Jour 1 de « l’apaisement » : Bruno Le Maire et le gouvernement ciblent les fraudeurs étrangers

Emmanuel Macron entend s’attaquer à la fraude fiscale et sociale, mais les déclarations, mardi matin, du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, sur les fraudeurs étrangers ont déclenché une vive polémique. Le gouvernement est accusé de vouloir faire diversion en pleine protestation contre la réforme des retraites, en faisant un coup double grâce à deux thématiques qui résonnent à droite et à l’extrême droite : l’assistanat et l’immigration.

L’opération a visiblement été parfaitement orchestrée. Au lendemain de l’allocution d’Emmanuel Macron, dans laquelle le président de la République promettait « des annonces fortes, dès le mois de mai », contre les fraudes sociale et fiscale, Bruno Le Maire, Gabriel Attal et Gérald Darmanin – respectivement ministres de l’Économie, des Comptes publics et de l’Intérieur – ont sonné la charge, mardi 18 avril, contre les fraudeurs.

Si la fraude fiscale a été mentionnée, l’accent a surtout été mis sur la fraude sociale. « Pour ceux qui touchent le RSA, s’ils sont dans un parcours d’insertion, s’ils montrent de l’effort, il faut les aider. Mais s’ils ne souhaitent pas reprendre le chemin du travail, il est normal que nous ayons des sanctions envers eux », a affirmé Gérald Darmanin sur LCI, reprenant la thématique classique chère à l’électorat de droite de la chasse aux « assistés ».

Au même moment, Bruno Le Maire allait encore plus loin en liant fraude sociale et immigration. « Nos compatriotes, légitimement, en ont ras-le-bol de la fraude. Ils en ont ras-le-bol de voir des personnes qui peuvent toucher des aides (…), les renvoyer au Maghreb ou ailleurs alors qu’elles n’y ont pas droit. Ce n’est pas fait pour ça le modèle social », affirmait-il sur BFMTV.

Pour ce premier des « 100 jours d’apaisement, d’unité, d’ambition et d’action au service de la France » promis par Emmanuel Macron le 17 avril, le gouvernement s’est donc employé, pour faire oublier la réforme des retraites, à cibler les fraudeurs sociaux, et en particulier les étrangers. Une stratégie vivement dénoncée par la gauche.

Le leader de la France insoumise (LFI), Jean-Luc Mélenchon, s’est ainsi insurgé sur Twitter. « Chers compatriotes musulmans ou originaires comme moi du Maghreb, préparez-vous. Pour faire diversion le gouvernement annonce par la voix de Bruno Le Maire une nouvelle campagne pour vous montrer du doigt. Sang froid », a-t-il écrit.

« Vous prendrez bien une petite dose de racisme pour commencer l’apaisement », a tweeté la députée Europe Écologie-Les Verts (EELV) Sandrine Rousseau.

« L’extrême droite remplit dangereusement le vide gouvernemental », a déploré de son côté le premier secrétaire du Parti socialiste (PS), Olivier Faure, regrettant que le gouvernement mobilise « des préjugés racistes pour éviter de rappeler que la fraude sociale est essentiellement le fait des employeurs et que la fraude fiscale est sans commune mesure ».

La fraude fiscale beaucoup plus importante que la fraude sociale
De fait, toutes les estimations sérieuses, notamment celles établies par la Cour des comptes, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) et la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), concernant les fraudes sont unanimes : la fraude fiscale dépasse de très loin la fraude sociale.

« La fraude aux prestations sociales représenterait, selon la Cour des comptes, entre 1 et 3 milliards d’euros, la fraude patronale aux cotisations sociales environ 20 milliards d’euros, toujours selon la Cour des comptes et environ 6 à 8 milliards d’euros selon la Sécurité sociale, et la fraude fiscale de 80 à 100 milliards d’euros », détaille Vincent Drezet, porte-parole de l’association Attac et ancien secrétaire national du Syndicat national unifié des impôts (SNUI).

Pourtant, c’est bien sur la fraude sociale que le discours politique insiste. « Une constante depuis 25 ans », explique le professeur de sociologie et de science politique à l’Université de Strasbourg Vincent Dubois, auteur du livre « Contrôler les assistés, genèses et usages d’un mot d’ordre » (éd. Raisons d’Agir, 2021).

« Même si l’accusation visant les chômeurs suspectés de ne pas chercher du travail a toujours existé, il y a eu une inflexion très nette au milieu des années 1990, lorsque le Premier ministre Alain Juppé a commandé le premier rapport parlementaire sur les pratiques abusives des allocataires de prestations sociales et de santé », explique Vincent Dubois. « À partir de là, la thématique de la fraude sociale est durablement mise à l’agenda politique et médiatique, avec notamment le moment très fort que constitue le quinquennat de Nicolas Sarkozy, durant lequel ‘assistanat’ et ‘valeur travail’ sont constamment opposés. »

Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron emprunte cette rhétorique. Ses deux réformes de l’assurance-chômage, notamment, reposaient sur cette idée qu’une partie des chômeurs ne font pas le nécessaire pour retrouver un emploi. Et sa campagne présidentielle de 2022 a été marquée par sa proposition de RSA « conditionné » – remise sur l’établi lundi soir de façon subtile par le président et sans ménagement mardi matin par Gérald Darmanin.

« Derrière la figure du fraudeur, il y a celle de l’immigré qui abuse »
Pendant ce temps, les services du ministère des Comptes publics chargés des contrôles fiscaux ne cessent de voir leurs effectifs fondre comme neige au soleil. « Un peu moins de 10 000 agents travaillent aujourd’hui sur le contrôle fiscal, qu’il soit fait sur pièces ou sur place. C’est entre 3 000 à 4 000 agents de moins qu’il y a une douzaine d’années. L’administration est de moins en moins armée pour faire face », regrette Vincent Drezet.

Gabriel Attal a toutefois indiqué mardi matin sur France Inter qu’il présenterait « dans les prochaines semaines » un plan de lutte contre la fraude « avec des mesures fortes », comme un doublement des effectifs du Service d’enquêtes judiciaires des finances (SEJF). Actuellement composé de 266 enquêteurs, selon le site Internet des Douanes, le SEJF avait notamment participé en mars à des perquisitions massives dans des banques en France soupçonnées de fraude fiscale. La facturation électronique entre entreprises, qui doit démarrer en 2024, devrait également permettre de lutter contre la fraude à la TVA.

Des annonces éclipsées par ces propos de Bruno Le Maire sur les fraudeurs étrangers. D’autant que les prochaines semaines seront également marquées par l’examen au Parlement du projet de loi sur l’immigration.

« Il y a clairement un réinvestissement de cette thématique de la fraude, mais tout de même avec quelque chose de nouveau puisque le gouvernement assimile désormais de façon explicite la question de la fraude aux prestations sociales à la question de l’immigration, souligne Vincent Dubois. Cela renvoie à un imaginaire : derrière la figure du fraudeur, il y a celle de l’immigré qui abuse, voire même de l’immigré polygame ou de l’immigré qui se servirait du RSA pour financer le terrorisme islamiste. »

Une stratégie de diversion qui rappelle la fin du grand débat national, lorsque Emmanuel Macron avait répondu à l' »injustice fiscale, territoriale et sociale » exprimée selon lui par les Gilets jaunes en proposant un débat annuel au Parlement sur la politique migratoire, une refonte de l’espace Schengen et en pointant « un islam politique qui veut faire sécession avec notre République ». À défaut d’apaiser les Français, la droite et l’extrême droite, une nouvelle fois, apprécieront.

france24

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