Une partie des logements informels où vivent les étrangers sur l’île de Mayotte va être détruite par les autorités dans le courant du mois d’avril. Dans le même temps, des dizaines de sans-papiers, majoritairement originaires des Comores, vont être renvoyés vers leur pays d’origine. Si le projet est soutenu par une partie de la population et la plupart des élus locaux, plusieurs voix se sont élevées pour fait part de leur inquiétude.
Mayotte retient son souffle. L’opération « Wuambushu » (« reprise » en mahorais) est dans toutes les têtes. À partir du 20 avril et pour trois mois, les forces de l’ordre vont détruire à l’aide de bulldozers des centaines d’habitats précaires occupés par des étrangers. Des dizaines de sans-papiers vont également être interpellés et expulsés vers leur pays d’origine. Les migrants qui habitent les bidonvilles visés sont tous ou presque originaires des Comores voisines.
La date de l’opération n’a pas été choisie au hasard : elle coïncide avec la fin du ramadan et le début du débat au parlement sur l’immigration.
Le gouvernement ne s’est pas encore exprimé sur le sujet mais selon Le Canard enchaîné, l’opération, pensée par le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, a été validée en février par le président de la République lors d’un Conseil de défense.
Et sur place, les autorités sont déjà mobilisées. Un demi-millier de membres des forces de l’ordre ont été déployés en renfort des 1 350 policiers et gendarmes présents sur cette île française de l’océan Indien. Par ailleurs, une partie du maigre parc hôtelier a été réquisitionné pour y loger les fonctionnaires.
65 % des étrangers vivent dans des bidonvilles
À quelques jours du début de l’opération, la tension sur place est palpable. À tel point que certaines associations refusent de s’exprimer dans les médias, de peur des représailles. Les humanitaires ne veulent pas voir se reproduire les violences de décembre 2021. À partir de cette date et pendant cinq mois, les locaux de la Cimade à Mamoudzou avaient été bloqués par des manifestants, empêchant les équipes de travailler auprès des exilés. Le collectif des citoyens de Mayotte 2018, particulièrement hostile aux migrants, était à l’origine de cette mobilisation.
Une grande partie de la population mahoraise est en effet favorable à l’opération « Wuambushu » et fustige les associations qui expriment leur inquiétude. Une poignée de militants radicaux locaux promettent même de « faire le boulot » si le gouvernement tempère le projet de destruction des bidonvilles et les expulsions massives.
L’île de Mayotte, où l’âge moyen est de 23 ans, est soumise à une croissance démographique galopante – 350 000 habitants estimés contre 100 000 recensés par l’Insee en 1991 – due autant à une immigration clandestine venue des îles voisines des Comores qu’à une forte natalité. Près de 50 % de la population de Mayotte est de nationalité étrangère et provient des Comores. Selon l’Insee, 65 % de ces étrangers vivent dans des habitats précaires.
Le département le plus pauvre de France connaît « une délinquance hors-norme », comme l’a indiqué l’Insee en 2021, relevant notamment un taux trois fois plus élevé de vols qu’en métropole.
Le raccourci entre immigration et délinquance a progressivement été établi dans l’esprit de certains habitants, voire aussi de responsables politiques. Gérald Darmanin lui-même a estimé, en août dernier, dans le Journal du Dimanche qu’une « part importante de la délinquance vient de personnes immigrées ».
Déplacement forcé de 17 000 personnes
Pour répondre à la crise, l’État, soutenu par la plupart des élus locaux, s’est lancé depuis 2018 dans une vaste opération de lutte contre l’immigration clandestine et a fait de cette thématique sa mission essentielle à Mayotte. Depuis, hors période de pandémie, 25 000 personnes en moyenne sont expulsées chaque année.
Mais cette nouvelle opération semble inédite par son envergure. L’objectif est d’une part d’expulser plus de 250 étrangers par jour vers leur pays d’origine, majoritairement des Comoriens, d’après la presse locale. Elle consiste, d’autre part, à la destruction massive d’environ 10 % de l’habitat informel de Mayotte : soit le déplacement forcé de quelque 17 000 personnes d’ici le mois de juin.
Plusieurs voix se sont élevées pour exprimer les craintes suscitées par une telle opération. Dans une lettre envoyée aux ministres concernés, au préfet et au directeur de l’Agence de santé de Mayotte, les soignants de l’île ont fait part de leurs « plus vives inquiétudes sur l’impact sanitaire de ce projet ».
« Les bilans des précédentes interventions de grande ampleur en matière de lutte contre l’immigration ou l‘insécurité impliquait des conséquences dramatiques », rappelle le personnel de santé. La lettre évoque notamment la limitation de l’accès aux soins, les risques infectieux épidémiques dans les zones d’hébergement d’urgence ou encore l’isolement forcé des enfants malades sans parents.
« Aggravation des fractures et des tensions sociales »
Le président de la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme, Jean-Marie Burguburu, a aussi écrit à Gérald Darmanin pour l’exhorter à « renoncer » à ce projet, considérant le risque d' »aggravation des fractures et des tensions sociales dans un contexte déjà très fragilisé (…) et l’atteinte au respect des droits fondamentaux des personnes étrangères dans le cadre d’expulsions massives ».
Les critiques viennent également de l’étranger. Lundi 10 avril, le gouvernement comorien est sorti de son silence, pour demander officiellement à Paris de renoncer à l’opération « Wuambushu ». « Le gouvernement comorien a appris avec étonnement la nouvelle du maintien du projet du gouvernement français (…) visant à procéder, dans l’île comorienne de Mayotte, à la destruction de bidonvilles, suivies de l’expulsion de tous leurs occupants sans-papiers, vers l’île d’Anjouan », indique un communiqué de la présidence.
Quelques jours plus tôt, des organisations de la société civile comorienne ont tenu une conférence de presse pour prévenir d’un « massacre à venir ».
Du côté des policiers français aussi on s’inquiète. Mais plutôt pour « l’après », quand les renforts seront partis. D’ailleurs, « pour ceux qui parlent mahorais, Uwumbushu (tel que s’accordent à l’écrire les linguistes de l’île, ndlr) peut aussi être traduit comme s’aventurer dans l’inconnu », assure à l’AFP le conseiller départemental, Soula Said Souffou.
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