Après trois ans loin de chez lui, Aliou veut rentrer au pays. Ce Guinéen de 25 ans espère pouvoir bénéficier du programme de retour volontaire de l’Organisation internationale des migrations (OIM). Il garde un goût amer de son exil, fait de violences, de faim et d’angoisse.
En 2020, Aliou* décide de quitter la Guinée. Il voit ses amis d’enfance vivre convenablement en Europe et veut lui aussi tenter sa chance. Le jeune homme passe trois ans en Algérie, où il travaille sur des chantiers pour se payer le voyage vers l’Europe. En mai, il débarque en Tunisie après avoir franchi à pied la frontière avec l’Algérie. Son but : monter sur un canot direction l’Italie. Mais la traversée a failli virer au drame. Son canot pneumatique se dégonfle et prend l’eau. Sans l’aide des garde-côtes tunisiens, il serait sûrement mort. Aujourd’hui, il ne souhaite qu’une chose : rentrer en Guinée. Témoignage.
« Voilà deux semaines que j’ai pris ma décision : je veux rentrer chez moi. Je n’ai pas le choix, c’est la meilleure décision.
Je ne veux plus risquer ma vie, l’exil est trop dangereux. C’est trop dur.
J’ai été agressé lorsque j’étais en Algérie. Une fois, je sortais du travail, sur un chantier. Mon patron m’a donné mon salaire pour la journée. Des ‘Arabes’ m’ont suivi et mon attaqué avec des couteaux. Ils m’ont menacé et j’ai dû leur donner tout mon argent.
Heureusement que d’autres ‘blacks’ sont venus m’aider, j’aurais pu perdre la vie. J’ai encore des marques des coups de couteaux sur mon corps, sur les bras et près du cou.
« En Tunisie, ils n’aiment pas les Noirs »
Ce genre d’agressions est notre quotidien au Maghreb. Ça m’est arrivé trois ou quatre fois.
J’ai aussi été victime de bastonnade. Les jeunes ne voulaient même pas mon argent, ils ne voulaient rien, seulement me frapper inutilement. Ils m’ont dit que je devais quitter leur pays, que l’Algérie n’était pas pour nous.
En Tunisie aussi, c’est dangereux. J’y vis depuis seulement un mois et j’ai déjà subi des violences. Un jour, avec deux amis nous sommes sortis pour acheter à manger. Dans le magasin, cinq ‘Arabes’ se sont approchés de nous avec des machettes. On a couru et on a réussi à leur échapper.
C’est toujours pareil : ils n’aiment pas les Noirs et veulent notre argent. On a l’habitude.
Les migrants se disent depuis des années victimes de violences émanant d’une partie de la population tunisienne. Mais depuis le discours virulent du président tunisien Kaïs Saïed à l’encontre des exilés subsahariens en février dernier, les agressions se sont multipliées dans le pays. Beaucoup de personnes ont aussi perdu leur travail et le logement qu’ils occupaient.
Sur la mer aussi, j’ai failli mourir. Lorsque j’ai tenté la traversée de la Méditerranée depuis Sfax [ville du centre-est de la Tunisie, connue pour être un lieu de départ des embarcations, ndlr], le bateau a coulé. Heureusement que les garde-côtes tunisiens sont venus nous récupérer. Je ne sais pas ce qu’il serait arrivé sinon.
La faim aussi est difficile à vivre. Parfois, je ne mange pas car je n’ai pas les moyens de m’acheter de la nourriture.
« Je sais maintenant qu’il vaut mieux rester chez soi »
C’est pour toutes ces raisons que je veux partir. Je suis à 100% sûr de moi ! Depuis que je suis au Maghreb, je n’ai eu que des problèmes. Je n’ai jamais eu de moments de joie. Et puis, de toute façon, je n’ai plus d’argent pour tenter ma chance et ma famille ne peut plus m’aider.
Pour l’instant, seuls mes parents sont au courant de mon projet de retour volontaire. Ils sont contents et rassurés que je rentre car j’ai évité la mort de nombreuses fois. Ils ont eu tellement peur.
L’Organisation internationale des migrations (OIM) organise des retours volontaires des migrants dans leur pays d’origine. L’agence peut aider financièrement les exilés de retour à monter des projets. Si vous êtes en Tunisie et que vous voulez en bénéficier, vous pouvez appeler le 00216 74 24 68 00. Ce numéro gratuit vous permet de prendre rdv avec un agent de l’OIM pour commencer la procédure de retour volontaire.
Mais, c’est dur pour moi d’accepter l’échec, de n’avoir pas réussi à rejoindre l’Europe. C’est dur à expliquer à ma famille, c’est difficile à comprendre pour eux. Mais je ne vois pas d’autres alternatives, je suis obligé de rentrer.
En Guinée, je reprendrai mon travail : celui de jardinier auprès de mon père.
Je ne regrette rien de ces trois années sur la route. J’aurai au moins essayé. Et puis, j’ai acquis beaucoup d’expérience, je vois la vie différemment. Je sais maintenant qu’il vaut mieux rester chez soi, y monter un projet, plutôt que de vivre sans-papiers dans un autre pays. On est plus heureux à la maison.
La réalité de l’exil n’est pas ce que les gens croient. C’est beaucoup plus dur que ce que l’on pense. »
*Le prénom a été modifié.
infomigrants