« Je pourrais mourir pour Erdogan » : à Kasimpasa, personne n’a oublié le réis

Dans le quartier de Kasimpasa (Istanbul) où il a grandi, Recep Tayyip Erdogan est la fierté de ceux qui l’ont connu. Ses voisins décrivent un homme généreux qui était déjà voué à un brillant avenir.  

 

Un immeuble modeste, posé en haut d’une colline de Kasimpasa, quartier populaire surplombant la Corne d’Or, bras de mer qui se jette dans le Bosphore, à Istanbul. La façade brune, un brin défraîchie, est flanquée de quelques paraboles. C’est ici, au numéro 34 de la rue Piyale Mumhanesi, que Recep Tayyip Erdogan a vécu, en famille, pendant de nombreuses années.  

« Il habitait ici avant de devenir président, raconte Semiha Karaoglupaçal, propriétaire de l’épicerie située juste en face de l’entrée. Il venait faire ses achats au magasin. Tous les matins, avant de partir travailler, il disait bonjour. » À l’époque, l’étroite boutique appartenait au père de Semiha. Et chaque jour, après l’école, elle venait y travailler. 

 

Comme de nombreux habitants, Semiha n’a jamais quitté Kasimpasa. Ce quartier pauvre a longtemps accueilli les ouvriers des chantiers navals installés le long de la côte. C’est d’ailleurs pour cette raison que le capitaine de navire Ahmet Erdogan, père de Recep Tayyip, a choisi de s’y installer après avoir quitté Rize, au bord de la mer Noire. L’homme est sévère et surtout très pieux. Il inculque à ses enfants le respect rigoureux des valeurs et préceptes de l’islam. Recep Tayyip Erdogan est donc formé à l’école religieuse. À l’adolescence, pour gagner son argent de poche, il vend des simits, ces pains ronds au sésame que l’on trouve à chaque coin de rue du pays.

Semiha Karaoglupaçal tient l'épicerie située juste en face de l'immeuble où Recep Tayyip Erdogan a grandi à Kasimpasa, quartier populaire d'Istanbul.
Semiha Karaoglupaçal tient l’épicerie située juste en face de l’immeuble où Recep Tayyip Erdogan a grandi à Kasimpasa, quartier populaire d’Istanbul.

« Nous sommes fiers de lui » 

« Recep Tayyip Erdogan a toujours fait preuve de charité. Il achetait des choses à donner aux enfants et, les vendredis, il leur distribuait de l’argent, se souvient la quinquagénaire. Après son élection [à la mairie d’Istanbul en 1994, NDLR], le quartier de son enfance a changé. Il a été rénové. Nous sommes bien maintenant. »

Semiha Karaoglupaçal ne tarit pas d’éloges. « Nous sommes fiers de lui, fier de ce qu’il est devenu, dit-elle en arborant un large sourire. Nous l’aimons parce que c’est l’un des nôtres. » Des mots qui illustrent la fascination éprouvée par nombre de Turcs. Une grande partie de la population s’identifie à cet homme aux origines modestes qui s’oppose aux élites laïques. Un homme qui parle le langage de la rue. Un véritable héros populaire.

« Il est né pour ça, affirme Semiha en réajustant son voile. Il n’a peur de personne, sauf de Dieu. C’est un vrai musulman. Comme vous le savez, la Turquie est musulmane à 99 % [chiffre avancé par les autorités, certains l’estiment entre 80 et 90%, NDLR]. Si les gens sont de bons musulmans, ils doivent le soutenir.  Avec nos prières, il sera victorieux. Rien ne pourra l’arrêter. » 

Dehors, la voix d’un camelot retentit. L’homme achète et revend toutes sortes d’objets. Mais en ce début d’après-midi, sa charrette fait grise mine. L’homme se fige. Il attend. Patiemment. En vain. Personne ne semble prompt à répondre à son appel. En ce début de chaude après-midi, même les passants se font rares. 

Faute de clientes, Gönül est rivée à son téléphone portable. Elle tient le salon de coiffure au pied du bâtiment où a vécu le président. « J’ai vu Erdogan quelques fois. Quand il était maire d’Istanbul mais aussi quand il était membre du gouvernement, il venait nous rendre visite à Kasimpasa. Il disait tout simplement  « Bonjour, comment ça va ? », résume-t-elle, cheveux au vent, en agitant son mobile. Il est proche des gens. » 

Gönül tient un salon de coiffure au pied du bâtiment où a grandi Recep Tayyip Erdogan à Kasimpasa, à Istanbul.
Gönül tient un salon de coiffure au pied du bâtiment où a grandi Recep Tayyip Erdogan à Kasimpasa, à Istanbul.

Habitante du quartier depuis vingt-sept ans, elle a même occupé l’appartement familial des Erdogan. « Un jour, il a frappé à la porte. Je ne m’attendais pas à voir Erdogan en ouvrant. J’ai voulu lui embrasser la main car c’est un signe de respect pour les aînés mais il n’a pas voulu. Humainement, c’est quelqu’un de bien. Je le respecte en tant que président. »

Gönül évoque la réputation de Kasimpasa. « Certains disent que ce n’est pas le quartier idéal mais ce n’est pas vrai. Il n’y a pas de problème, c’est un coin tranquille. Tout le monde se connaît ici. Nous avons tous de bons rapports. » 

« Il ne pensait qu’au football » 

Dans l’immeuble où habitait Erdogan, on n’entend pas une mouche voler. La cage d’escaliers est toujours dans son jus. Au sol, des carreaux de ciment mouchetés. Hüseyin Üstünbas, 72 ans, habite au 5e étage, juste au-dessus de l’appartement où vivait la famille Erdogan. Aujourd’hui, il est le seul résident à connaître personnellement le président. Habitué à recevoir la visite de journalistes étrangers, c’est avec plaisir qu’il ouvre la porte de son logement. 

Hüseyin Üstünbas, habite juste au-dessus de l’appartement où vivait la famille Erdogan, à Kasimpasa, à Istanbul. Il reçoit régulièrement la visite de son "ami".
Hüseyin Üstünbas, habite juste au-dessus de l’appartement où vivait la famille Erdogan, à Kasimpasa, à Istanbul. Il reçoit régulièrement la visite de son « ami ».

Assis sur le canapé du salon, il multiplie avec gourmandise les anecdotes sur celui qu’il appelle affectueusement « Tayyip ». « Il ne pensait qu’au football, rien qu’au football », se souvient-il. Car si à l’adolescence, Recep Tayyip Erdogan fréquente un lycée religieux où l’on forme les imams, il écume aussi les clubs de foot de Kasimpasa : Erokspor, Camialtı et IETT. Sur le terrain, ses camarades le surnomment « l’imam Beckenbauer », du nom de son idole, le défenseur allemand champion du monde 1974. « Son père n’aimait pas qu’il joue, alors il prenait ses crampons en cachette et allait aux matches, ajoute-t-il. Il s’est d’ailleurs opposé à sa carrière professionnelle. » 

Dans la pièce, quelques photos de famille habillent les murs défraîchis. Un cliché attire particulièrement le regard. Il trône au dessus du canapé, juste au-dessus de la tête de nôtre hôte. On y voit Hüseyin, son épouse décédée en 2018, leur fille et leur petit-fils, entourés du président Erdogan et de sa femme Emine. « Parfois, il a soudainement envie de revenir dans le quartier. Il ne planifie pas, raconte le retraité dans une longue tirade. Ce jour-là, j’étais en train de faire des courses lorsqu’on m’a appelé pour me dire que le président était là. Il a demandé au photographe de prendre cette photo en souvenir de sa visite. Je lui ai dit que nous n’aurions jamais la chance de la voir. Le lendemain, elle était déposée chez moi. » 

Hüseyin Üstünbas, son épouse décédée en 2018, leur fille et leur petit-fils, entourés du président Erdogan et de sa femme Emine.
Hüseyin Üstünbas, son épouse décédée en 2018, leur fille et leur petit-fils, entourés du président Erdogan et de sa femme Emine.

Hüseyin Üstünbas décrit la simplicité, l’accessibilité de l’ancien gamin du quartier. « Nous sommes amis. Nos enfants ont joué et grandi ensemble. Bilal Erdogan a le même âge que mon fils [cadet des quatre enfants du président, NDLR]. Leur mais on était comme la nôtre. Aujourd’hui, à cause du dispositif de sécurité, on ne peut plus l’approcher aussi facilement mais s’il nous voit, il s’arrête pour venir nous parler. Il n’aime pas quand ses gardes du corps empêchent les gens d’approcher. » 

« On l’appelait déjà le réis quand il était jeune » 

Le vieil homme regrette de ne plus avoir ses albums photos pour montrer les souvenirs. Sa fille s’est emparée de ses trésors. Il ne lui reste que deux faire-part qu’il s’empresse d’aller chercher dans le buffet : ceux des mariages d’Esra et Burak Erdogan, les enfants du réis. Il raconte alors comment il s’est retrouvé non loin d’invités comme Silvio Berlusconi et le roi de Jordanie. « Quand il est venu nous saluer, beaucoup se sont demandé qui nous étions et pourquoi il nous parlait. » 

Hüseyin Üstünbas montre avec fierté les faire-part de mariage  d’Esra et Burak Erdogan, deux des quatre enfants du président Erdogan.
Hüseyin Üstünbas montre avec fierté les faire-part de mariage d’Esra et Burak Erdogan, deux des quatre enfants du président Erdogan. 

Une « générosité » qui s’est illustrée à maintes reprises, y compris avec des voisins pourtant critiques de « Tayyip ». « On l’appelait déjà le réis quand il était jeune. Il était très actif, il faisait tellement de choses pour aider les gens dans ce quartier, se souvient Hüseyin Üstünbas. Ma femme est morte d’un cancer. Elle avait besoin d’une chimiothérapie mais nous n’avons pas pu trouver l’argent pour le traitement. Nous avons alors appelé Bilal car son conseiller ne nous répondait pas. Après cela, nous avons pu aller à l’hôpital gratuitement. L’homme, lui, a été licencié ».  

La dévotion de Hüseyin Üstünbas est totale. Rien au monde ne pourrait le faire douter de son ami. « Il va gagner cette élection. Lors de la précédente élection, la situation était identique. Les journalistes étrangers nous posaient les mêmes questions. Il y avait des problèmes économiques. Il a gagné. Nous attendons 51 à 53 % des voix au premier tour ». 

Quant aux critiques, il les balaie d’un revers de la main. « N’écoutez pas ceux qui sont contre lui ! Je le connais. Je sais comment il est. Je pourrais mourir pour lui. Je donnerai ma vie pour lui. » 

france24

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