Après la diffusion – et le succès – sur les plateformes du faux duo de The Weedknd et Drake créé par l’intelligence artificielle, les labels répliquent.
Le morceau est viral. Un duo des deux plus gros vendeurs de disques du monde, les Canadiens de Toronto The Weeknd et Drake, forcément… Sur une ligne de piano épurée, Drake rappe avec son débit grave et lent. Il est rejoint par la voix « michaeljacksonnienne » de The Weeknd. On écoute, attentif, sans imaginer un seul instant que ce ne sont pas eux qui chantent. « Heart on My Sleeve » est simple et entêtant, un morceau efficace comme la pop les aime tant. Le son est un peu bizarre, mais c’est peut-être une démo qui a fuité ? Ou un nouveau concept des artistes ? Qu’importe.
Quelques heures après sa sortie vendredi 14 avril, les écoutes explosent : 9 millions sur TikTok, des centaines de milliers sur YouTube, 250 000 sur Spotify… Pourtant, ni Drake ni The Weeknd ne chantent. La mélodie, les textes, les voix ont été intégralement créées par l’intelligence artificielle (IA). Le ghostwriter anonyme ne donne aucun indice sur son identité mais a annoncé d’emblée que c’est un « fake ». Lundi 17 avril au soir, le titre est retiré de toutes les plateformes.
Concrètement, de la même manière que Dall-E génère des images à partir de texte, ou que ChatGPT écrit des essais entiers sur la base de quelques indications, le technologie de l’IA générative en musique utilise le « deep learning » (« l’apprentissage profond ») pour composer une mélodie de qualité à partir d’instructions sommaires en accédant au répertoire d’artistes existants.
C’est ce que permettent de faire Niva, Magenta, Aiva, SingSong, Vall-E… Google a aussi conçu MusicLM, apparemment tellement performant qu’ils tardent à le commercialiser. L’algorithme analyse les voix, les mélodies, le style, les textes et recrée, à la façon de ChatGPT, de nouvelles chansons.
Ainsi, David Guetta s’est amusé à créer un texte pour Eminem sur ChatGPT puis à le faire « chanter » par Emi-IA-Em, l’avatar du rappeur. De la même manière, Rihanna a repris Cuff It, de Beyoncé, Michael Jackson Die for You, de The Weeknd – c’est confondant de réalisme –, Ariana Grande chante du Aya Nakamura.
Nouvelles voies artistiques
Merveilleux ? La technologie pourrait en effet ouvrir de nouvelles voies artistiques, s’amuser à des combinaisons inattendues et permettrait pour les usines à gaz – parfois tellement industrielles qu’on en oublie l’artistique – que sont les pop stars de produire plus, plus vite, et à moindres frais. Et pourquoi pas des créations minute sur-mesure faites pour l’auditeur, en fonction de son humeur ou de ses goûts ?
Là maintenant, par exemple, nous écouterions bien une chanson de Rihanna à la fois dansante et reggae – après tout, elle nous la promet depuis des années et elle semble débordée, peut-être que l’intelligence artificielle peut faire le travail à sa place. Ou bien une chanson de Bob Dylan sur le climat politique français. Ou enfin le nouvel album d’Amy Winehouse, décédée en 2011.
Lire ces lignes vous terrifie ? Vous vous dites que les artistes seront bientôt obsolètes ? Et puis, qui touchera les droits d’auteur ? Celui qui a eu l’idée d’une telle chanson peut-il prétendre à un pourcentage sur sa création ? Les chanteurs possèdent-ils l’entière licence de leur voix ? Devra-t-on bientôt créer, comme pour les fromages et le champagne, une appellation d’origine contrôlée ?
Encadrement juridique
Paniqués, les labels demandent maintenant aux plateformes d’empêcher le téléchargement de leurs morceaux par les sites d’intelligence artificielle pour les protéger. Il est peu probable qu’ils arrivent à un résultat sur le long terme. The Human Artistry Campaign a été créé à cet effet. Réunissant une quarantaine d’organisations et syndicats musicaux, ils défendent l’idée que « seuls les humains sont capables de communiquer les complexités, les nuances et les complications sans fin de la condition humaine à travers l’art – que ce soit la musique, la performance, l’écriture ou toute autre forme de créativité. »
Ils militent pour l’encadrement juridique de l’intelligence artificielle. « L’IA doit être soumise à des licences de marché libre pour l’utilisation d’œuvres. Les créateurs et les titulaires de droits d’auteur doivent conserver le contrôle exclusif sur la façon dont leur contenu est utilisé. Les développeurs d’IA doivent s’assurer que tout contenu utilisé à des fins de formation est approuvé et concédé sous licence par le propriétaire des droits d’auteur, y compris le contenu précédemment utilisé par toute IA préformée qu’ils peuvent adopter. De plus, les voix et ressemblances des artistes-interprètes et des athlètes ne doivent être utilisées qu’avec leur consentement et une juste rémunération du marché pour des utilisations spécifiques. »
Ils demandent aussi que ces lois ne protègent que les créateurs humains, et non les logiciels. Nous n’aurions donc pas les mêmes droits que les machines. IA-ntéressant…
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