Après l’échec de la force Barkhane au Mali, l’armée française a décidé de changer de paradigme, en se présentant comme un partenaire en soutien aux armées africaines et non en force étrangère agissant sous ses propres directives. L’expérience qui a débuté au Niger vise à éviter de développer le sentiment anti-français qui s’est largement diffusé sur la bande sahélienne sur fond d’une propagation de la menace djihadiste.
L’échec de la force Barkhane au Mali et le retrait des forces spéciales (Sabre) au Burkina Faso en janvier dernier ont poussé le gouvernement et l’État-major français a repensé leur stratégie de lutte anti-djihadiste au Sahel. Dans la foulée de son discours du 17 février 2022 depuis le palais de l’Élysée sonnant la fin de la mission “Barkhane” dont le retrait définitif du Mali a eu lieu en novembre 2022, le président français a ordonné une action s’en tenant strictement aux demandes spécifiques des pays concernés dans la lutte contre le terrorisme au Sahel.
Le dispositif des forces françaises déployées au Niger, soit 1 500 soldats, doit servir de base à la nouvelle stratégie de lutte anti-djihadiste au Sahel. Cette nouvelle approche stratégique vise à créer des partenariats avec l’armée nigérienne. Ainsi, les forces françaises au Sahel sont appelées désormais à opérer sous le commandement de l’armée nigérienne, en appui ‘’de’’ et non plus ‘’à la place’’ des forces nigériennes, a déclaré Kalla Moutari, ex-ministre nigérien de la Défense.
Selon plusieurs experts militaires américains, la France veut agir différemment en ne menant plus sa propre guerre en parallèle, mais en collaborant de manière efficace avec les armées africaines.
Pour l’État-major français, cette nouvelle approche vise aussi à éviter les erreurs de la mission ‘’Barkhane’’ au Mali. La nouvelle stratégie s’articule toujours autour de « dé-Barkhane-isation ». Si l’opération a permis de remporter d’importantes victoires tactiques au Mali, les autorités politiques et administratives ne sont jamais parvenues à rétablir le contrôle dans les zones purgées des militants.
‘’Au Niger et même globalement partout en Afrique, la position philosophique est différente de ce qui a été fait au Mali. Aujourd’hui, notre aide part d’abord du besoin du partenaire », résume le commandant des Forces françaises au Sahel (FFS), le général Bruno Baratz.
Une situation qui a souvent conduit à un vide institutionnel dans les territoires reconquis qui retombaient le plus souvent sous le contrôle des groupes djihadistes, au grand désarroi des populations locales. Cette nouvelle configuration doit permettre la montée en puissance de l’armée nigérienne qui doit compter plus de 50 000 hommes d’ici deux ans.
Les forces nigériennes devraient être suffisamment en nombre afin d’œuvrer à la stabilité notamment dans la région de Tillabéri en proie à des incursions régulières des groupes armés terroristes (GAT).
De plus, le Niger s’appuie aussi sur une stratégie de contre-insurrection particulièrement efficace avec sécurisation des populations et retour de l’État dans les zones contestées par les groupes terroristes, ajoute le général Baratz. L’opération franco-nigérienne ‘’Almahaou’’, dans la région du même nom en avril 2023, sert à illustrer cette nouvelle approche de la coopération militaire.
Désormais, les domaines de coopération s’étendent au domaine aérien et aux renseignements. Ainsi, des drones et avions de chasse français décollent quotidiennement de Niamey pour appuyer les opérations nigériennes au sol. Les soldats français et nigériens échangent aussi régulièrement sur l’usage de leurs drones respectifs – Reaper américain pour les premiers, Bayraktar turc pour les autres.
Cette expérience nigérienne pourrait servir de base à la volonté de la France de renforcer sa coopération militaire avec les pays du Golfe de Guinée (Bénin, Togo et Côte d’Ivoire) en proie depuis deux ans à des tentatives d’incursions des groupes affiliés à l’État islamique au Sahel (EIS) et d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (AQMI) depuis le Burkina Faso.
L’épouvantail Wagner face au recul de l’influence française
Ce changement de paradigme du côté de la France est aussi renforcé par la pression qu’exerce la milice paramilitaire Wagner qui s’est déjà déployée au Mali et que certaines sources disent très proches d’en faire de même au Burkina Faso. Le groupe paramilitaire russe Wagner apparaît comme un épouvantail des difficultés françaises à se maintenir au Sahel où ils finissent par rencontrer une certaine hostilité de la part des populations locales.
Le groupe Wagner semble avoir jeté son dévolu sur l’Afrique de l’Ouest, notamment sur le Mali. Même si sa présence est fortement réfutée par les autorités maliennes, le déploiement de troupes paramilitaires d’un millier de miliciens russes en contrepartie minière (concession de trois gisements d’or et de magnésium) a été confirmé par les gouvernements occidentaux et les Nations Unies.
En outre, la récente volonté des autorités burkinabé qui ont appelé au départ des forces spéciales françaises du Burkina Faso ne serait pas indépendante de l’ingérence russe qui opère à travers les réseaux sociaux au Burkina Faso. Cette ingérence s’appuie sur une campagne de désinformation anti-française liée à un fort ressentiment contre les élites souvent discréditées par des scandales de corruption.
Cette campagne s’appuie aussi sur les activistes ou influenceurs qui entretiennent ce climat de défiance envers la France. Ceci malgré les nombreuses exactions et autres massacres dénoncés par les organismes de Droits de l’homme et les Nations Unies, notamment le massacre de Moura qui a lieu en fin mars 2022 et qui a fait plus de 500 morts.
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