Le Real Madrid a publié, lundi, une vidéo dans laquelle des images d’archives sont supposées montrer des proximités entre le FC Barcelone et le régime de Franco. Une réponse à des propos du président du Barça, Joan Laporta, qui a qualifié auparavant son adversaire de « club du régime » franquiste. Cette polémique, qui rouvre une page sombre de l’histoire de l’Espagne, pourrait au final égratigner l’image des deux clubs.
Les deux grands rivaux du football espagnol s’accusent mutuellement d’être un « club du régime » franquiste. Le FC Barcelone et le Real Madrid se sont échangés des amabilités par médias interposés, lundi 17 avril, quant à leur rôle respectif supposé durant la dictature de Franco, de 1939 à 1975.
La polémique mémorielle prend racine dans l’affaire Negreira, du nom de l’ancien numéro 2 de l’arbitrage espagnol José Maria Enriquez Negreira. Le Barça est dans la tourmente depuis la révélation, début février, par des médias espagnols, de versements d’argent suspects effectués vers des entreprises détenues par cet homme.
Ces révélations ont conduit la justice espagnole à inculper, mi-mars, le club catalan et ses anciens présidents Josep Maria Bartomeu (2014-2020) et Sandro Rosell (2010-2014) pour « corruption entre particuliers dans le secteur sportif », « abus de confiance » et « faux en écritures de commerce ».
D’après le parquet, le club catalan aurait versé plus de 7,3 millions d’euros à José Maria Enriquez Negreira entre 2001 et 2018 en échange de conseils sur des questions arbitrales. Les paiements auraient été interrompus quand l’arbitre a quitté ses fonctions au sein du comité technique arbitral espagnol.
Lundi 17 avril, pour la première fois depuis le début de l’affaire, le président du FC Barcelone, Joan Laporta, a nié toute tentative de tricherie de la part du club lors d’une conférence de presse. Dénonçant une « campagne orchestrée pour détruire la réputation du FC Barcelone », le président du club catalan a aussi critiqué ouvertement le Real Madrid qu’il a qualifié de « club du régime » du général Franco.
Une critique souvent employée dans la bouche des détracteurs du club madrilène, considéré historiquement comme le club du pouvoir, de l’argent et de Franco alors qu’en face le FC Barcelone serait le club populaire des indépendantistes catalans.
— Real Madrid C.F. (@realmadrid) April 17, 2023
En réponse, le club madrilène a répliqué lundi soir avec une vidéo de plus de quatre minutes publiée sur les réseaux sociaux pointant du doigt l’engagement politique du Barça sous le régime franquiste. Les Merengue affirment notamment que le stade du FC Barcelone, le Camp Nou, « a été inauguré par le ministre général de Franco, José Solis Ruiz », que « le Barça a remis son insigne à Franco », qu’il « l’a nommé membre d’honneur en 1965 » ou encore qu’il « l’a décoré à trois reprises ».
« Proximités » avec le régime franquiste
« En soi, aucun de ces deux clubs (le Barça et le Real, NDLR) n’a été fondamentalement franquiste », explique Jean-Baptiste Guégan, consultant et enseignant en géopolitique du sport. « Sous Franco, c’était un régime autoritaire dans lequel on vous réprimait si vous ne respectiez pas le cadre qui était fixé, ce n’était pas une démocratie dans laquelle on pouvait librement faire entendre sa voix ».
Le spécialiste parle, cependant, de « proximités » avec le régime franquiste de part et d’autre. « Tout ce qui a été avancé par le Real Madrid dans sa vidéo publiée est vrai, mais le club n’affirme rien, il fait simplement des constats avec des images qu’on n’avait jamais vues », reprend Jean-Baptiste Guégan.
Le club merengue ne s’est, en effet, pas exprimé en complément de la vidéo, préférant aux déclarations des images d’archives (comme l’inauguration du Camp Nou en 1957), des coupures de presse, des photos d’époque (dont une de joueurs du Barça faisant le salut fasciste) et des textes incrustés rappelant différentes périodes où le FC Barcelone a eu à faire au franquisme.
Le Real Madrid évoque aussi ses différences en termes de palmarès avec le Barça sous l’ère Franco, laissant penser que cette période aurait été plus profitable sportivement au club catalan. Il affirme – à juste titre – que le FC Barcelone a remporté huit championnats et neuf coupes d’Espagne entre 1939 et 1975, ajoutant que « sous Franco, le Real Madrid a mis 15 ans à remporter la Liga ». Mais le club madrilène omet de préciser qu’il a remporté quatorze championnats et six coupes d’Espagne sur la même période historique.
« Le FC Barcelone n’est pas l’équipe du franquisme », affirme de son côté Maria Llombart Huesca, historienne et spécialiste de la Catalogne, maîtresse de conférences à l’Université Paris 8. « Cette vidéo (du club madrilène) en est presque drôle, car tout le monde sait que l’équipe sur laquelle s’est appuyé le régime de Franco, c’est le Real Madrid », ajoute-t-elle.
L’historienne précise que Santiago Bernabeu – président du club entre 1943 et 1978 et à qui rend hommage le nom du stade où joue le Real Madrid – « avait des liens d’amitié avec des militaires et des gens du régime ». Le média So Foot évoque aussi une « proximité avec le pouvoir » et précise que Santiago Bernabeu a « pris part au conflit dans les rangs de l’armée franquiste » lors de la guerre d’Espagne (1936-1939).
« But contre son camp » du FC Barcelone au niveau communication
Maria Llombart Huesca fait aussi mention d’une « intervention du régime franquiste » pour le transfert du joueur argentin Alfredo di Stefano au Real Madrid, en 1953. Celui qui est devenu une légende des Merengue – avec 418 buts inscrits en 510 matches officiels – s’était initialement engagé avec le FC Barcelone… avant de finalement devenir un joueur du Real Madrid au terme d’un imbroglio financier.
C’est de cet échec du Barça à recruter le meilleur joueur du monde que « les regrets catalans, mêlés à de la frustration, (ont fait) naître le fantasme d’une intervention des autorités franquistes en faveur du ‘club du régime’ », a expliqué la revue Les Cahiers du football.
Que ce soit côté madrilène ou barcelonais, des « proximités » avec le régime semblent ainsi historiquement avérées, dans un contexte de répression systématique des opposants au franquisme.
Mais le retour de cette période sombre de l’histoire de l’Espagne sur le devant de la scène n’est pas seulement une lutte mémorielle entre les deux plus grands clubs de football du pays. Cela semble aussi être une stratégie de diversion du président du FC Barcelone, selon Jean-Baptiste Guégan : « Le Barça se sert du Real comme d’un contre feu médiatique pour éviter qu’on ne focalise sur son affaire supposée de corruption et de subordination d’arbitres (l’affaire Negreira, NDLR). Quand il agite l’épouvantail du franquisme et du Real, c’est une stratégie de communication. »
Un choix problématique, selon le spécialiste : outre cette affaire judiciaire, le Barça est maintenant pris dans une polémique « qui va durer et nuire à l’image des deux clubs », ajoute-t-il. « Le retour de bâton peut être préjudiciable pour le FC Barcelone », conclut le spécialiste. « On peut dire que c’est un but contre son camp. »
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