Le 5 juin au matin, toutes les radios nous l’annonçaient avec de grands roulements de tambour: Élisabeth Borne allait présenter le grand plan du gouvernement pour lutter contre la crise du logement. Et c’était du sérieux: pour préparer ce plan, on avait fait travailler au sein du Conseil national de la refondation toutes les parties concernées (professionnels, élus locaux, habitants). On parlait de pas moins de 200 mesures!
Une semaine après, si vous n’êtes pas directement concerné par ce qui a été dit, vous souvenez-vous avec précision de ce qui a été effectivement annoncé? Si c’est le cas, toutes nos félicitations, car le moins que l’on puisse dire est que ce plan ne laissera pas un souvenir impérissable. Du côté des professionnels de l’immobilier comme de celui des associations qui travaillent sur le problème du logement, chacun affiche sa déception.
Un «choc d’offre» qui n’est jamais venu
Il est vrai que, cette fois, le gouvernement n’a pas trop cherché les effets d’annonce et il a eu raison: en 2017, lors de la campagne présidentielle, le candidat Macron avait promis un «choc d’offre» qui n’est jamais venu et le bilan de son premier quinquennat s’est révélé plutôt décevant en ce domaine. La leçon a servi: mieux vaut éviter les promesses que l’on ne peut tenir dans un secteur où les premiers effets des décisions prises ne peuvent se faire sentir avant plusieurs années.
Élisabeth Borne a bien expliqué son problème en préambule des travaux du 5 juin: aux difficultés structurelles bien connues –baisse du foncier disponible, recul du nombre de permis de construire délivrés dans les zones tendues– s’ajoute le problème conjoncturel de la hausse des taux d’intérêt. En somme, il s’agit à la fois de faire face aux urgences et de travailler pour le long terme.
Quand on regarde dans le détail toutes les mesures annoncées, il s’agit effectivement de faire tout à la fois: encourager l’accès à la propriété et à la location, encourager la construction de logements, y compris de logements sociaux, et la rénovation, le tout sans augmenter la dépense publique, voire en la réduisant. Il n’est pas étonnant que les réactions soient majoritairement négatives.
Faut-il déplorer la fin du dispositif Pinel…
Mais, en politique, il est fréquent qu’une mesure entraîne des réactions négatives si elle va à l’encontre de certains intérêts particuliers, et cela ne signifie pas qu’elle soit contraire à l’intérêt général. Ainsi, dans ce plan, on chercherait en vain une reconduction du dispositif Pinel d’aide fiscale aux particuliers qui réalisent un investissement locatif dans l’immobilier neuf.
Cette aide fiscale à la construction était très critiquée depuis longtemps. Déjà en 2019, un rapport de l’Inspection générale des finances montrait qu’elle coûtait cher pour des résultats limités: les appartements construits dans ce cadre n’étaient pas forcément localisés là où ils auraient été le plus utiles et ne contribuaient guère à faire baisser les loyers. Le dispositif a été revu et corrigé, mais les professionnels du bâtiment et les promoteurs ont toujours réussi à obtenir sa reconduction.
La loi de finances pour 2021 l’a prolongé jusqu’au 31 décembre 2024 et cette fois, il semble bien qu’il n’y aura pas de prolongation. Avec le dispositif Duflot qui l’avait précédé en 2013, il devrait coûter un peu plus de 1,5 milliard cette année selon l’estimation inscrite dans la dernière loi de finances, ce qui en fait une des niches fiscales à destination des ménages les plus coûteuses.
… et le recentrage du prêt à taux zéro?
Une autre décision très critiquée est celle qui concerne le prêt à taux zéro destiné à faciliter l’accès à la propriété pour les ménages modestes. Certes, il est décidé de le reconduire jusqu’à la fin de 2027, mais il est recentré sur l’achat d’un logement neuf au sein d’une opération de logement en collectif, en zone tendue, ou pour l’acquisition d’un logement ancien, en zone détendue, sous conditions de réalisation de travaux de rénovation.
L’idée sous-jacente est claire: l’État ne souhaite plus contribuer à l’extension des zones pavillonnaires autour des grandes métropoles. Les promoteurs s’indignent et font jouer la fibre sociale: c’est la fin de l’accession à la propriété pour toute une catégorie de la population. D’autres commentateurs soulignent qu’on s’attaque ainsi au rêve de la maison individuelle auxquels les Français sont très attachés. Et, une nouvelle fois, on oppose le social et l’écologie.
C’est un grand classique. L’écologie, tout le monde est pour. A chaque fois qu’une agglomération est inondée, les conséquences néfastes de l’artificialisation des sols sont soulignées. Mais dès qu’il s’agit de prendre des mesures concrètes pour la freiner, de bonnes raisons sont invoquées pour faire une exception ici pour des entrepôts ou une grande surface commerciale, là pour un lotissement, etc. Et la rigidité des mesures prises par le gouvernement est dénoncée.
Entre urgence climatique et urgence sociale
Il faut pourtant rappeler que la règle du jeu actuelle permet encore beaucoup d’accommodements avec les grands principes: la loi Climat et résilience d’août 2021 fixe bien un objectif de zéro artificialisation nette, mais seulement à l’horizon 2050, ce qui laisse aux responsables locaux le temps de réfléchir à la façon dont ils comptent disposer des sols dans l’avenir. C’est un délai plus que raisonnable, face à l’urgence du problème dans un pays qui perd entre 20.000 et 30.000 hectares d’espaces naturels chaque année.
Il est certain qu’entre l’urgence climatique, l’urgence sociale et la nécessité de stabiliser les dépenses publiques, les choix ne sont pas évidents; il est impossible d’être gagnant sur tous les fronts. Mais décider d’arrêter un dispositif d’encouragement à l’accession à la propriété et recentrer le dispositif de prêt à taux zéro peut effectivement prêter à la critique, à un moment où la construction est en train de fléchir du fait notamment de la hausse des taux d’intérêt.
Sur douze mois, de mai 2022 à avril 2023, 431.800 logement ont été autorisés à la construction, soit 72.000 de moins qu’au cours des douze mois précédents. Le nombre de logements mis en chantier est aussi en net recul, à 354.200, soit 34.500 de moins que lors des douze mois précédents; on est loin des 435.500 enregistrés au cours de l’année 2017… et du choc d’offre annoncé au cours de la même année.
Mesures insuffisantes ou imprécises
Face à cet impératif de construire pour faire face à la demande, les décisions annoncées paraissent insuffisantes ou trop floues. CDC Habitat (filiale de la Caisse des dépôts ) et Action logement (organisme qui perçoit les cotisations des entreprises du secteur privé et finance le logement des salariés à revenu modeste) vont racheter aux promoteurs les programmes qu’ils peinent à vendre, soit un total de 47.000 logements. Pour les personnes sans domicile, un deuxième plan «Logement d’abord» va être lancé, avec une enveloppe supplémentaire de 160 millions.
Le système du bail réel solidaire qui permet aux ménages de devenir propriétaires des murs de leur logement sans avoir à supporter le coût du foncier va être développé, le coût du terrain étant une des principales raisons du niveau élevé des prix du neuf dans les zones tendues. Le programme MaPrimeRénov’ pour éradiquer les passoires thermiques et faire baisser les émissions de CO2 va être modifié pour obtenir une meilleure efficacité. Et l’on pourrait ainsi citer bien d’autres annonces de moindre importance ou trop imprécises pour avoir un impact favorable dans l’opinion.
Le logement social sous tension
L’Union sociale pour l’habitat «déplore un rendez-vous manqué». De fait, aucune grande mesure n’a été annoncée en faveur du logement social alors que la demande n’a jamais été aussi forte. Le nombre de demandeurs atteint aujourd’hui 2,4 millions. Le niveau élevé de ce chiffre ne doit pas surprendre: la difficulté est grande de trouver un logement à un prix abordable dans les zones tendues et le logement social apparaît à beaucoup comme la seule issue.
C’est d’autant plus vrai que, en France, on peut être éligible à un logement social avec un revenu relativement élevé: dans une étude publiée en 2020, l’OCDE soulignait que 60% de la population française remplissaient les conditions requises, mais seulement 18% y trouvent une place.
Une autre réponse consiste à mettre sur le marché des logements dits intermédiaires, où les loyers s’intercalent entre ceux du parc privé et ceux du parc social.
L’écart entre le nombre de ménages éligibles et le nombre d’heureux élus ne doit pas cependant conduire à des erreurs d’interprétation, car il est normal qu’il soit élevé. En France, on a souhaité privilégier une certaine mixité sociale. Réserver le logement social aux plus démunis pourrait risquer de conduire à des ghettos (c’est déjà ce qui se produit dans certains quartiers). Mais le niveau actuel de cet écart est tout de même l’indice d’une situation dégradée.
La solution qui paraît à première vue la plus logique serait de construire plus de logement social. Et ce ne serait pas tout à fait une hérésie. Contrairement à une idée trop répandue, la France ne va pas trop loin en ce domaine. Dans les classements de l’OCDE, elle apparaît dans la catégorie des pays ayant un parc social de taille moyenne, entre 10% et 19% du parc total, comme la Finlande ou le Royaume-Uni, alors que dans d’autres pays, ce pourcentage dépasse 20% du parc total: c’est notamment le cas de l’Autriche, du Danemark et des Pays-Bas.
Une autre réponse consiste à mettre sur le marché des logements dits intermédiaires, où les loyers s’intercalent entre ceux du parc privé et ceux du parc social, à destination des classes moyennes. C’est apparemment cette réponse qui a la faveur du gouvernement. Mais encore faut-il avoir les moyens de financer ces constructions.
Comment attirer les investisseurs institutionnels?
La situation actuelle de taux d’intérêt élevés ne facilite pas la résolution du problème, qu’il s’agisse de financer du logement social ou du logement intermédiaire. Mais, à vrai dire, cela n’est pas vraiment nouveau. Un problèmes récurrent est d’attirer les investisseurs institutionnels (assureurs, caisses de retraite, etc.).
Déjà, en 2017, un rapport du Sénat constatait un désengagement de ces investisseurs du marché locatif résidentiel pour plusieurs raisons, notamment une rentabilité jugée insuffisante de ce type de placement. Année après année, les rapports de l’Association française des investisseurs institutionnels montrent que la situation évolue peu (elle aurait même tendance à se dégrader depuis plusieurs mois, la hausse des taux d’intérêt rendant d’autres placements nettement plus attrayants).
Les investisseurs institutionnels préfèrent nettement investir dans les produits financiers et, quand ils s’intéressent à l’immobilier, c’est davantage aux bureaux, plus rémunérateurs, qu’au logement. En 2020, l’immobilier ne représentait que 6,1% du portefeuille global de l’ensemble des investisseurs institutionnels et le logement ne représentait que 17,5% de ces 6,1%…
Difficile normalisation sur le marché du crédit
Pour les particuliers qui souhaitent investir dans l’achat de leur logement, la hausse des taux d’intérêt joue un rôle de frein important, moins toutefois que ne le suggèrent les critiques adressées à la Banque centrale européenne, qui remonte ses taux directeurs, et à la Banque de France, qui encadrerait trop sévèrement le crédit immobilier. Cette dernière parle d’une période de «normalisation» après une période prolongée de taux exceptionnellement bas, avec une croissance annuelle de l’encours de crédit à l’habitat qui a atteint encore 4,1% en avril. Il n’empêche que le ralentissement est tout de même très net.
Faut-il regretter la période de taux très bas, particulièrement entre 2017 et le début de 2022? Ce n’est pas certain. Quand le crédit est peu cher et abondant, le prix des actifs mobiliers et immobiliers a tendance à grimper très vite. En réalité, ce qu’on ne verse pas en intérêts à sa banque, on le verse au vendeur de sa maison ou de son appartement qui profite de ce contexte favorable pour augmenter ses prix.
On fait grand cas en ce moment de la baisse du prix des logements en Île-de-France et notamment à Paris, où selon le dernier baromètre des notaires, le prix des appartements anciens est revenu à 10.350 euros le mètre carré, soit un recul de 1,9% en un an, et pourrait retomber à 10.140 euros en ce mois de juin, ce qui représenterait une baisse annuelle de 4,3%. Mais il faudrait rappeler qu’à la même époque en 2015, il évoluait autour de 8.000 euros, ce qui laisse tout de même un gain supérieur à 25% en huit ans…
Ce repli est peut-être regrettable pour ceux qui s’apprêtent à vendre, mais il n’a rien de dramatique et un recul des prix de quelques points de pourcentage dans certaines zones ne change pas vraiment la donne pour tous ceux qui ne sont pas encore propriétaires. Alors que de nombreux jeunes galèrent pour trouver un logement, qu’il va falloir pendant des années à la fois construire de nouveaux logements et investir massivement dans la rénovation du stock de logements existants, évoquer la menace d’un krach immobilier prêt à frapper de malheureux propriétaires quand on parle des soubresauts de la conjoncture actuelle est presque inconvenant.
slate