La complexité du voyage de JUICE, la sonde européenne qui va partir explorer les lunes de Jupiter, impose un timing exceptionnellement serré à l’agence spatiale.
Un grand rendez-vous attend les amoureux de l’espace demain, avec le départ de JUICE. Il s’agit de la toute première sonde européenne qui partira explorer le voisinage de Jupiter. Cette mission s’annonce d’ores et déjà fascinante à bien des égards… mais aussi très compliquée d’un point de vue opérationnel ; les troupes de l’ESA vont devoir procéder à un lancement millimétré pour exploiter tout le potentiel de l’engin.
À son arrivée sur place au début de la prochaine décennie, JUICE aura pour mission d’étudier la plus grande planète du système solaire sous toutes les coutures. Il s’agit déjà d’un objet d’étude fascinant. Les astronomes n’ont toujours aucune idée précise des phénomènes physiques qui se déroulent dans les profondeurs de l’étoile, bien cachées sous ses magnifiques volutes de gaz coloré. Ils espèrent donc que la sonde pourra révéler certains de ses secrets les mieux gardés.
Il ne fait aucun doute que cette campagne d’observation va produire de résultats exceptionnels. Et pourtant, il ne s’agit même pas de l’objectif principal. Ce qui intéresse encore plus les planétologues, c’est un trio de lunes pas comme les autres — Ganymède, Callisto et Europe. Elles présentent toutes une particularité commune : les spécialistes s’attendent à ce qu’elles hébergent de grandes quantités d’eau liquide. Il s’agit donc de destinations particulièrement prometteuses pour étudier l’apparition hypothétique d’une forme de vie extraterrestre.
Mais avant d’en arriver là, les troupes de l’ESA vont devoir se surpasser. Expédier un engin aux confins du système solaire, c’est beaucoup plus compliqué que de le parquer en orbite de la Terre ou de la Lune. Les opérateurs vont donc devoir faire preuve d’une précision remarquable, car le timing s’annonce excessivement serré.
Comme chacun le sait, le système solaire n’est pas figé ; les différentes planètes tournent autour d’un puits de gravité commun, à savoir le Soleil. Il est donc impossible de braquer une fusée sur un corps céleste, puis de la tirer en ligne droite. Pour arriver à destination, il faut que le véhicule puisse partir non seulement dans la bonne direction, mais aussi au bon moment pour intercepter la trajectoire de la cible.
Les ingénieurs travaillent donc avec ce qu’on appelle une fenêtre de lancement. C’est un intervalle de temps où toutes les conditions optimales sont réunies. Elle dépend surtout de la position du point de départ et de la cible sur leurs orbites respectives.
Ces fenêtres peuvent déjà être assez contraignantes lorsqu’on parle d’une mission courte, comme les voyages vers la Lune. Il faut être prêt à décoller lors d’une fenêtre qui reste généralement ouverte pendant quelques heures au maximum. Et c’est tout sauf évident, sachant que la procédure de lancement est déjà longue et complexe.
Mais ici, on ne parle pas du corps céleste voisin ; les cibles de JUICE sont situées à environ 900 millions de kilomètres de la Terre. Il est donc inconcevable d’envoyer un engin sur place en une seule étape, car cela nécessiterait d’emporter beaucoup trop de carburant. La sonde va avoir besoin d’un petit coup de pouce… de notre planète elle-même.
Un grand tour de manège interplanétaire
Pour commencer, une fusée Ariane 5 va l’injecter en orbite du Soleil, hors de la sphère d’influence gravitationnelle de la Terre. Elle y restera environ un peu plus d’un an, ce qui lui laissera le temps de contourner l’étoile. Ce grand tour de manège permettra à la sonde d’atteindre une vitesse ahurissante de plusieurs centaines de milliers de kilomètres par heure, le tout en utilisant une quantité infime de carburant.
Au terme de cette rotation, la sonde fera à nouveau face à la Terre. C’est à ce moment qu’elle va mettre un gros coup d’accélérateur pour s’arracher aux griffes de la gravitation solaire. Mais puisqu’il n’y a pas d’air pour la ralentir dans le vide de l’espace, toute la vitesse sera conservée. JUICE va donc se retrouver catapultée à toute allure vers les confins du système solaire, comme un caillou à la sortie d’une fronde. Pour l’anecdote, c’est de cette analogie que vient le nom de la manœuvre ; on parle de fronde gravitationnelle.
Peu après cette éjection, la sonde va devoir passer à une distance extrêmement précise de la Lune et de la Terre pour une deuxième fronde gravitationnelle consécutive. Elle va exploiter la gravitation des deux corps célestes parfaitement positionnés pour modifier sa trajectoire tout en conservant sa vitesse. C’est la toute première fois qu’un engin va recevoir une assistance gravitationnelle de la Terre et de la Lune en simultané.
Un an plus tard, elle recommencera la même opération à proximité de Vénus. Elle repassera encore deux fois à proximité de la Terre fin 2026 avant de prendre la route de Jupiter une fois pour toutes.
Une fenêtre de lancement extrêmement réduite
Cette approche permettra d’économiser énormément de carburant, mais cela signifie aussi que le timing devra être parfait à chaque étape. La moindre erreur de positionnement pendant chacune de ces manœuvres pourrait provoquer un effet boule de neige catastrophique.
En effet, si la sonde n’est pas positionnée exactement sur la bonne orbite, ou si elle est un tout petit peu en retard ou en avance, le Soleil, Vénus, la Terre, la Lune et Jupiter ne seront plus alignés de façon optimale à chaque passage. Leur influence sur la trajectoire sera donc différente. Et plus ce délai sera important, plus il faudra dépenser de carburant pour ajuster l’approche finale. Au-delà d’un certain seuil, chaque imprécision réduira considérablement la durée de vie de la mission, et par extension sa capacité à produire de la science de haute volée.
Pour rentabiliser l’engin à fond, l’ESA va donc devoir être extrêmement rigoureuse sur la fenêtre de tir. Justin Byrne, chef de la division scientifique d’Airbus Defense and Spac, a expliqué à Space.com que la fusée Ariane 5 devrait décoller avec une marge d’erreur d’une seconde à peine ! Le défi technique s’annonce énorme, connaissant la longueur et la complexité du protocole de lancement.
Heureusement, l’agence aura plusieurs occasions d’y parvenir. En effet, cette fenêtre optimale d’une seconde s’ouvrira une fois par jour pendant un peu plus de deux semaines. Si l’ESA rate son coup demain, elle pourrait donc procéder à une autre tentative assez rapidement.
Nous vous donnons donc rendez-vous demain à partir de 13 h 45 sur le site de l’ESA pour assister à la première tentative de lancement, puis en 2031 pour le début de cette grande campagne d’observation.
Space.com