De la 3CMC pour remplacer de la 3MMC, des fentanyloïdes pour imiter le fentanyl ou des cannabinoïdes pour reproduire les effets du THC… Pour rester à la frontière de la légalité, les trafiquants renouvellent sans cesse leurs drogues, en modifiant les molécules. Résultat, cette drogue « de synthèse », qui n’est pas répertoriée, tombe dans un vide juridique, qui rend toute poursuite inopérante.
Le gouvernement a fait voter lundi soir à l’Assemblée nationale une mesure pour autoriser les douanes à saisir des substances chimiques susceptibles d’être utilisées dans la fabrication de drogues de synthèse, afin d’éviter les « ravages » que fait le fentanyl, à l’origine d’une hausse dramatique des overdoses mortelles aux États-Unis.
Des dérivés plus puissants et plus addictifs
« On sait que c’est un opioïde de synthèse » fabriqué « à partir de matières premières de produits pas interdits », a expliqué Gabriel Attal lors d’un débat sur la réforme des douanes françaises.
Le gouvernement veut donc transposer une « disposition qui existe dans le droit européen ». Elle doit permettre aux douaniers de saisir des « précurseurs chimiques non classifiés », dès que des « indices suffisants » laissent « supposer un lien » entre ces substances et « la fabrication illicite de stupéfiants ».
La plupart des nouveaux opioïdes de synthèse (NOS), comme le fentanyl, appartiennent à la famille des nouveaux produits de synthèse (NPS). Il s’agit des substances psychoactives qui reproduisent les effets de produits illicites existants, comme l’ecstasy, les amphétamines, la cocaïne, la kétamine, le cannabis ou encore le LSD. Mais ils sont souvent plus puissants et plus addictifs que leurs « grands frères » et bien moins chers.
Un flou juridique
Et si leurs structures moléculaires s’en rapprochent, ils ne sont pas tout à fait identiques, une particularité qui entraîne jusqu’ici une ambiguïté juridique. Car lorsqu’ils apparaissent sur le marché, ces nouveaux produits de synthèse ne sont pas encore classifiés comme stupéfiants et n’ont donc pas de statut juridique clair, empêchant toute poursuite. Une spécificité qui permet aux dealers de contourner, pendant un temps, la législation.
« Quand on modifie la structure d’une molécule, elle n’est plus interdite », a résumé sur BFMTV le professeur Jean-Claude Alvarez, chef du service du laboratoire de pharmacologie-toxicologie du CHU de Garches.
« Si vous avez interdit une molécule, c’est un stupéfiant, si vous modifiez légèrement cette structure, ce n’est plus un stupéfiant. Et donc, ça peut circuler librement, ce n’est plus interdit par la loi. »
« Les drogues évoluent très rapidement », analyse pour BFMTV Anne Batisse, responsable du centre d’addictovigilance de Paris. « Le Royaume-Uni l’a bien compris et a interdit toutes les substances psychoactives, qu’elles soient recensées ou non. Alors qu’en France, il y a une liste de produits interdits, régulièrement mis à jour, mais ça prend du temps. Les trafiquants l’ont bien compris et profitent de ce flou juridique. »
C’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour la 3MMC, qui fait partie de la famille des cathinones de synthèse, mimant les effets de la cocaïne et des amphétamines. Après son interdiction aux Pays-Bas en novembre 2021, un dérivé a été fabriqué par les dealers pour contourner la législation.
« Les trafiquants ont créé la 3CMC, une nouvelle drogue, presque similaire dans ses effets, mais très différente dans sa structure », ajoute le professeur Alvarez.
Résultat, rien n’interdit la 3CMC. Parmi les autres dérivés qui inquiètent, il y a l’hexahydrocannabinol (HHC), le premier cannabinoïde semi-synthétique signalé dans l’UE, dont l’Agence du médicament a annoncé l’interdiction en France. Détecté dans les deux tiers de ses Etats membres et il est vendu dans certains pays de l’UE comme une alternative « légale » au cannabis.
« Sauf que ce produit de synthèse, qui imite les effets du THC, est jusqu’à 200 fois plus puissant que le cannabis », alerte Anne Batisse.
Une présence « marginale » des fentanyloïdes
Et le fentanyl n’échappe pas non plus à ses copies. Les fentanyloïdes, dérivés ou analogues du fentanyl, peuvent disposer d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), en France et dans certains pays de l’Union européenne, lorsqu’ils sont utilisés en tant qu’anesthésiques ou en tant qu’analgésiques. En revanche, leur usage en dehors d’une prescription médicale est interdite.
Selon la note de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), 34 fentanyloïdes ont été identifiés en 2019 en Europe, dont 10 en France. Si les autorités gardent un œil dessus, leur diffusion reste « marginale », avec une distribution organisée essentiellement par internet.
Néanmoins, bien qu’ils soient rares, ces produits sont loin d’être sans risque. Entre 2015 et 2018, les fentanyloïdes ont été à l’origine de 27 intoxications aiguës, dont 8 mortelles signalées en France auprès de l’ANSM, ajoute l’OFDT.
BMFTV