’ouverture d’une enquête, tandis que les services du président Yoon Suk-yeol ont rétorqué que les accusations d’écoutes étaient d' »absurdes mensonges ».

Enfin, un autre document – non daté – consulté par l’AFP affirme que des dirigeants du Mossad, le service de renseignement israélien, auraient encouragé tant des responsables de l’agence que les citoyens ordinaires à protester contre la controversée réforme du système judiciaire en Israël. Le Mossad et d’autres hauts responsables israéliennes ont démenti ces informations.

“Compte tenu du grand nombre de documents qui ont fait l’objet de fuites, il est probable que l’étendue de leurs révélations n’a pas encore été dévoilée”, conclut le Washington Post.

AFP

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