La Pologne et la Hongrie mettent le holà sur les importations agricoles d’Ukraine, Bruxelles réagit

Varsovie, puis Budapest, ont décidé ce week-end d’interdire les importations de céréales et d’autres produits agricoles en provenance d’Ukraine, et ce, jusqu’au 30 juin, pour protéger leurs propres agriculteurs. La Commission européenne a critiqué cette double décision ce dimanche 16 avril, rappelant que la politique commerciale dans l’UE relevait de sa prérogative exclusive. La mesure est en vigueur.

Du fait que l’itinéraire traditionnel des exportations ukrainiennes par la voie maritime, via la mer Noire, est bloqué par l’invasion russe, des produits agricoles ukrainiens, et notamment des céréales, transitent en masse par l’Union européenne, actuellement. En mai dernier, les droits de douane européens sur les produits importés de l’Ukraine ont été levés pour ce faire.

Mais depuis lors, pour des raisons logistiques, des stocks de céréales s’entassent notamment dans un pays de transit limitrophe : la Pologne, ami de Kiev, et qui a d’ailleurs reçu en grande pompe le président Zelensky récemment. Aussi, les prix locaux polonais ont chuté, conduisant à des manifestations d’agriculteurs en colère et à la démission du ministre de l’Agriculture.

Samedi, Varsovie « a décidé d’interdire l’entrée, les importations de céréales en Pologne ainsi que de dizaines d’autres produits agroalimentaires », a expliqué le chef du parti au pouvoir, le conservateur Jaroslaw Kaczynski. Sans quoi, à ses yeux, « cela conduirait à une grave crise du secteur agricole en Pologne ». La Pologne est un pays agricole, les acteurs du secteur votent, et les élections approchent.

Nous soutenons l’Ukraine, mais nous devons aussi défendre les intérêts de nos citoyens.
Information aussitôt confirmée par le nouveau ministre de l’Agriculture, Robert Telus, après s’être entretenu par téléphone avec son homologue ukrainien Mykola Solsky. Selon lui, la Pologne, mais également d’autres pays dans la région – la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie –, veulent que le sujet soit de nouveau posé sur la table à Bruxelles.

Depuis le mois dernier, ces cinq États membres expriment en fait le souhait que la Commission revienne sur sa décision concernant les droits de douane. De nouvelles mesures, plaident-ils, pourraient être envisagées afin de remplir l’objectif initial, la réexportation des grains ukrainiens vers les pays d’Afrique et du Moyen-Orient, tout en évitant les externalités négatives, les effets pervers.

Budapest s’aligne
Il y a une dizaine de jours, en discussion bilatérale avec Varsovie, Kiev s’était engagé à suspendre jusqu’à la nouvelle saison l’exportation de blé, de maïs, de colza et de graines de tournesol vers le territoire de son voisin, sans pour autant arrêter le transit vers d’autres pays de l’Union. Mais force est de constater que la Pologne prend désormais ses propres dispositions.

M. Kaczynski se veut rassurant : « Nous restons, dit-il, sans le plus petit changement, des amis et des alliés de l’Ukraine. » Qu’à cela ne tienne, le ministère ukrainien de la Politique agricole « regrette » la décision. « Les agriculteurs polonais, concède-t-il, font face à une situation difficile. Mais nous tenons à souligner que les agriculteurs ukrainiens font face, quant à eux, à la situation la plus grave. »

Kiev espère encore un compromis avec Varsovie, qui veut que les denrées en transit ne restent pas sur son marché. Problème : c’est la tache d’huile. Car le ministre hongrois de l’Agriculture a très vite indiqué que son pays suivrait l’interdiction polonaise, jusqu’au 30 juin aussi. Dans son communiqué, Budapest confirme que « le gouvernement attend une solution permanente et l’adoption de mesures de l’UE ».

En Pologne, les interdictions d’importer visent les céréales, le sucre, la viande, les fruits et légumes, le lait, les œufs ou encore d’autres produits alimentaires ; du côté de la Hongrie, il s’agit des céréales, des oléagineux et de plusieurs autres produits agricoles, selon un communiqué du ministère de l’Agriculture. Et ce, là aussi, au nom de la défense des « intérêts de la communauté agricole hongroise ».

La Commission réagit
La réaction de Bruxelles est tombée ce dimanche. Et la Commission le dit sans ambages, elle n’est pas très contente. Dans un communiqué cité par Reuters, elle critique la décision de Varsovie et Budapest, et rappelle que la politique commerciale dans l’UE relève de sa prérogative exclusive : « En ces temps difficiles, il est crucial de coordonner et d’aligner toutes les décisions au sein de l’UE », exhorte la Commission.

« Nous sommes au courant des annonces de la Pologne et de la Hongrie concernant l’interdiction des importations de céréales et d’autres produits agricoles en provenance d’Ukraine (…) Dans ce contexte, il est important de souligner que la politique commerciale relève de la compétence exclusive de l’UE et que, par conséquent, les actions unilatérales ne sont pas acceptables », peut-on lire dans le communiqué.

Pour l’heure, c’est donc l’impasse. D’autant que si le gouvernement de Pologne est un fervent soutien de Kiev dans la guerre en cours, c’est moins le cas de la Hongrie, dont le gouvernement, dirigé par Viktor Orban, est bien plus proche de Moscou. Jusqu’ici, Budapest a refusé de s’associer aux mesures de soutien à l’Ukraine décidées dans l’UE, ainsi qu’aux sanctions contre la Russie.

D’après les données officielles ukrainiennes, quelque trois millions de tonnes de céréales quittent le sol ukrainien chaque mois via la mer Noire, en vertu d’un accord conclu sous l’égide des Nations unies et de la Turquie, alors que 200 000 tonnes supplémentaires sont acheminées à travers la Pologne vers des ports européens.

RFI

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